Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la seconde Guerre mondiale.

A l'occasion de la projection du film This is my land de Tamara Erde

Etude de cas  : le massacre de Deir Yassin dans les manuels scolaires

La façon dont le massacre de Deir Yassin est enseigné dans les manuels scolaires israéliens et palestiniens illustre de nombreux enjeux des conflits au Proche-Orient.

 «  En Palestine, une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième », Arthur Koestler 

Le contexte.

La situation de départ est une situation coloniale. En 1915 , la Grande-Bretagne promet au chef des Bédoins, le  Cherif al-Hussein un royaume arabe unifié s’il accepte de combattre les Ottomans. En 1917, le ministre des Affaires Etrangères britannique Arthur Balfour  fait à Lord Rothschild représentant du mouvement sioniste la promesse de l'installation d'un foyer national juif en Palestine. C'est la déclaration Balfour. La gestion coloniale britannique est cependant confrontée à l'opposition des Arabes et des Juifs. Il  y a des soulèvements et des attentats perpétrés par les plus radicaux des deux camps.

Après la seconde guerre mondiale, la shoah renforce la légitimité de la création d'un Etat juif mais les autorités britanniques s'opposent à l'arrivée de réfugiés juifs en Palestine comme en témoigne l’épisode de l’Exodus en 1946 au cours duquel des rescapés de la Shoah sont empêchés de débarquer en Palestine. En 1947, la situation n’est donc pas réglée lorsque les Britanniques confient le règlement du problème à l’ONU.  Celle-ci propose la création de deux Etats : un Etat juif (55% du territoire) et un Etat arabe. Tandis que la ville trois fois sainte de Jérusalem devient ville internationale

Les faits

 

Film promotionnel de  Crazy People Here  de Tamara Erde, source : www.tamaraerde.com/

Publié ave l'autorisation de la réalisatrice.

Dès le vote du partage par l’ONU débute une guerre civile opposant Juifs et Palestiniens. Durant  ces  combats des massacres sont perpétrés par des hommes de l'Irgoun contre des villages palestiniens comme Deir Yassine (100 à 250 victimes selon  les estimations ). De leurs côtés, des Palestiniens attaquent à Jérusalem un convoi de médecins et d'infirmières faisant 40 morts. C'est le massacre du Mont Scopus. 13 avril 1948. A la proclamation d’Indépendance en 1948, Israël est attaqué par cinq Etats arabes voisins (Egypte, Transjordanie, Syrie, Liban, Irak) C’est la guerre d’indépendance ou premier conflit israélo-arabe. Deux expressions pour un même événement car, au Proche Orient comme ailleurs, la guerre est aussi une guerre des mots, des éléments de langage.

Les débats

Pendant longtemps l'historiographie traditionnelle israélienne a considéré que les Palestiniens avaient fui spontanément ou à l'appel de dirigeants arabes. Certains nouveaux historiens israéliens considèrent qu'il y a eu une politique systématique d'expulsion des Arabes de Palestine [Ilan Pappe] D'autres considèrent que les départs sont une simple conséquence de la guerre [Benny Morris].

Pendant longtemps également, les manuels ont enseigné que les Israéliens étaient un peu comme David contre Goliath face aux armées arabes. En réalité il apparaît que les troupes israéliennes étaient souvent expérimentées. Certains avaient été entraînées par les Polonais avant la seconde guerre mondiale ou par les Britanniques pendant la guerre. Par ailleurs, le jeune Etat d'Israël  obtient un soutien matériel de la Tchécoslovaquie puis de l'URSS. Il avait donc, semble-t-il, l'avantage militaire.

Bilan

Le bilan humain est lourd. Le conflit fait près de 6000 victimes israéliennes sur une population de 650 000 habitants. Côté palestinien, les estimations varient entre 7000 et 20 000 victimes. Près de 750 000 Palestiniens se réfugient  dans des camps de réfugiés des pays arabes voisins, de la bande de Gaza, ou de Cisjordanie comme le camp de Balata. C’est la Nakba (catastrophe en arabe). 

