Qu'est ce que l'Histoire ?
Base de réflexion pour une leçon en
philosophie et en histoire
Le mot histoire a plusieurs sens. Il désigne à
la fois un simple récit distractif, le passé d’une communauté humaine et la discipline
qui l’étudie. Le même mot est alors utilisé pour qualifier le travail de l’historien et son
sujet. L’ Historien Henri-Irénée
Marrou dit d’ailleurs de l’Histoire que c’est « un mixte
indissoluble du sujet et de l’objet ».
Pour commencer et pour
faire simple, on peut dire de l’Histoire que est une science qui chercher à
étudier et faire le récit du passé de
façon objective.
Mais cette définition est
contestée.
Que reproche-t-on donc à l'histoire ?
Pour commencer, on conteste
ses sources.
Pour Ch.V. Langlois et
Ch. Seignobos à l'origine de
l'"école méthodique", "l’Histoire se fait avec des documents.
Les documents sont les traces qu’ont laissés les pensées et les actes des
hommes d’autrefois". Ils pensent alors essentiellement aux traces écrites. Mais tous les documents ne sont pas fiables.
Il existe des faux célèbres en Histoire.
La Donation de Constantin, datée
prétendument du IVème siècle est sensée fairenla preuve du legs de l'empereur
Constante au pape Sylvestre. Ce document a été utilisé par la suite à partir du
Xème pour assoir les revendications territoriales et politiques papales.
Certains manuels scolaires reproduisent de faux documents. C'est le cas de la
photographie célèbre Mort d'un poilu ou Verdun
1916. Il s'agit en réalité un photogramme extrait d'un film de fiction
produit pour le dixième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale :
Verdun, vision d'Histoire. de Léon
Poirier.
Photogramme
extrait du film Verdun, vision d'Histoire,
1928
Alors que faire lorsqu'on
n' a pas de documents. Lucien Febvre
de "l'école des Annales" propose une solution dans Combat pour l'Histoire : " L'
Histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais
elle peut se faire avec tout ce que l'ingéniosité de l'historien peut lui
permettre d'utiliser... donc des mots, des signes, des paysages et des tuiles.
Des formes de champs et des mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des
colliers d'attelage". On peut également utiliser des témoignages directs.
Mais l'historien Marc Bloch conseille la plus grande prudence dans ce
domaine. Il écrit dans Réflexions d’un
historien sur les fausses nouvelles de la guerre: « Il n’y a pas de bon
témoin [...]Sur quels points un témoin sincère et qui pense dire vrai
mérite-t-il d’être cru».
Le bon historien, sait
cependant choisir ses documents.
Dès le 15ème siècle la Donation de Constantin fait l'objet
d'une critique rigoureuse du texte (herméneutique). On retrouve cette démarche
au 19ème siècle. Ch.V. Langlois et
Ch. Seignobos définissent une
méthode qu'ils veulent rigoureuse. Depuis, tout historien digne de ce nom
soumet ses sources à une double critique.
Cette critique est externe (D'où proviennent les documents
? Sont-ils de première main ou des copies des adaptations ? ) et interne (Que disent-ils ? Que peut-on
retenir comme véridique dans le document ? ). On vérifie ainsi la validité des documents. La rigueur de
cette démarche amène Ch.V. Langlois et Ch. Seignobos à penser que « l’Histoire est une
science ».
Donation de
Constantin. Rome, Basilique des Quatre-Saints-Couronnés
Il n'empêche que le méthode est aussi critiquée.
Le raisonnement historique ne serait pas scientifique. En science, le
raisonnement est le plus souvent (mais pas exclusivement) hypothético-déductif et la démarche
est expérimentale. Pour faire simple, dans un raisonnement
hypothético-déductif, on pose une hypothèse,
on imagine par le calcul son résultat
et on confronte ce résultat à une
expérience que l'on peut reproduire
pour le valider et en faire une loi.
En voici un exemple
célèbre : il y a cent ans avec sa théorie de la relativité générale, Einstein
émet l'hypothèse que l'univers doit connaître des déformations de
l'espace-temps. Pour lui les calculs sont formels. Sauf que cette hypothèse n'a
été vérifiée par l'expérience que l'année dernière aux Etats-Unis grâce aux
détecteurs du projet Ligo qui ont repéré des ondes gravitationnelles provoquées
par la collision de deux trous noirs il y a 1.3 milliard d'années.
Source :
Commissariat à l'énergie atomique
En histoire, c'est différent. Paul Veyne
souligne que : "L'histoire [...]ne peut déduire et prévoir ". Il prend
l'exemple de la Révolution française. Il dit qu'il n'existe pas de
"théorie générale de la révolution d'où se déduirait 1789".
