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L’historien
et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France
Visite à Toulouse
" L'historien n'est pas celui qui sait mais celui
qui cherche " Lucien Febvre
.
Si
la mémoire et l’histoire ont de commun d’être des
récits du passé, la mémoire se
distingue par son caractère subjectif.
Elle peut être individuelle et collective. Dans ces conditions, elle peut être
définie comme une pratique sociale ayant pour objet la
représentation du passé et l'entretien du souvenir. En principe l’Histoire se veut plus objective. Elle affiche comme but la recherche de la vérité. Sa démarche
repose sur l’étude et la confrontation
des sources à partir d'hypothèses. Mais cette science humaine a des
limites. Pierre Nora dit d’elle qu’elle « […] est la reconstruction
toujours problématique et incomplète de ce qui n'est plus ». L’Histoire est donc une construction et
il n’y a pas, dans le domaine, de vérité définitive. Sans faire de relativisme car le récit historique
s’élabore quand même sur des faits bien
établis, c’est avec prudence qu’il convient d’aborder tout récit sur le
passé. D’ailleurs l’évolution de ce récit nous invite à être vigilants dès
qu’un discours sur le passé nous est imposé. Tous ces enjeux sont présents
quand on aborde la question de la Seconde Guerre mondiale.
Pb :
Y-a-t-il une ou des mémoires de la Seconde Guerre mondiale ? Le récit sur
cette période a-t-il évolué ? Les mémoires mises en avant sont-elles
toujours les mêmes ? L’évolution du contexte explique-t-elle l’évolution
du discours ? Face aux représentations de la société française sur son
passé douloureux, quel est le rôle de l’historien ? Parvient-il à imposer
la vérité ? S’intéresse-t-il justement à la façon dont ces représentations
changent avec le temps ?
I Les mémoires construites au sortir de la seconde
guerre mondiale (un premier régime mémoriel) ….
a) C'est d'abord la mémoire de la résistance qui est mise au premier
plan...
La mémoire
de la résistance est d’abord mise en avant. Par les dispositifs commémoratifs
(plaques, stèles,
monuments-merci Charlotte) et aussi par le cinéma. On peut citer « La
bataille du rail » de René Clément en 1946 produit par le
Comité de Libération du Cinéma français. Ce sont les débuts du résistancialisme. Ce mythe se développe
essentiellement autour de deux
résistances : la résistance
communiste d'une part et la résistance
gaulliste d'autre part. L'image du résistant est alors celle d'un homme
jeune, qui sabote par différents moyens les voies ferrées. Ce type d'action
concerne pour l'essentiel les trois derniers mois de la guerre et la réalité
est plus complexe. C'est l'époque où le parti communiste développe le thème
du " parti des 75 000 fusillés " selon lequel, les
communistes auraient payé le plus lourd tribut pendant la seconde guerre
mondiale. En réalité, le nombre de victimes communistes devrait être ramené à
25 000. Les Gaullistes mettent en avant la légitimité de l'homme du 18 juin.
Toutes
les résistances ne bénéficient pas du même traitement. La mémoire des combattants
républicains espagnols qui ont pourtant participé à la libération de Paris dans
le cadre de la 2éme DB du général Leclerc et à la libération
d'Auch (38m40s) dans le cadre des FTP-MOI
n'est pas mise en avant. Ce phénomène d’occultation concerne aussi la résistance
socialiste, la résistance non armée, la résistance féminine.
Résistancialisme : mythe
selon lequel pendant la guerre les français furent majoritairement et
naturellement résistants face au régime de Vichy.
b) ...tandis que la mémoire du génocide peine à s'exprimer.
Si
certains auteurs comme le philosophe François Azouvi contestent le mythe du « grand
silence » à cette époque là, il semble quand même que les déportés peinent
alors à faire entendre leurs voix. A titre d’exemple, le témoignage du chimiste
italien Primo Lévi publié en 1947, n’est pas traduit en France avant 1961
(première traduction). Il faut dire que
dans la France euphorique de la
libération, le témoignage des déportés dérange. D’abord, il culpabilise ceux qui n’ont rien fait.
Ensuite, ceux qui les écoutent ne
peuvent réellement imaginer et concevoir les horreurs vécues. Certains
interlocuteurs disent « mais, nous aussi nous avons souffert pendant la guerre
…. ». Pour finir, les déportés à leur retour des camps ont un sentiment de culpabilité vis-à-vis
de ceux qui ne sont pas rentrés.
c) La mémoire de la collaboration est une mémoire honteuse.
