La notion de communauté savante, communauté scientifique en
histoire des sciences
Une tentative d’histoire de la circulation de la connaissance. Du
savant à la communauté scientifique.
« Euréka ! » Exclamation que la
légende attribue à Archimède de Syracuse (287- 212 avant JC) au moment de la découverte de la poussée qui
porte désormais son nom.
Le
saviez-vous ? Au IIIe siècle avant JC, Eratosthène d’Alexandrie
(276 -194 avant JC), contemporain d’Archimède, directeur de la bibliothèque
d’Alexandrie, parvient à mesurer la circonférence de la terre grâce à un
ingénieux calcul arithmétique. Il confirme donc ce que Platon puis Aristote
supposaient déjà : la sphéricité de la terre. Aujourd’hui à l’heure
d’internet et de wikipédia, des théories platistes circulent encore sur les réseaux sociaux.
Que dit l’histoire
des sciences du partage et de la diffusion de la connaissance
scientifique ? Comment cette dernière circule-t-elle ? Sur quelles
idées reçues faut-il revenir ?
Histoire des sciences : étude du
développement des sciences,
I Du savant …(HS)
Savant : personne qui a des
connaissances exceptionnelles dans une ou des disciplines scientifique. Le
terme tombe en désuétude.
L’histoire des sciences conteste aujourd’hui l’image du savant
génial faisant seul ses découvertes. La
connaissance scientifique a toujours circulé.
a) Le savant de l’antiquité. (HS)
Dans l’antiquité, la
Mésopotamie, la Grèce, l’Egypte, la Rome antique, l’Inde, la Chine sont des foyers de la connaissance scientifique.
Les traces des premières mathématiques
sont inscrites sur les tablettes d’argiles babyloniennes. L’humanité doit à
l’Inde les chiffres dits arabes
notamment le zéro. Avec Thales
et Euclide les mathématiques rentrent dans le domaine de la démonstration. Les idées circulent déjà
à l’époque. Un exemple nous en est donné à Alexandrie où Thalès, Pythagore
et Euclide viennent apprendre le savoir égyptien. La ville est le centre intellectuel de l'antiquité
méditerranéenne. La bibliothèque d’Alexandrie créée en 288 avant JC est le
symbole de la circulation de ce savoir antique. A l’époque la plupart des savants sont encore scientifiques et
philosophes. Aristote en est un exemple. La science comme activité
se développe donc à l’antiquité.
b)
Le Moyen-âge n’est pas si obscur. (HS)
Avec l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie entre 48 avant JC et 642
après (question discutée), beaucoup de textes et de documents antiques
disparaissent et, avec eux, une bonne partie du savoir de l’humanité de
l’époque. Mais les sciences grecques
sont préservées par les traductions arabes. Ceci explique, l’âge d’or de la civilisation
arabo-musulmane aux XIIe-XIIIe siècle. Parmi les grandes figures dans ce
domaine, on peut citer le philosophe et
médecin Avicenne -Ibn Sina (980-1097 après JC) ou encore Averroès-Ibn Rushd
(1126-1198), philosophe, juriste et médecin inspiré a qui on doit toute une
réflexion sur la raison et le rapport
entre croyance et connaissance.
C’est aussi dans cet espace arabo-musulman médiéval, notamment à Cordoue
et en Egypte que le juif Maimonide
développe sa pensée philosophie et scientifique inspirée aussi d’ Aristote. Mais dans le monde musulman comme dans le monde
chrétien, les progrès de la pensée se confrontent à l’obscurantisme religieux.
Comme l’illustre la trame du
film Le destin de l’Egyptien Youssef
Chahine (1997).
Dans le reste de l’Europe aussi
la pensée scientifique progresse. Au
XIIe siècle on assiste à un important travail de traduction des œuvres de
scientifiques grecs et arabes notamment
à Tolède et en Italie. Au XIII siècle, le moine franciscain Guillaume
d’Ockham (v.1285 -1347) préfigure la science moderne
en la faisant reposer sur l’expérience (l'empirisme) et sur l’analyse. Cette figure de la pensée médiévale a inspiré à Umberto
Eco, le personnage de Guillaume de Baskerville dans Le
Nom de la Rose. Extrait du film de
Jean-Jacques Annaud. Dès le Moyen-âge émerge donc une forme de méthode scientifique
c) La figure du savant émerge à la Renaissance
La Renaissance est un autre moment important
pour le développement de la pensée scientifique. Elle débute dès le XIVe siècle
en Italie avant de se diffuser au XVIe siècle dans le reste de l’Europe. Les textes antiques sont alors redécouverts notamment ceux d’Aristote. L’usage du papier puis la ré-invention de l’imprimerie par Gutemberg
en 1453, permet la diffusion des idées
et de la connaissance scientifique. D’importants progrès sont alors réalisés en géographie, en optique ou dans le
domaine de l’astronomie. Par exemple, Nicolas Copernic (1473-1543)
développe sa théorie de l’héliocentrisme
selon laquelle la terre tourne autour du soleil qu’il considère comme le centre
de l’univers. A cette époque encore, la
figure dominante est celle du savant qui
cherche à avoir une connaissance globale du monde. Le modèle est donc celui
du savant universaliste.
