Titre : La Chine et le monde depuis 1949.

 

En 1919 compte tenu de sa faiblesse politique, la Chine est considérée comme « l’homme malade de l’Asie ». En 1949, c’est un pays qui sort très affaibli de la seconde guerre mondiale et de la guerre civile qui opposa les communistes aux nationalistes du Guomindang pendant plusieurs décennies. Vers 1979, s’amorce une libéralisation économique. En 1989, la démocratisation politique est refusée. En 2009, on enseigne encore que la Chine est un Etats-Continent émergent.

 

 Pb : Moins de cinq ans plus tard la Chine doit-elle être encore considérée seulement comme un ECE ? Quels sont donc les facteurs de sa puissance actuelle ? Quels sont les rapports qu’elle a entretenus et qu’elle entretient aujourd’hui avec les autres puissances ? Existe-t-il un modèle chinois de développement ? Peut-il se diffuser ?

 

Puissance : par puissance, on désigne la  capacité d’un Etat à tirer parti de la combinaison de différents facteurs (poids démographique, superficie, ressources naturelles, richesse économique, capacités militaires, poids dans les institutions internationales, rayonnement culturel) pour imposer  sa volonté aux autres.

 

I La Chine devient communiste sur un modèle soviétique….

 

a)     Elle établit  une république populaire ,…

Après avoir connu une trêve pendant la seconde guerre mondiale, la guerre civile qui oppose les nationalistes aux communistes, reprend assez vite après la capitulation japonaise. Depuis la Mandchourie au nord, l’armée de Mao devenue armée de libération nationale, progresse vers le Sud. Surpassés malgré le soutien des EU, en 1949, les nationalistes de Tchang Kai-Chek (= Chiang Kaï-Chek = Jiang Jieshi) sont obligés de se replier sur l'ile de Formose, Taïwan. Le 1 octobre 1949, Mao proclame la République Populaire de Chine (RPC) dont la capitale est Pékin. Il s’agit d’un régime totalitaire. Les nationalistes  établissent la  République de Chine à Taïwan. Bien entendu, les deux entités politiques ne se reconnaissent pas mutuellement. Seule la République de Chine (capitale Taipei)  est membre permanent du conseil de sécurité de  l’ONU.  Le Tibet est annexé en 1951.  Mais les territoires de  Macao et de Hong Kong, respectivement portugais et britannique, restent des colonies.

 

b)     Elle adopte le modèle soviétique (1949-1960)…

De 1949 à 1962, la RPC est très proche de l’Union soviétique. En 1950 est signé entre Staline et Mao un traité d'amitié, d'alliance et d'assistance mutuelle. Le bloc communiste est ainsi étoffé. Sur le plan intérieur,  Mao lance une politique économique qui s’inspire en partie du développement soviétique. Dans un pays où alors 70% des paysans ne possèdent que 20% du foncier, la terre est redistribuée par une réforme agraire et une politique d’industrialisation est amorcée. L’URSS fournit des financements, des conseillers et une aide technologique. Notamment, dans le domaine du nucléaire. C’est notamment grâce à cette aide que la Chine amorce son programme nucléaire militaire qui aboutit en 1964. La constitution chinoise de 1954 est d'inspiration soviétique.

 

c)     …et  relaie l’influence de l’URSS.

Les Soviétiques et les Chinois soutiennent ensemble la Corée du Nord communiste. La Chine intervient d’ailleurs dans la guerre de Corée (1950-1953) où la Corée du Nord soutenue par l’URSS attaque la Corée du Sud. 500 000 « volontaires » chinois participent à ce conflit. Elle soutient par ailleurs le Vietminh en Indochine. Elle lui fournit notamment les armes décisives du siège de Dien Bien Phu. La Chine est alors un satellite de l’URSS.

 

II …puis prétend s’émanciper en proposant un autre modèle (1958-1978)

 

a)     Il s’agit d’un modèle essentiellement autocentré ….

