Les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale et leurs évolutions depuis 1945.

Corrigé augmenté du devoir

Cet été, le 70ème anniversaire des débarquements en Normandie et en Provence ont donné lieu à d’importantes manifestations destinées à entretenir le souvenir de ces événements. Par là, se perpétue la mémoire d’un aspect du second conflit mondial. On désigne par ce mot un récit sur le passé assorti d’une pratique sociale destinée à entretenir le souvenir. Individuelle ou collective, la mémoire a un caractère subjectif qui la distingue de l’Histoire, en principe. De la fin du conflit en 1945 à nos jours, le regard porté sur cette période a pu changer.

On peut donc chercher à identifier  les mémoires de la Seconde Guerre Mondiale avant d’étudier leurs éventuelles évolutions respectives. Pour e dire autrement, quelles sont les mémoires de la seconde guerre mondiale et comment ont-elles évolué ?

Il est possible de montrer qu’au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les mémoires sont inégalement mises en avant. Par la suite, l’évolution du contexte et le travail des historiens permettent de rétablir certaines vérités et de réaffirmer certaines mémoires. Enfin, aujourd’hui encore, face à certaines menaces, l’entretien du souvenir reste nécessaire.

 

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, certaines mémoires sont mises en avant et d’autres pas.  Ainsi s’impose dès les premiers jours de la libération le mythe résistancialiste selon lequel les français sous l’occupation et le régime de Vichy auraient majoritairement et naturellement résisté. Ce mythe est largement entretenu par la résistance elle-même en particulier les résistances gaullistes et communistes. Le cinéma joue dans ce domaine un rôle important. De 1944 à 1946,  il est très vite encadré par le Comité de Libération du cinéma français, fondé par des résistants.

 

 

 

Près d’une vingtaine de film est alors produite à la gloire de la résistance française. La Bataille du Rail de René Clément fait partie de ces productions. Ce long métrage, récompensé à Cannes, bénéficie de moyens humains et financiers importants pour l’époque. Il évoque en particulier la résistance des cheminots dans le cadre d’organisations telles que résistance-fer. Dans le même ordre d’idée dès  août 1944, le catalan Enrique Lluch et l’occitanisteIsmaël Girard filment pour le compte du Front-National, une organisation de résistants de sensibilité communiste, la libération à Toulouse. La reconstitution de certaines scènes et un cadrage judicieux permettent de donner l’image d’une résistance unie et d’un peuple toulousain rassemblé autour de ses libérateurs (Cinémathèque de Toulouse).

 

Dans ce contexte, les autres résistances qui ont joué un rôle majeur que ce soit face à l’occupant, contre le régime de Vichy ou au côté des alliés passent au second plan. Pendant longtemps, la mémoire officielle a omis de rappeler que les premiers combattants à entrer dans Paris au moment de la libération étaient des républicains espagnols. Ces derniers appartenaient à la Nueve, l’une des compagnies des Forces Françaises Libres (FFL).

 

 

 

Qui sont les oubliés de ces extraits ?

 

 Ce n’est que récemment également que la mémoire des «dissidents », ces résistants antillais qui ont participé au débarquement  a été mise en avant notamment grâce au film d’Euzhan Palcy  sur les « Parcours de Dissidents ». en réalité nombreuses sont les résistances qui passent au second plan à ce moment là.




Dans le contexte de la libération, les déportés de retour en France, peinent dans l’immédiat après guerre à témoigner de ce qu’ils ont vécu. Au milieu des réjouissances, ils ont du mal à exprimer leur douleur. Cette tentative leur semble d’ailleurs vaine tant les souffrances qu’ils ont enduré semble inimaginables. Certains peinent à parler parce qu’ils ont  un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ceux qui ne sont pas rentrés des camps. Le fait que le livre de Primo Levi, Si c’est un homme soit traduit tardivement en 1961 illustre les difficultés de cette mémoire à s’expirer en France. Cependant, le philosophe François Azouvi nuance ce constat en considérant que certains témoignages parviennent quand même à s’exprimer. Il parle de « mythe du grand silence ».