Cependant, l'historien
n'utilise pas les documents au hasard, au "petit bonheur la chance"
de ses découvertes. Il définit des problèmes, des questions auxquelles il tente de répondre en choisissant et
en analysant de nombreux documents
choisis. C'est ce que François Furet appelle dans L'Atelier de l'Histoire : l'"Histoire-problème".
Prenons un exemple
simple. Si nous nous posons la question de savoir si, à Mirande, les conditions
d'accueil des Harkis étaient bonnes. Celui qui se contentera des comptes-rendus
officiels pourrait avoir le sentiment qu'elles étaient satisfaisantes au risque
de chagriner des témoins dont les
souvenirs de cette période sont plutôt sombres. Il convient donc de constituer un corpus documentaire riche et
varié pour se faire une idée exacte des conditions de vie dans le hameau de
Harkis de Mirande et répondre ainsi à la
question initiale. Il est possible de proposer une problématique, plus en
accord avec les recherches en histoire coloniale d'aujourd'hui : comment
expliquer les difficultés d'intégration des harkis et descendants de harkis
dans une métropole qui, du temps de colonies, tenait un discours assimilateur ?
Il est cependant possible
de faire une objection. Les sciences réputées comme telles ont aussi leurs
limites. La démarche n'est pas toujours conclue par des expériences que l'on
peut reproduire. En astronomie, on ne peut reproduire les conditions de la
collision de deux trous noirs ou l'explosion d'une supernova. La découverte du
boson de Higgs, particule élémentaire fondamentale en physique, ne s'est faite
qu'au moyen d'une expérience que l'on ne pourra certainement pas reproduire.
On reproche également à l'historien ce qu'il dit. Mais que
dit-t-il donc ?
Pour l'Allemand du 19ème
siècle, Léopold Von Ranke, la réponse est simple : L'historien doit seulement montrer "ce qui s’est
réellement passé » Il doit donc objectivement faire le récit de la vérité. Ces
deux termes sont critiqués. Certains remarquent qu'en s'attachant à tel ou tel
personnage, en narrant de façon linéaire des faits sélectionnés, l'histoire
s'apparente à un exercice littéraire. François Furet note qu': « il n’y a pas de fait « pur » : le
fait historique est un choix intellectuel ».
Paul Veyne conclut donc :
"L’histoire est anecdotique, elle intéresse en racontant, comme le
roman.".
Faut-il rappeler cependant que si l'historien est d'un point de vue social dans l'obligation de dire la vérité, le romancier ne l'est pas. Arlette Farge le dit mieux que moi dans Des lieux pour l’histoire : " De l’histoire, il faut dire à quel point son récit est indispensable car aucune société ne peut se passer de son statut de véridicité et des protocoles de recherche qui en assurent à la fois la cohérence, la fiabilité, l’éthique. Même reformulée, revisitée sans cesse parce que réinterrogée par le présent, l’histoire est à chaque époque le récit raisonné des événements, celui qui en évite la falsification et la honte des dérapages flagrants ou des dénégations mortifères". Bien avant elle, s'était déjà le souci de l'un des pères de l'histoire: Thucydide. Celui-ci écrit dans le livre I de l'Histoire de la Guerre du Péloponnèse : « On doit penser que mes informations proviennent des sources les plus sûres et présentent, étant donné leur antiquité, une certitude suffisante ».
Si les historiens font le
récit de la vérité, pourquoi ne racontent-ils pas toujours la même histoire
lorsqu'ils évoquent les mêmes faits ou évènements. Abderahmen Moumen en
offre un exemple quand il explique que pour des historiens comme Benjamin
Stora, Mohammed Harbi ou Guy Pervillé considèrent que la
France a abandonné les harkis en Algérie contrairement à ce que pense Charles-Robert
Ageron. Alors que Raphaëlle Branche se montre plus nuancée sur la
question.
S'il est indéniable que tout historien reste influencé par sa sensibilité ce qui le rend subjectif, la diversité des récits s'explique aussi le plus souvent par l'évolution de l'état des connaissances. Le récit historique est donc une construction sans cesse renouvelées. Lucien Febvre écrivait " L'historien n'est pas celui qui sait mais celui qui cherche ". Pierre Nora ajoute dans Les lieux de mémoire : « L'histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n'est plus ».
L’Histoire avec un grand H a-t-elle un sens ?
"L'Histoire
avec sa grande Hache" Georges Perec
dans le chapitre II de W ou le
Souvenir d'enfance.