Soucieux de créer un véritable socialisme chinois, Mao met en place un nouveau modèle de développement. Il souhaite accélérer la collectivisation des terres, l’industrialisation et l’équipement en infrastructures. C’est la politique du «grand bond en avant» lancée en 1958.  La politiquée d’aménagement du territoire est alors résolument orientée vers la Chine intérieure et les campagnes. Ce mouvement est confirmé un peu plus tard, à partir de 1966, au moment de la Révolution Culturelle. Mao souhaite alors restaurer son autorité en s’appuyant sur l’armée et la jeunesse, en rééduquant les élites urbaines et en détruisant les vestiges des valeurs traditionnelles. Cette politique est cependant un échec, ses conséquences désastreuses. La Chine est  confrontée à une grande famine qui fait des dizaines de millions de morts. La pensée de Mao est quand même publiée en 1964 sous la forme du « Petit livre rouge ».

 

        b) ......que la Chine cherche à diffuser dans le monde.

 

Le rapprochement avec les pays du tiers-monde  s’amorce avec la participation du premier ministre Zhou Enlai à la conférence de Bandung en 1955. La Chine se présente alors comme un modèle révolutionnaire anti-impérialiste. Deng Xiaoping évoque en 1974 à l’ONU la théorie des trois mondes selon laquelle les pays en développement seraient confrontés à la volonté d’hégémonie des deux superpuissances de la guerre froide. Ce modèle séduit certains dirigeants du tiers-monde mais aussi une partie des intellectuels et de la jeunesse en occident. Au tournant des années 60-70, certains militants communistes français se disent maoïstes (les "mao."- La Chinoise de Godard). Le rapprochement avec l'Inde a cependant des limites. Elle entre en guerre contre cette dernière en 1962.

 

Conférence de Bandung : elle a lieu du 18 au 25 avril 1955 en Indonésie. Elle est présidée par Sukarno. 29 pays sont représentés, soit la moitié de l'humanité et 8% des richesses de l’époque.

 Les résolutions adoptées sont les suivantes : droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, souveraineté et égalité des nations, refus de toute pression des grandes puissances, règlement pacifique des conflits, désarmement, interdiction de l'arme atomique, condamnation du colonialisme et proposition de la création d'un fonds des nations unies pour le développement.

Maoisme : version du communisme selon laquelle la mobilisation politique des masses notamment paysannes doit permettre de surmonter le retard économique et politique du pays.

 

c) La rupture avec l’URSS est alors consommée

Mao reproche à Khrouchtchev, sa rupture avec le stalinisme par son rapport au 20ème congrès du PCUS en 1956 et son attitude trop conciliante vis-à-vis des occidentaux. En 1963, les conseillers soviétiques sont renvoyés. Le bloc communiste n’est donc plus monolithique. Le froid entre les deux puissances communistes se transforme même en antagonisme à la fin des années 60 comme le révèle l’incident frontalier de l’île de Damanski ou Zhenbao, en 1969, sur la rivière Oussouri qui manque de dégénérer en affrontement nucléaire.

Malgré les guerres de Corée et du Vietnam, l'hostilité de Mao contre l'URSS, le pousse à se rapprocher des occidentaux. En 1964, la France reconnait la Chine. En 1971, une équipe américaine de ping-pong se rend en Chine. On parle de « diplomatie du Ping-Pong ». La même année, la RPC  intègre le conseil de sécurité de l’ONU. Enfin en 1972, le président américain Nixon rend visite à Mao. Il compte bien profiter de la division du bloc communiste.

Dans les années 70, c’est la péninsule indochinoise qui devient le théâtre de l’affrontement entre les deux grandes puissances communistes. Les communistes vietnamiens après avoir été soutenus par les Chinois pendant la première guerre du Vietnam (guerre d’Indochine) et au début de la seconde, se tournent vers l’URSS. Le Cambodge est, lui, soutenu par la Chine. Lorsqu’en 1978, le Vietnam attaque le Cambodge, la Chine répond par une brève invasion au nord du Vietnam en 1979. C’est la guerre sino-vietnamienne.

               

III  Elle s'ouvre ensuite économiquement pour s'imposer comme une puissance non négligeable.

"Enrichissez-vous"

Deng Xiaoping

 

« Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc. Tant qu’il attrape des souris, c’est un bon chat ».

Deng Xiaoping.

 a)     La Chine fait le  choix de l’ouverture ….