Dans l’immédiat après-guerre, certains faits sont également occultés de façon opportune. Certains responsables collaborationnistes sont à peine inquiétés dans le cadre de l’épuration officielle. Certains poursuivent même leur carrière de façon « paradoxale ».  C’est le cas de Maurice Papon secrétaire général de la préfecture de Gironde sous Vichy mais préfet de Paris sous De Gaulle au moment de la répression de la manifestation des sympathisants du FLN du 17 octobre 1961. Cependant tous ceux qui ont eu affaire avec l’occupant ne sont pas oubliés. Des collaborationnistes sont jugés et exécutés. Les femmes qui ont eu des relations personnelles avec les Allemands sont tondues et le Comité de Libération du Cinéma français participe à l’épuration en interdisant de tournage pendant deux ans, Henri-Georges Clouzot et en blâmant l’actrice Arletty, celle-ci ayant réussi pendant la guerre à entretenir de très bonnes relations avec certains officiers  allemands tout en protégeant certains artistes juifs.  Elle aurait dit à un journaliste après la guerre : « Les allemands ? Vous n'aviez qu'à ne pas les laisser entrer ».

Au sortir de la seconde guerre mondiale, la mémoire du conflit oscille donc entre  hypermnésie,  amnésie et occultation, la mémoire de la résistance passe au premier plan faisant de l’ombre aux  autres mémoires. Dans les années qui suivirent, quelles furent les mémoires mise en avant ?

(voir schéma)

Dès les années 50 des voix s’entendent pour rétablir certaines vérités et réhabilité certaines mémoires.

En ce qui concerne la résistance, le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, crée en 1951, souligne rapidement la diversité de la résistance en rappelant notamment le rôle joué par des socialistes et des radicaux.

Dans les années 50 également la mémoire de la déportation et du génocide ressurgit. A ce titre le film d’Alain Resnay et Jean Cayrol, Nuit et Brouillard met l’accent dès 1955 sur l’horreur des camps de concentration et d’extermination. Le titre de ce film révèle cependant que la confusion est alors encore entretenue entre déportation politique et déportation pour génocide. La singularité des centres d’assassinat et des crimes qui y furent commis n’y est pas soulignée. En 1985, Claude Lanzmann réalise Shoah. Il y recense le témoignage de victimes, de bourreaux et de témoins plus ou moins indifférents aux crimes commis alors en Pologne. La mémoire du génocide passe alors au premier plan. Après quelques années de relatif silence, les déportés expriment naturellement le besoin de témoigner auprès de leurs proches mais également pour les jeunes qui n’on pas connu la guerre. Plus prosaïquement, cette mémoire conforte  par ailleurs la légitimité d’un Etat refuge alors menacé : Israël. Enfin ces témoignages et cette mémoire sont nécessaires face aux entreprises de falsification de l’histoire qui se multiplient à partir des années 80. En effet, les thèses négationnistes sont diffusées par des révisionnistes antisémites ou antisionistes qui par une pseudo-méthode hypercritique remettent en cause l’ampleur du génocide et l’existence des chambres à gaz.  Elles sont relayées plus ou moins explicitement par des responsables d’extrême droite comme Jean-Marie Le Pen qui parle de détail ou par l’ « humoriste » Dieudonné.

Enfin, dans le courant des années 70, l’ «attentisme» ou l’attitude conciliante de l’Etat français et d’une partie de la population est souligné. En 1971, le film de Marcel Ophüls, le Chagrin et la Pitié  est projeté sur les écrans après de multiples péripéties. Il est interdit de diffusion pendant dix ans à la télévision. Il faut dire qu’à côté des témoignages sur la résistance auvergnate, l’accommodement et  la réalité de la collaboration dans toute sa diversité sont montrés. Peu de temps après mai 68, Marcel Ophüls s’attaque au mythe résistancialiste entretenu, entre autres, par le général De Gaulle. Un autre film suscite la polémique à sa sortie, il s’agit de Lacombe Lucien de Louis Malle qui évoque le parcours hasardeux d’un jeune collaborateur.