II …à la communauté scientifique
Scientifique : homme ou femme
qui fait de la recherche scientifique avec rigueur et méthode.
a) En passant par la République des savants
C’est l’époque où la science se transforme. Elle se spécialise. C’est avec Galilée
(1564-1642) que la science commence à se
détacher de la philosophie. Ce dernier développe une méthode rigoureuse
qui lui permet de fonder la physique moderne et de démontrer à la suite de Copernic
que la terre et les astres tournent autour
du soleil. Au début du XVIIe siècle , les thèses
avancées par Galilée en 1610 sont discutées par les scientifiques dans
toute l’Europe. Par la suite le britannique
Francis Bacon (1561-1626) améliore la méthode scientifique en la
faisant reposer sur l’expérimentation et
le raisonnement inductif. Cette méthodologie scientifique est aujourd’hui
encore à la base de la science moderne.
Les XVIIe-
XVIIIe siècles marquent l’émergence de communautés
savantes. L’époque moderne (XVIe-XVIII siècles) est marquée par une
curiosité renouvelée dans tous les domaines. C’est l’époque des salons, des académies et des
universités. La création des académies à partir du XVIIe siècle est liée à
l’essor de la société de cour et à la volonté
de princes-mécènes de soutenir des activités scientifiques et expérimentales.
Par exemple, en 1666, Colbert créé pour
Louis XIV l’Académie des Sciences de Paris. Il n’est pas le premier puisque
la Royal Society voit le jour à Londres
en 1662. D’autres académies suivront en Europe : Berlin en 1700, Bologne
en 1714, St Petersbourg en 1724), Stockholm en 1739. Il s’agit d’assemblées de savants,
de scientifiques qui entendent promouvoir leurs disciplines respectives. Ces institutions encouragent et diffusent
les travaux scientifiques. On y
recherche mais on y débat également. La connaissance scientifique circule donc et la science
s’institutionnalise.
Le XVIIIe siècle est aussi celui des Lumières et de l’Encyclopédie. Sous la
direction de Diderot et D’Alembert, le Dictionnaire raisonné des sciences, des
arts et des métiers cherche à recenser et présenter de façon rationnelle l’ensemble
des connaissances scientifiques et techniques de l’époque.
Communauté savante : ensemble
de scientifiques ou d’intellectuels qui se dotent de normes, d’institutions.
b) Vers la constitution de communautés scientifiques.
Au XIXe siècle,
le processus d’institutionnalisation de
la science s’accélère. On assiste
dans le même temps à une spécialisation des disciplines et à une
« nationalisation » des sciences. Pour donner quelques exemples,
en 1857 nait la Société chimique de France, en 1872 c’est au tour de la Société
de Mathématique de France, puis de celle de Physique en 1873. On observe donc une spécialisation
disciplinaire La figure du savant cède la
place à celle du scientifique, chercheur spécialisé. Il forme avec ses collègues une communauté scientifique composée de
chercheurs de la même discipline. Pasteur fait ici figure d’exception puisque
c’est un chimiste qui finit par s’intéresser à la médecine.
La querelle
entre Pasteur et Koch illustre la dimension nationale prise par la science. Les
deux hommes s’opposent après la guerre
franco-prussienne mais déjà au début du XIXe siècle, les universités se
développent en Europe sur des modèles différents. Par exemple, à Berlin en Allemagne
Alexander von Humboldt est à l’origine d’une
université à Berlin en 1810, qui regroupe les disciplines, favorise
l’encyclopédisme, donne la liberté de choix des sujets et dispense les
chercheurs des contraintes de l’économie. On parle de « modèle humboldtien ».
En France s’impose le modèle « napoléonien » organisé en facultés cloisonnées
qui sont comme des paroisses. L’université est alors orientée vers
l’enseignement dans un esprit plus pratique.
La compétition
entre Pasteur et Koch prouve également que malgré la dimension nationale de la
science, les idées circulent. Des
congrès scientifiques sont organisés. On y discute des problèmes posés à al
science et des découvertes. Par exemple,
la première rencontre internationale de physique a lieu à Paris en 1900
(congrès Solvay). Le XIXe siècle est aussi celui où se définissent des valeurs
communes dans la communauté scientifique. Ces valeurs ont été définies par l'un
des pères de la sociologie des sciences, R. K. Merton en 1942, dans un
texte intitulé l'Ethos de la Science. Selon
Merton, la science est universelle, elle
se partage donc. Elle est désintéressée et doit reposer sur le scepticisme,
l’esprit critique.