Mao meurt en 1976. Deng Xiaoping s’impose difficilement au pouvoir en 1978. Il lance la même année une importante politique de réformes économiques. Il s’agit des «quatre modernisations». Cela concerne l’agriculture, l’industrie, les sciences et l’armée. Deng Xiaoping décidé également d’ouvrir de façon contrôlée la Chine vers l’extérieur. Sur le plan territorial, cela se traduit par la création en 1980, sur le modèle des zones franches des quatre dragons asiatiques,  de  quatre zones économiques spéciales (ZES), Shenzhen, Zhuhai, Shantou, Xiamen. En 1984, quatorze villes côtières sont, à leur tour, ouvertes. En 1985, sont créées les zones économiques des trois deltas (Rivière des perles, Fujian méridional et Yangzi). En 1997 et en 1999 Hong Kong (RU) et Macao (Port.) sont rétrocédés à la Chine populaire. L’aménagement du territoire privilégie désormais la Chine littorale qui reçoit alors l’essentiel des investissements directs étrangers (IDE) en provenance des pôles de la Triade mais aussi de Taïwan. Le déséquilibre entre cette partie du pays, la Chine intérieure et les provinces de l’ouest reste donc très marqué (voir schéma).  La Chine fait donc le choix d’un modèle de développement économique de plus en plus ouvert et capitaliste. Elle n’entend pas cependant être dominée. Elle impose à ses partenaires économiques des joint-ventures et des transferts technologiques.

 

ZES : espaces au statut juridique particulier attirant des entreprises étrangères grâce à des avantages fiscaux et à certaines libéralités (libre retour des capitaux et des productions, statut d’extra-territorialité).

Joint-venture : en français, coentreprise, dans le cas qui nous intéresse, il s’agit d’associer systématiquement une entreprise chinoise à une entreprise étrangère désireuse de se développer en Chine.

 b)   contrôlée (1978-1989)

En 1978, sur un dazibao, le dissident chinois Wei Jingsheng réclamait déjà la «cinquième modernisation», c’est-à-dire la démocratisation des institutions. Le soulèvement de 1978-1979  qu'on qualifie de premier printemps de Pékin ne parvient pas à l'imposer, pas plus que le  printemps de 1989. Les autorités chinoises étouffent par le massacre de la place Tian’anmen, le soulèvement d’une jeunesse chinoise qui demande de profondes réformes politiques. Dans les décennies qui suivent, la RPC multiplie  les violations des droits de l’homme (censure, camps pour prisonniers politiques -laogai- exécutions) et des nationalités (Tibétains, Ouighours). Dans le domaine social, les manifestations d’ouvriers réclamant de meilleurs salaires sont souvent sévèrement réprimées.

Dazibao : affiche murale de libre expression.

 

c) Elle s’affirme comme une puissance régionale...

Les litiges avec les pays voisins sont nombreux. Leurs motifs sont souvent territoriaux. Pour ne prendre que quelques exemples, le Japon et la Chine convoitent les mêmes rochers en mer de Chine, les îles Senkaku. Autre exemple, la Chine et l'Inde sont en conflit au sujet de la délimitation de leur frontière commune. Il serait possible de multiplier les exemples en Asie orientale.

Pourtant, la Chine reste le partenaire économique privilégié de la plupart de ces Etats. La République de Chine  taïwanaise n'est pas reconnue par la République populaire de Chine au nom du principe de "la Chine unique", pourtant des investisseurs taïwanais majeurs comme Foxconn, investissent en Chine notamment à Shenzhen pour produire des téléphones portables. Avec la Chine on peut donc très bien être adversaire sur le plan géopolitique et partenaire économique.  Ce rôle régional est conforté par les relations entretenues dans le cadre de l’OSC (Organisation de Coopération de Shanghai - Chine + Russie + Inde + Kazakhstan + Kirghizistan +Tadjikistan + Ouzbékistan + Pakistan) et de l'ASEAN + 3 (10 pays de l'ASEAN + Chine + Corée du Sud +Japon).

Géopolitique : la géopolitique est l'étude des déterminants géographiques (géographie physique, économique, humaine, historique) qui interviennent dans les stratégies de puissance et les relations entre les Etats.

 

d) ...et mondiale

Comme ses prédécesseurs Hu Jintao ou Jang Ziemin, l'actuel président Xi Jinping  essaie actuellement de maîtriser tous les aspects de la puissance.  Après une longue période de croissance à deux chiffres, c'est désormais une puissance économique de premier plan. Grâce à un yuan sous-évalué  et une intégration dans l’organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine s'est imposée comme la première puissance industrielle mondiale voire même la première puissance économique  depuis qu' en 2014,  son PIB PPA (à parité de pouvoir d’achat) est devenu supérieur à celui des EU. Désormais, la Chine réalise  plus de 16,5 % de la production  mondiale. Sur le plan financier, les capacités d'investissement de la Chine sont colossales. De nombreux pays africains, par exemple, bénéficient des ces investissements. Elle est aussi devenue le premier créancier des Etats-Unis grâce à l’achat de bons du trésor américain.