 

 

 

Le parti pris du réalisateur qui semble relativiser l’attitude du bourreau, choque une partie du public et de la critique. Le cinéma entend donc ne pas passer sous silence ce «passé qui ne passe pas » mais  il ne faudrait pas tomber dans le travers inverse consistant à accuser l’ensemble des français d’avoir participé à la collaboration. En réalité, les collaborateurs comme les résistants sont deux minorités françaises de la seconde guerre mondiale. L’Historien américain Robert O. Paxton, le rappelle en 1973, quand  dans La France de Vichy,  il traite de la façon dont l’Etat Français a participé de façon autonome aux exactions contre les juifs

Des années 50 à la fin des  années 80, les rectificatifs des historiens, les témoignages et dans certains cas même les fictions permettent donc en quelque sorte de rétablir l’échelle des plans selon laquelle les mémoires sont mises en avant dans la société française.  Depuis les années 90 quelle mémoire de la Seconde Guerre Mondiale est désormais entretenue ?

 

La façon dont la France se tourne vers Ce passé douloureux est un enjeu politique et social majeur dans le courant des années 90.

Pour commencer, la justice revient sur le passé d’un certain nombre de responsables du génocide durant la seconde guerre mondiale. La loi de 1964  qui rend imprescriptibles les poursuites relatives aux crimes contre l’humanité permet d’empêcher l’oubli de la culpabilité de Klaus Barbie jugé en 1987, de Paul Touvier en 1994 et de Maurice Papon en 1998.

Par ailleurs, comme le rappellent Henry Rousso et Eric Conan dans « Vichy, un passé qui ne passe pas », la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv donne lieu alors à toute une polémique autour de l’attitude de François Mitterrand. Pour lui en «1940, il y a eu un « Etat français », c’était le régime de Vichy, ce n’était pas la République ».  Celui-ci considère en effet, et c’est une réalité politique, que Vichy ne fut qu’une parenthèse dans l’histoire de la République française. A ce titre, il refuse de reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans le génocide. Il propose cependant la commémoration d’une journée de " commémoration des persécutions racistes et antisémites " fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle.

 En 1995 par contre, son successeur Jacques Chirac reconnait la responsabilité de l'Etat français dans le Génocide. En 2000, ce dernier met en place la fondation pour la mémoire de la Shoah. La présidence de cette fondation est d’ailleurs confiée à Simone Veil ancienne déportée devenue responsable politique de premier rang. La mémoire du génocide juif est donc au premier plan mais celle du génocide tzigane reste en retrait même si désormais le programmes du secondaire rappellent que le peuple Rom ou Sinti a été aussi victime de la logique exterminatrice nazie.

 En 2010, le film la Rafle évoque l’épisode des 16 17 juillet au cours desquels 12884 juifs (hommes, femmes et enfants) sont arrêtés.  L’un des témoins et  co-auteurs du sénario Joseph Weissmann a lui aussi mis du temps avant d’accepter de rédiger ses mémoires.

 

 

 

L’une des plus récentes polémiques concernant la mémoire de la seconde guerre mondiale concerne la lecture de la lettre de Guy Môquet voulue par Nicolas Sarkozy, alors président de la République. Si certains ont salué cette volonté de mettre à l’honneur l’engagement de ce jeune communiste fusillé par les Allemands à Châteaubriant près de Nantes. D’autres y ont vu une tentative d’instrumentalisation de la mémoire faisant passer l’émotion avant l’enseignement de l’Histoire.

Près de soixante dix ans après la fin du conflit, la mémoire de la seconde guerre mondiale reste au cœur de débats qui divisent la société française.

 

Cette mémoire a donc évolué depuis 1945. Peut-être faudrait-il préciser plutôt que la façon dont les différentes mémoires de ce conflit ont été mises en avant a changé. Ainsi, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale,  c’est la légende gaullo-communiste qui est mise en avant. Le mythe résistancialiste éclipse alors les autres résistances qui ont contribué à la lutte contre l’occupant et  le régime de Vichy. A ce moment là, d’ailleurs, la mémoire du génocide peine à s’exprimer. Tandis que  dans le contexte de l’épuration, certains passés sont opportunément occultés. C’était sans compter sur les corrections des historiens et sur les capacités de la justice à juger, même des années plus tard, les bourreaux allemands ou français. La mémoire des génocides reste nécessaire face aux entreprises de falsification de l’Histoire et au risque d’oubli.  De 1945 à nos jours, les mémoires de la seconde guerre mondiale ont donc oscillé entre hypermnésie, occultation et oublis.

Observe-t-on les mêmes phénomènes consécutifs au caractère subjectif de la mémoire à l’étude de la mémoire ou des mémoires de la guerre d’Algérie ?