A la suite des
Lumières, au XIXe siècle, le positivisme
promu par Auguste Comte est un
courant de pensée qui fait confiance à la science pour expliquer le monde et
permettre le progrès.
On peut alors considérer que la notion de « communauté
scientifique » remplace celle de « communauté savante »,
Communauté scientifique : ensemble
plus ou moins large de chercheurs.
III vers une connaissance globalisée.
a) Les principes de la diffusion de la connaissance scientifique.
La
connaissance scientifique peut-être définie comme une connaissance reposant sur des faits, des démonstrations, des
expériences et des analyses. On distingue habituellement les sciences exactes (maths, physique
théorique), les sciences expérimentales
(physique, chimie, biologie, médecine) et les sciences humaines (histoire, sociologie, économie).
Concernant
les sciences expérimentales, la découverte
scientifique doit reposer sur des
hypothèses, des calculs permettant
de définir des résultats attendus et des expériences
destinées à en faire la preuve. Un exemple spectaculaire de ce processus
nous est donné par Einsetien. Ce dernier avait émis l’hypothèse de l’existence d’ondes
gravitationnelles. Ses calculs
lui permettaient d’avancer cette conclusion. Mais l’expérience n’a confirmé cette hypothèse qu’un siècle plus
tard en 2015. Aujourd’hui, pour être validée une découverte scientifique
doit faire l’objet d’une publication
scientifique à l’occasion de laquelle un comité de lecture composé d’autres
scientifiques valide le contenu de l’article. Les revues scientifiques les plus
reconnues sont souvent de langue anglaise mais leur diffusion est mondiale. La connaissance scientifique est donc une connaissance démontrée et reconnue.
Schéma
de la démarche scientifique
b) De nouveaux acteurs
Comme l’a révélé la crise du Covid. De nombreux acteurs sont impliqués dans la
circulation de la connaissance. La communauté scientifique s’est efforcée de
répondre aux besoins face à la maladie. Les Etats ont cherché des politiques
adaptées et ont informé les populations sur les enjeux. Guillaume Rozier, ingénieur en informatique s’est illustré en mettant
à la disposition du public des statistiques sur l’épidémie grâce à l’open data . Désormais la circulation de la connaissance implique de
nombreux acteurs. Les Etats, les firmes
transnationales, les communautés scientifiques, les diasporas et les individus
contribuent à faire circuler la connaissance.
Diaspora : dispersion d’un peuple
d’une communauté dans le monde. Le terme désigne aussi les communautés ainsi
constituées aux quatre coins du monde.
Open data : L’open data désigne un
mouvement, né en Grande-Bretagne et aux États-Unis, d’ouverture et de mise à
disposition des données produites et collectées par les services publics
(administrations, collectivités locales...).
c) De nombreux moyens
L’école, l’université, les livres, les
médias traditionnels (presse, radio, télévision) restent des vecteurs
importants de la transmission de la connaissance. Mais d’autres supports de communication
tendent à prendre une place majeure dans le domaine. Il s’agit d’internet et
des réseaux sociaux. Aujourd’hui, 50 % de la population mondiale se connecte aux réseaux sociaux pour obtenir
de l’information.
Avec
l’encyclopédie en ligne wikipedia créée en 2001 par
Jimmy Wales et Larry Sanger, le partage de la connaissance repose sur un travail collaboratif. Longtemps
décriée, cette encyclopédie
participative en ligne s’est imposée comme une ressource fiable grâce aux
principes qu’elle a imposés à ses contributeurs. Aujourd’hui Wikipedia c’est 62 533 267 articles et près de
600 millions de visites par mois. Cela permet de développer une véritable intelligence collective.
Intelligence collective : capacité
de mobiliser l’intelligence, les compétences, et le savoir des membres d’une
communauté pour résoudre des problèmes et faire progresser la connaissance
d) Des limites
Avec le développement des nouveaux supports
d’information se pose la question de la fiabilité des informations. Sur la
toile circulent en effet des rumeurs ou
de fausses informations incompatibles avec la connaissance. Par ailleurs,
les conditions d’accès à la connaissance restent dépendantes des inégalités des
populations.
Conclusion : La connaissance scientifique a donc toujours circulé. Elle
l’a certes fait à différentes vitesses selon les moyens de l’époque mais cette
circulation de la connaissance est avérée
C’est même la diffusion de cette connaissance qui permet le progrès
scientifique.