Séries : TES, TS
Gouverner la France depuis 1946 : la culture,
les médias, le pouvoir et l’opinion
publique
Cette année, les salariés de Radio France,
majoritairement soutenus par l’opinion publique, ont fait 28 jours de grèves
pour dénoncer le projet de réduction des effectifs voulu par le directeur
Mathieu Gallet dans le cadre d’une politique de réduction des dépenses. Cette crise révèle combien il est
difficile dans le contexte actuel de financer un service public de
radiodiffusion, mais elle fait également apparaître l’évolution de la place de
l’Etat dans ce secteur, puisque Mathieu Gallet doit des comptes à l’Etat mais
n’a pas été nommé par lui mais par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
(CSA), organisme indépendant.
Sur la période qui s’étend de 1946 à nos
jours, quelles relations entretiennent, l’Etat, les médias et l’opinion
publique. Comment se forme l’opinion publique ? L’Etat contrôle-t-il les
médias pour influencer l’opinion publique ? Parvient-il à le faire ? Cette
influence est-elle contestée ? A quelles autres influences, l’opinion
publique est-elle soumise ? L’opinion publique peut-elle être imperméable
à l’influence médiatique ? Les français et les françaises sont-ils préparés
pour se faire une opinion indépendante ?
Opinion publique : ensemble des
convictions, des jugements et des croyances
qui reflètent les idées du plus grand nombre
I Une volonté de
l’Etat de maîtriser les médias pour contrôler l’opinion publique
a) Les médias contrôlés …
Au sortir de la seconde guerre mondiale,
l’audiovisuel français est largement contrôlé
par l’Etat. Dans les années 30, c’est le ministre des postes, télégraphes
et téléphones (PTT) qui exerce cette tutelle. En 1949 est créée la Radiodiffusion–télévision française (RTF). Les médias publics
organisés en régies relaient alors
largement le discours officiel de
l’époque. On parle des « événements
d’Algérie » pour ne pas donner à cette guerre son véritable nom. Dans le domaine de l’administration, l’Etat
crée en 1945, l’Ecole Nationale de l’Administration
pour former une nouvelle génération de cadres nécessaires à la reconstruction
et à la modernisation du pays.
Régie : établissement
public chargé de la gestion d’une activité contrôlée par l’Etat
b) … de façon incomplète
Cependant, d’autres voix se font entendre dans la presse écrite notamment. Ainsi, France-Observateur,
L’Express, Témoignage Chrétien, Le Monde et l’Humanité sont des journaux
qui dénoncent la torture en dépit de la censure. Dans leurs colonnes, des journalistes comme Claude Bourdet et Henri Alleg décrivent aux français ces
pratiques odieuses. Le discours sur le conflit est également différent sur les
ondes des radios périphériques comme
Radio Luxembourg (futur RTL) ou Europe n°1 (futur Europe1). Dans ces
conditions, l’opinion publique française
évolue et se partage de plus en plus entre les partisans du maintien de
l’Algérie française et ceux qui acceptent un processus d’autodétermination
pouvant aboutir à l’indépendance du territoire.
Radios périphériques : radios
émettant depuis une antenne située hors du territoire français pour échapper au
contrôle de l’Etat.
c) … n’empêchent pas
l’accession au pouvoir de De Gaulle.
L’audio-visuel public reste très neutre au sujet des conditions de
l’accession au pouvoir du général De Gaulle. C’est pourtant sous la pression d’un Comité de Salut
Public mis en place à Alger que les
députés investissent le général De Gaulle, le 1 juin 1958. C’est à
l’occasion d’une conférence de presse
que De Gaulle se défend donc de vouloir entamer à 67 ans une carrière de
dictateur. Il établit donc la Vème
République mais il ne relâche pas son emprise sur l’audiovisuel. En 1964, la RTF devient l’ORTF (Office de
Radiodiffusion-Télévision française) avec de nouveaux statuts. Cet organisme
est, en principe, plus autonome, mais
l’audiovisuel reste malgré tout un monopole de service public. Le contenu
des actualités diffusées à la télévision et à la radio est alors supervisé par Alain Peyrefitte, plusieurs fois
ministre de l’information. Un autre ministre de De
Gaulle s’illustre alors. Il s’agit d’André Malraux qui lance une politique culturelle ambitieuse. En
1959, est créé le ministère des affaires
culturelles qui soutient la création et le spectacle et protège le
patrimoine grâce à la loi Malraux
votée en 1962. Il s’agit alors de développer
l’accès du plus grand nombre à la culture. Cette volonté d’accorder une place majeure à l’Etat dans le domaine
culturel est à l’origine d’une véritable exception culturelle française. En ce qui concerne l’administration,
c’est à partir de 1958 que les
technocrates, les haut-fonctionnaires de l’ENA investissent largement le sommet de l’Etat.