Au terme de cette guerre en 1949, la Palestine n’existe plus. Israël gagne plusieurs milliers de km2 et possède désormais 80 % des territoires du partage de 1947.  La Jordanie annexe la Cisjordanie.

Enjeux :

 

This Land Is Mine from Nina Paley on Vimeo.

Film d'animation utilisé dans une classe par deux collègues israéliens l'une arabe et l'autre juif dans le film de Tamara Erde This is my land.

A travers ce drame apparaissent plusieurs enjeux de conflits au Proche Orient. C'est d'abord un conflit de nationalités, où deux peuples réclament le même territoire pour asseoir leurs souverainetés de façon indépendante. Dès 1948, la survie de l’État d'Israël est menacée. La sécurité est donc également un enjeu majeur. La démographie entre également en compte dans ces considérations géopolitiques.   Avec le départ de nombreux palestiniens, ceux qui restent ne pèsent plus lourd dans la population du jeune État israélien. Fin 19ème siècle, il y a en Palestine un Juif pour 40 Palestiniens. En 1946, il y a un Juif pour deux Palestiniens. En 1960, le rapport est presque de deux Israéliens pour un Palestinien. Le peuple d'Israël n'est pas uniforme : il y a donc des Arabes israéliens. Beaucoup sont musulmans, d'autres sont chrétiens il faut compter aussi avec les druzes. Il faut signaler aussi la diversité liée à l'origine des israéliens. Par exemple, il existe des rivalités entre Juifs ashkénazes d'Europe et  Juifs séfarades d'Afrique du nord.La référence à un miracle rappelle  la dimension religieuse du conflit. Israéliens et Palestiniens se disputent Jérusalem, la ville trois fois sainte. Les représentations et les identités jouent donc un rôle majeur dans l'antagonisme entre les deux peuples. C'est la raison pour laquelle ils se font la guerre par manuels interposés en dépit de quelques rares initiatives plus conciliantes et plus pacifistes. Les nuances dans les manuels israéliens montrent également que la population israélienne est divisée. Tous les Israéliens ne sont pas hostiles aux Palestiniens et au processus de paix. Nombreux sont ceux qui remettent en cause certains mythes du récit national. D'autres, à l'extrême droite, souhaitent réaliser un grand Israël par un processus qu'ils qualifient d'implantation, alors que les Palestiniens considèrent qu'il s'agit d'une colonisation. Ces derniers sont, eux aussi, politiquement divisés comme le traduit, par exemple, l'opposition entre les hamas, mouvement islamiste et le fatah, mouvement laïc à l'origine. Il existe d'autres enjeux que nous aborderons dans le chapitre général.

 

Bande annonce de This is my land de Tamara Erde, source : www.tamaraerde.com/

Publié ave l'autorisation de la réalisatrice.

 

Au delà de cela, cette étude nous permet une nouvelle réflexion sur l'Histoire. C'est en principe une science humaine avec des méthodes rigoureuses. Mais on constate qu'elle n'est pas à l'abri de partis pris idéologiques. L'Histoire peut aussi parfois être subjective si elle n'est pas écrite en respectant les règles déontologiques. C'est cette Histoire subjective qui transparaît  dans les manuels à travers un récit officiel national (narrativ en anglais) imposé aux élèves. On est alors loin de l'Histoire au sens noble du terme. Aucun pays n'est à l'abri de ce genre de dérive.  

Auteur : Manuel Nérée

Bibliographie :

ERDE T. , This is my land, 2014

Coll. Israël-Palestine, Le conflit dans les Manuels scolaires, Syllepse, 2014.

ADWAN S., BAR-ON D., MUSALLAM A., NAVEH E., L'Histoire de l'autre, Liana Levi, Piccolo, 2008.

CORM G.,  Pour une lecture profane des conflits, sur le "retour du religieux" dans les conflits contemporains du Moyen Orient, La Découverte, 2012.

Dernière mise à jour : 12/16