Série : TES Titre : Gouverner la France depuis 1946. Etat, gouvernement et
administration. Héritages et évolution
Objectifs :
Vocabulaire : gouvernement, Etat, assemblée constituante, référendum,
coalition, tripartisme, troisième force, Etat-providence, nationalisation, pronunciamento, coup d’Etat, question de confiance, motion
de censure, supranationalité.
Problématique :
Savoir-faire : Etude critique de deux documents
Sujet : Gouverner la France depuis 1946
Après avoir
présenté les documents et leur contexte, montrez, en confrontant le point de
vue des auteurs, en quoi ils montrent que la campagne électorale de 1965 est
parcourue par un débat sur les institutions et sur la politique à mener pour la
France.
François Mitterrand, Extraits transcrits de
l’allocution télévisée du 20 novembre 1965. http://www.ina.fr/video/CAF94038503/francois-mitterrand-video.html
Ce
dialogue qui commence aujourd’hui entre nous, vous, Françaises et Français et
qui cherchez en conscience où se trouve le devoir, qui vous interrogez sur ce
qu’il convient de faire pour la France le 5 décembre prochain. C’est moi
candidat unique de la gauche à la présidence de la République qui vous demande
de m’écouter et de comprendre pourquoi je fais appel à vous. Oui, ce dialogue
qui commence aujourd’hui entre nous, je l’espérais depuis longtemps. Je suis
candidat contre le général De Gaulle, contre lui seul car lui seul compte à
droite. Mais ce n’est pas une affaire facile.
Si je l’ai entreprise c’est parce que je crois de toute ma conviction
que nous sommes à la croisée des chemins. Le général De Gaulle se fait
certainement de la France une idée respectable. Mais il oublie le plus souvent
de s’occuper des français. Or où en seront les Français dans dix ans ?
Sans débouchés puisqu’on les prive de l’Europe et puisqu’on casse le Marché
Commun. Sans avenir puisqu’on stérilise
notre économie, puisqu’on lésine sur les crédits de l’Education nationale,
puisque 6% seulement des filles et des fils des ouvriers et paysans accéderont
aux postes de responsabilités dans notre société, puis qu’il nous faudrait
trois fois plus de chercheurs scientifiques, puisqu’au sortir de l’école des
milliers de jeunes gens iront s’inscrire au chômage. Mais cette situation est
sans doute normale si l’on songe que le général De Gaulle se pose des problèmes
qui concernaient nos pères, tandis que moi et toute la gauche avec moi,
j’essaie de me poser les problèmes qui concerneront nos vies. Je sais bien que
l’actuel chef de l’Etat n’ouvre pas la bouche sans expliquer que ce qui va mal
en France c’est la faute de la IVème République, comme le chantonnait autrefois
les muscadins du directoire « c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à
Rousseau ». Mais soyons sérieux, on voudrait quand même que la Vème
République qui a maintenant sept ans atteigne enfin l’âge de raison. En vérité,
depuis la dernière guerre mondiale, la France n’a pas retrouvé son équilibre
politique et nous sommes allés d’un extrême à l’autre. Sous le régime
précédent, le parlement avait accaparé tous les pouvoirs. La
IVème République s’est enlisée dans les guerres coloniales. Elle a fini
dans l’anarchie et personne ne la regrette. La Vème République, elle, c’est un
régime, propriété personnelle du général De Gaulle. Est-ce tellement
mieux ? J’ai l’impression que si le chef de l’Etat malgré les atteintes de
l’âge, veut encore sept ans de pouvoir, c’est d’abord parce qu’il ne voit autour
de lui et parmi ses amis, personne qui
soit digne d’assumer la fonction. Et c’est bien ce qu’il voulait dire l’autre
jour quand il proclamait « moi ou le néant ». C’est ensuite parce que
lui parti il sait bien que son régime est perdu et c’est enfin je le crains,
parce qu’il a cessé de croire dans les chances de la France. Je préfère je
l’avoue l’attitude d’un Winston Churchill qui en pleine gloire, son parti
battu, adresse ses veux de réussite à ses concurrents plus heureux. Car au-delà
des hommes quelque soit leur mérite, l’histoire continue et c’est douter de son
pays que de se croire irremplaçable.
Les
républicains par conviction, autant que par tradition,combattent le pouvoir
personnel, Mais est-il bien sûr qu’en 1965, la majorité des Français tiraillée
par une propagande de caractère totalitaire et fatigués qu’ils sont de cette
République anonyme ou plutôt de cette République aux mille et un visages qu’ils
ont vu défiler depuis un demi siècle, est-il bien sûr que la majorité des
Français soit hostile au pouvoir personnel. Certes, ce n’est pas nouveau, on a
déjà vu cela dans notre histoire, une République impuissante, des républicains
divisés et cela produit selon le cas un 18 brumaire avec le premier Bonaparte
ou un deux décembre avec le second. Rien d’étonnant dès lors si le 13 mai 1958
nous a rendu Charles De Gaulle. Seulement voilà, qu’est ce que le pouvoir
personnel sinon l’abandon par quelques trente millions de citoyens français de
leur destin dans les mains d’un seul homme, sinon l’abdication de la
souveraineté populaire au profit d’un guide ou d’un maître. C’est parce qu’elle
a compris cela que la gauche pour la première fois depuis trente ans s’est
enfin réunie. C’est pour cela que pour la première fois depuis trente ans, la
gauche autour de moi s’est rassemblée face à une droite dominée sans doute par
la personnalité du général De Gaulle mais profondément divisée.