II ...est remise en
cause à partir de mai 1968.
a) …par une crise qui
est aussi culturelle.
Elle débute fin avril début mai 1968. Les premiers incidents éclatent à Nanterre, université
nouvelle construite en périphérie pour accueillir
les étudiants nombreux issus du baby-boom. Le mouvement gagne ensuite les
universités du centre de Paris. Dans la nuit du 10 au 11 mai, une première « nuit des barricades » donne lieu à des
affrontements violents au Quartier latin. Le mouvement étudiant remet en cause le système éducatif et les
valeurs de la société de l’époque. Les
médias n’échappent pas à la critique. Guy
Debord et les situationnistes considèrent que la société du spectacle est une entreprise d’aliénation des masses. Sous l’impulsion de certains militants
d’extrême gauche (maoïstes, trotskistes, etc…), la
crise prend, le 13 mai, une tournure
sociale avec le ralliement d’une partie du monde ouvrier. Certains journalistes de l’ORTF se mettent en grève. Les syndicats et partis de gauche
traditionnels peinent à contrôler le mouvement. Les accords de Grenelle concédés par le premier ministre Georges Pompidou ne suffisent pas à apaiser le climat. La crise devient donc politique. François Mitterrand envisage la constitution d’un gouvernement
provisoire. De Gaulle utilise alors les médias pour rétablir
la situation. Il orchestre ses interventions ou son absence. Alors qu’en 1968,
déjà 62% des ménages sont équipés de postes de télévision, il utilise la radio qui l’a bien servi pendant la guerre pour annoncer, le 30 mai, la dissolution de
l’Assemblée nationale. Une grande
manifestation est organisée le même jour par les Gaullistes pour frapper l’opinion publique. Aux législatives de juin 1968, les français votent largement pour des députés
gaullistes. L’autorité de De Gaulle est ainsi
confortée. L’ordre est rétabli. Les
journalistes de l’ORTF grévistes sont licenciés. Ainsi s’achève la crise de mai
68. Georges Pompidou, successeur de De Gaulle à la présidence à partir de 1969, poursuit le
contrôle de l’audiovisuel public et cherche à mettre l’art contemporain à la portée du grand public en lançant la
réalisation du Centre national d’art et de culture (Beaubourg-Centre Pompidou).
Accords de Grenelle : accords signés
le 27 mai par le gouvernement de Georges Pompidou, le patronat et les
syndicats. Ils prévoient une augmentation de 35% du SMIG et de 10% pour les
autres salaires réels.
Maoïsme : version du
communisme selon laquelle la mobilisation politique des masses notamment
paysannes doit permettre le développement.
Trotskisme : le trotskisme est
un communisme qui se définit par opposition au totalitarisme stalinien et qui
souhaite une révolution permanente et mondiale.
Situationnisme : mouvement
intellectuel révolutionnaire de gauche qui mobilise les arts afin de changer la
société pour la rendre égalitaire.
Aliénation : asservissement et
perte du libre arbitre.
b) …et par le retrait
partiel de l’Etat de l’audio-visuel public.