Il y a eu plusieurs tentatives
de donner un sens à l’Histoire, des essais destinés à lui donner une logique,
une finalité. Par exemple, Karl Marx, considère que l’Histoire est le
résultat d’une lutte des classes
opposant continuellement dominants et dominés et se concluant finalement par
une révolution prolétarienne permettant la disparition à terme des classes
sociales et de l'Etat. Cette vision des choses est à l’origine d’une école
historique : le matérialisme historique
qui accorde beaucoup de place à l’économie et aux rapports sociaux dans
l’explication de l’évolution de l’humanité. Problème, on peut reprocher au
matérialisme historique de minorer voire nier le rôle des individus dans
l’histoire et de déterminer ainsi les destinées humaines. Ensuite, la prophétie marxiste ne s’est
encore jamais réalisée. Même dans les pays se réclamant du marxisme les classes
n’ont pas fini par disparaître entrainant avec elle l’Etat. Le bloc soviétique
s’est effondré en 1989-1991 sans avoir vu l’avènement du stade ultime de la
lutte des classes : le communisme.
Cette dislocation fut
cependant l'occasion d'un des rares pronostics gagnants de l' histoire. On doit
en effet à l’historien Emmanuel Todd
la prédiction de la fin de l’URSS dans un ouvrage publié en 1976 intitulé La Chute finale. Il s'appuyait pour les
besoins de sa démonstration sur des signes concordant du déclin démographique
et économique de l'URSS.
On peut donner un autre
exemple de tentative de donner un sens à l’histoire avec la théorie de la Fin de l’Histoire du philosophe américain
Francis Fukuyama. Pour lui, au début des années 90, la dislocation de
l’URSS devait aboutir à la généralisation de la démocratie libérale inscrite
dans une logique d'économie de marché.
Problème : les dictatures n’ont pas
disparu et de nombreux espaces restent marginalisés dans le contexte de la
mondialisation.
On peut aussi voir
l’histoire comme un continuel progrès. L’Allemand Norbert Elias pensait
que l’histoire allait dans le sens d'une civilisation de l’Occident en ce sens
que les rapports humains devenaient moins violents, plus codifiés et pacifiés.
Il publie Le processus de Civilisation en
1939. Or les crimes commis par les nazis sont venus démentir cruellement sa
théorie en montrant que le retour à la barbarie était possible. Des années plus
tard, il s’est efforcé dans un ouvrage intitulé Les Allemands de décrire toutes les conditions historiques uniques
qui ont provoqué la « dé-civilisation » de l’Allemagne dans les années 30-40.
Il est donc difficile de
conclure que l’histoire a un sens ce qui, du coup, la rendrait prédictible. Il
existe cependant des processus sur le long terme qui résultent de la
combinaison de différents facteurs. Certains se traduisent par le progrès
d’autres par le déclin. A ce titre, j’attire votre attention sur le livre de
l’Américain Jared Diamond, Effondrement.
Il explique comment certaines sociétés comme la population de l’île de Pâques
ont pu disparaître. Il démontre que ces disparitions sont presque a chaque fois
le résultat de la combinaison de facteurs multiples liés à la dégradation
écologique, aux changements climatiques, et aux rivalités entre populations. Il
montre également qu'il y a des exceptions.
Il est donc difficile de
soutenir que l'histoire à un sens, qu'elle serait du coup prédictible ou
qu'elle pourrait se répéter. Marx note dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte
"Hegel fait remarquer quelque part que, dans l’histoire
universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour
ainsi dire, deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie,
la seconde comme farce. Caussidière et Danton, Louis Blanc et Robespierre, la
Montagne de 1848-1851 et la Montagne de 1793-1795, le neveu et l’oncle."
On lui attribue également cette citation : "L'Histoire ne se répète pas
elle bégaie".
Conclusion : Dans ces conditions, comment définir l’histoire? On pourrait la définir comme une discipline
reposant sur une technique rigoureuse de questionnement des sources pour faire
le récit sans cesse renouvelé mais vrai d'un passé auquel on peine à donner un
sens logique.
Auteur : Manuel Nérée
Bibliographie :
LEDUC J., MARCOS-ALVAREZ
V., LE PELLEC J., Construire l’Histoire, coll. Didactiques, Bertrand Lacoste,
CRDP Midi Pyrénées, 1994
Lucien Febvre, Combat pour
l’Histoire, Colin, 1953
FEBVRE Lucien, Combats
pour l'histoire, Paris, Armand Colin, "L'ancien et le nouveau",
éd.1992 (1ère éd. 1953).
VEYNE Paul, Comment on écrit l'histoire,
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BLOCH M., Réflexions d’un
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OFFENSDTADT
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Entretien
avec Paul RICOEUR, Parcours
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Dernière
mise à jour : 10-17