Muscadin :
pendant la révolution française, nom donné à une jeunesse dorée et excentrique
hostile aux jacobins et plutôt royaliste.
Charles de Gaulle, Extraits
transcrits de l’allocution télévisée du 3 décembre 1965. http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00250/allocution-du-3-decembre-1965.html
[Préparation] Françaises,
Français, la décision que par votre vote vous allez prendre après-demain,
engagera sans doute pour toujours le destin de notre pays. C'est donc une
décision d'ensemble et qui implique un jugement d'ensemble sur la République
nouvelle ainsi que sur le Français qui a l'honneur de la présider. Il y a
sept ans, où en étions-nous ? La situation d'alors se résumait comme ceci. Le
régime des partis épouvanté par sa propre faillite abdiquait une fois de plus
ses responsabilités et laissait place à notre République. Je suis, comme
vous le savez en mesure de le dire en complète connaissance de
cause. C'est pourquoi me paraissent d'autant plus outrecuidantes les
leçons que prétendent donner des candidats qui, quoi qu'ils disent, ne
s'inspirent que du régime d'antan et qui, héritant des mêmes divisions,
procédant des mêmes combinaisons, abusant des mêmes illusions, ne
demandent qu'à recommencer. Et maintenant où allons-nous ? Cinq problèmes
essentiels, que jadis on dissimulait sous des tas de faux-semblants et
d'équivoques, faute d'être capable de les résoudre, sont effectivement réglés.
Les institutions, faites naguère pour l'impuissance, alors qu'aujourd'hui il y
a, avec le chef de l'Etat, un gouvernement qui dure et qui gouverne, un
parlement qui exerce efficacement et dignement, son pouvoir législatif. La
décolonisation qui divisait les Français, nous aliénait l'univers et agitait
notre armée et qui est réalisée. La paix que depuis un demi-siècle ou à
peu près nous n'avions jamais vraiment connue et que nous avons
retrouvée. L'inflation qui rongeait l'économie, les finances, la monnaie,
et qui au point de vue social entretenait une constante insécurité et de
perpétuelles injustices, elle est désormais jugulée. L'indépendance
reprise alors qu'on l'étouffait sous un amas de mythes mensongers. Eh
bien, c'est à partir de cette base indiscutable que nous avons marché et que
nous marchons de l'avant dans beaucoup d'autres questions très
graves. L'adaptation et l'expansion de l'industrie, de l'agriculture, des
échanges, le niveau de vie réel, et puis l'équipement et puis le logement et
puis la recherche scientifique et l'enseignement, et puis les retraites, les
sports, les hôpitaux etc. Et quant à l'étape nouvelle, elle est déjà
tracée, c'est la loi du cinquième plan, la loi du progrès social qu'a décidé
notre République et qui fixe pour cinq ans le but, la route et les moyens de la
marche à la prospérité de notre pays tout entier et de chacun de ses
enfants. Cette charte de notre prospérité et de notre progrès, il s'agit
de la mettre en œuvre et de la réaliser tout en préparant la suite pour qu'elle
soit encore meilleure et encore plus fraternelle. Au dehors, nous
entendons que l'union économique de l'Europe occidentale, qui fonctionne déjà
en partie, soit achevée entre les Six sur la base du bon sens et de la bonne
amitié. Puis qu'ensuite elle s'élargisse à d'autres pays voisins. En même
temps nous voulons aller vers l'entente et vers la coopération dans tous les domaines
et effective. Vaste entreprise que nous avons heureusement entamée avec les
pays de l'Est. Enfin, pour multiplier les liens que nous tissons avec
l'Asie, l'Amérique latine, l'Orient, liens nouveaux ou renouvelés, quelle est
et quelle sera notre tâche ? Voilà comment, la France redevenue la France,
avec sa vocation humaine, son ambition humaine et son génie de toujours, veut
aider le monde à trouver son équilibre qui est la seule voie de la
paix. Françaises, Français, en demandant à chacune, à chacun de vous le
témoignage de sa confiance, je vous offre le moyen décisif de confirmer la
République nouvelle. Si vous le faites, alors je suis certain que l'élite
de l'action et de la réussite qu'elle fait naître à mesure chez nous et la
masse profonde de notre peuple qui l'a adoptée à mon appel poursuivront sous
son égide le magnifique effort que nous avons commencé. Et je suis sûr
aussi qu'après moi la République nouvelle demeurera vivante et féconde, parce
que le peuple souverain aura marqué qu'elle est la sienne et que ce sont les
hommes dignes d'elle qu'au nom de l'avenir, il choisira pour répondre de ses
destinées. Françaises, Français, une fois de plus, devant vous toutes et
devant vous tous, j'ai pris ma responsabilité. Dimanche, vous prendrez la
vôtre. Vive la République, vive la France !