Arrivé au pouvoir, en 1981,le
socialiste François Mitterrand
s’inscrit aussi dans cette logique de grands
travaux à des fins culturelles. Il fait réaliser par l’architecte américain
Pei, la pyramide du Louvre. Il lance
également le projet de grande bibliothèque pour la Bibliothèque Nationale de France et la réalisation de l’Institut du monde arabe. Il s’agit de
marquer le patrimoine de son empreinte
et rester ainsi dans les mémoires de l’opinion publique. La politique culturelle reste ambitieuse. Jack Lang, ministre de la culture crée la fête de la musique. La rupture intervient cependant dans le
domaine de l’audiovisuel. En effet, en 1981, les radios
« pirates » ou radio libres
qui émettaient illégalement sont autorisées à diffuser. Dans le contexte des
cohabitations des chaines comme TF1 ou
la 5 sont privatisées et concédées à de grands groupes français ou
européens. Si l’Etat se désengage,
il estime cependant nécessaire le maintien d’un organe de régulation sur l’audiovisuel. Ainsi se succèdent la Haute
Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), puis la Commission Nationale
de la Communication et des libertés (CNCL) puis le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA)
Radios libres : radios
associatives qui, à l’origine,
contournent le monopole d’ Etat en utilisant
illégalement la bande FM, souvent avec
du matériel à bas coût installé sur des toits d’immeubles.
Conseil supérieur de
l’Audiovisuel
(CSA) :
c) De nouvelles
orientations et de nouvelles problématiques depuis les années 2000.
En ce qui concerne la politique culturelle, les moyens
de l’Etat sont désormais plus limités. Il cherche donc à réduire ses dépenses dans ce domaine.
C’est dans cet esprit qu’il a tenté une réforme du statut de l’intermittence du spectacle. Le ministère de la culture et ses antennes régionales
(DRAC) réduisent leurs subventions.
De nombreux festivals estivaux sont compromis. Dans le même temps, cependant on
observe une politique de décentralisation
culturelle avec la création du Centre Pompidou-Metz et du Louvre-Lens.
En ce qui concerne les médias, l’offre semble se réduire dans le domaine
de la presse écrite et de la radio puisque les recettes de publicité ne sont pas inépuisables. La tendance est à la concentration aux mains de grands groupes comme Dassault qui
détient le Figaro ou LVMH qui est en train de faire l’acquisition du Parisien-Aujourd’hui en France. L’offre se diversifie dans le domaine de la télévision avec le
choix technologique de la Télévision
Numérique Terrestre (TNT). La télévision est désormais concurrencée par l’offre internet avec des acteurs majeurs comme Youtube qui proposent leur propres « chaines ».
Face à cette évolution, plusieurs événements
récents posent la question de la place
des médias dans la formation de l’opinion publique. Ainsi en 2005, les
français ont voté contre le traité constitutionnel européen (TCE) alors que la
majorité des médias soutenaient le oui au référendum. Il semblerait donc que l’opinion publique française peut rester
imperméable aux messages des médias traditionnels, se construisant en
mobilisant d’autres moyens comme internet. Plus récemment, à la suite des
attentats du 7 janvier 2015, la propagation de thèses conspirationnistes
a suscité des interrogations sur le rôle
des réseaux sociaux et d’internet dans la diffusion des théories du complot.
DRAC : direction régionale
aux affaires culturelles.
Conclusion :
Si la culture est « une exception française » compte
tenu de l’engagement traditionnel de l’Etat dans ce domaine, la tendance
aujourd’hui, dans un contexte de crise est au moins d’Etat. Ce n’est pas pour
autant que les français et les françaises ne sont pas soumis à de nouvelles
influences dans le contexte d’une diversification et d’une privatisation de
l’offre culturelle et médiatique.
Bibliographie :
CHAUVAU A., TETART P., Introduction à l’histoire des médias en
France de 1881 nos jours, A. Colin, 1999
RAJFUS M., La censure
militaire et policière, Le Cherche Midi, 1999.
MARTIN T., Documents pédagogiques « Le conflit entre Légalité et légitimité », Académie de Poitiers, Lycéens au cinéma, 09/01/14, http://ww2.ac-poitiers.fr/daac/spip.php?article1012
Auteur : Nérée Manuel
Dernière mise à jour : 05/15.