 

Longtemps considérée comme un pays en retard qui imitait les technologies, la Chine impose désormais également son smart power. C'est ce que révèlent les crispations américaines autour de la 5G que maîtrise l'entreprise chinoise Huawei. Les inquiétudes concernent également l'avance prise par la Chine en matière d'intelligence artificielle et de reconnaissance faciale.

 

 

La Chine cherche également à diffuser sa culture et son point de vue dans le monde grâce aux instituts Confucius (on en compte désormais plus de 500 dans le monde) et à des réseaux de communication comme CCTV. C’est un aspect de son soft power. Celui-ci est complété depuis plusieurs années par l'organisation de grands événements de dimension planétaire comme l’édition 2008 des jeux olympiques ou l’exposition universelle de Shanghai en 2010.

 

Sur le plan géopolitique, la Chine n'est pas isolée diplomatiquement malgré la répression de l'opposition, la tutelle sur le Tibet; la répression de la Révolution des parapluies et l'actuelle gestion de la crise politique hongkongaise actuellement. Son influence politique repose toujours sur son statut de membre permanent du conseil de sécurité mais aussi sur sa capacité à influencer un certain nombre d'Etats grâce à ses capacités économiques. Nouer des alliances diplomatiques durables est un aspect du programme de Xi Jinping, les "nouvelles routes de la soie".  (cliquez pour en savoir plus)

 

Ce projet n'est pas non plus dénué de considérations militaires. Par ses investissements la Chine garantit à sa marine l'accès à un certain nombre de ports. A ce sujet, elle est en passe d'avoir deux porte-avions en service. Il convient de rappeler qu'elle possède l'arme nucléaire et que ses effectifs militaires sont nombreux. Si bien que la Chine est selon les classements, la troisième voire la seconde puissance militaire mondiale.

 

Conclusion :

On ne peut donc plus parler d’Etat continent émergent au sujet de la Chine. Sa puissance est désormais nettement affichée même si les fortes disparités spatiales et sociales sont encore le reflet d’un mal développement. Cette puissance comme les inégalités qui marquent encore le pays, sont le reflet de choix de développement successifs. Largement dominée jusqu’en 1949, la Chine fait  d’abord le choix d’ « imiter » le grand frère soviétique. Mais Mao promeut ensuite une politique de développement valorisant la Chine intérieure mais qui doit servir de modèle à l’extérieur. C’est un échec sur le plan économique. La Chine tourne donc d’abord le dos aux soviétiques dans les années 60. Elle cherche alors à promouvoir son modèle dans le monde entiers  notamment dans les pays du tiers-monde.  A la mort de mao, elle prend ses distances vis-à-vis de la doxa communiste sur le plan économique  à la fin des années 70. Dans les années 80, elle s’ouvre donc à nouveau et participe largement à la mondialisation. Elle devient, sans libéraliser ses institutions politiques, la deuxième économie mondiale en promouvant un nouveau modèle  " l’économie socialiste de marché" (1992). Désormais,  elle ne prétend pas se contenter du rôle de puissance régionale. Elle affirme ses revendications territoriales et les Etats-Unis doivent désormais composer avec cet autre géant. Certains disent en évoquant un éventuel G2 que désormais le centre de gravité du monde se trouve dans le Pacifique.

 

Auteur : Nérée Manuel

Bibliographie :

FOUCHER M, (s.d.), Asies nouvelles,  belin , 2002.

ZAKARIA F., Le monde post-américain, Tempus, Perrin, 2001 [CDI]

DOMERGUE-CLOAREC D., COPPOLANI A., Des conflits en mutation, de la guerre froide aux nouveaux conflits, Editions Complexe, 2003.

MACLASHA Y., Lîle Damanski : l’escarmouche qui a changé le monde, Guerres et Histoire, n°4, 2011.

JOURNOUD P., HENNINGER L., Un bloc communiste uni …en apparence, Guerres et Histoire, n°8, aout 2012.

CADEAU Ivan, La guerre de Corée, Tempus, Perrin, 2015

 

 

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