La
mémoire immédiate des relations personnelles entretenue par certaines femmes
avec l’occupant donne lieu à la pratique infamante de la tonte destinée à
marquer les esprits. Pourtant, l’épuration
officielle s’est avérée partielle et
certains parcours ou certaines
responsabilités furent volontairement « oubliés ». C’est le cas de Maurice Papon, dont la
carrière de fonctionnaire ne connaît pas de rupture de Vichy au rétablissement
de la République. Pour pouvoir d’administrer
une France en plein redressement et pour assurer une certaine réconciliation nationale qu’une forme d’amnésie est entretenue sur le passé de certains cadres de
l’Etat. Après l’épuration sommaire, l'épuration judiciaire est étendue mais
incomplète (Conan, Rousso). 50000
enquêtes sont lancées mais, finalement, peu de sanctions sont prises. En 1949,
René Bousquet, secrétaire général de la Police sous Vichy, organisateur de la
rafle du Vel d’Hiv’ n’est condamné qu’à cinq ans d’indignité nationale par
la Haute cour de Justice. Il est pourtant l’un des responsables de la
déportation de 59000 juifs de France sur les 76 000 qui furent déportés (Conan,
Rousso). Des lois d'amnistie
bénéficient aux collaborateurs français entre 1952 et 1955.
Au sortir de la Seconde Guerre
mondiale, la mémoire s’avère donc sélective. Elle oscille entre hypermnésie et occultations. Le régime mémoriel est dominé alors dominé
par la mémoire de la résistance.
II …méritent d’être rectifiées par le
travail des historiens et des témoins.
a)
Ces derniers
rappellent l’horreur du génocide et les responsabilités françaises…
A
partir du milieu des années 50, la
mémoire du Génocide refait surface. Les
témoignages deviennent plus nombreux. En 1955, le film " Nuit et Brouillard " d'Alain
Resnais et Jean Cayrol évoque les camps de concentration et
d'extermination. En 1978, Serge Klarsfeld publie à compte d’auteur Le Mémorial de la Déportation des
Juifs de France. En 1985, Claude Lanzmann
réalise "Shoah ". Dans
le même temps, des correctifs
commencent à être apportés par les
historiens. Pour commencer, en 1951, le
Comité d'Histoire de la Seconde guerre mondiale, revient sur le mythe résistancialiste
en montrant la diversité des parcours et des attitudes pendant le conflit. En
1953, le procès des responsables du massacre d'Oradour-sur-Glane pose la
question des "Malgré-nous", ces alsaciens et mosellans de la
Wehrmacht et de la division SS "Das Reich"
qui ont participé aux campagnes de l'armée allemande.http://www.ina.fr/video/ST00001299719
En 1954 est mise en place une "journée
nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation".
En 1971, sort au cinéma le film de Marcel Ophüls « Le chagrin et la pitié »
où apparait une autre image de la France pendant la seconde guerre mondiale à
travers les
accommodements voir la claire collaboration de certains. Ensuite en 1973, le livre " La
France de Vichy " de Robert-O. Paxton est traduit en Français. L'historien américain y démontre en particulier la responsabilité autonome du régime de Vichy dans le Génocide.
Shoah : mot hébreux signifiant catastrophe. Ce terme qui se
développe dans les années 80 désigne l'extermination des juifs d'Europe, permet
d'insister sur la spécificité du génocide juif.
b)
…dans un nouveau
contexte.
Celui-ci est
d’abord international. En Israël, en 1961, le
procès Eichmann pose la question de la " banalité du mal " selon
l'expression de la philosophe Hannah
Arendt (cette dernière fut un temps
internée à Gurs). L'importance de
ce procès réside aussi dans la masse de documents présentés à cette occasion.
Le procès permet également de singulariser
le crime de masse perpétré contre les juifs en les distinguant des autres
déportés. Ensuite en 1967, a lieu la
" guerre des six jours ". Par
ce conflit, les dirigeants israéliens souhaitent assurer la survie de l'Etat
d'Israël que les juifs ont obtenu au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
Exprimer à nouveau la mémoire du Génocide, renforce
la légitimité d'un Etat Israélien qui ne devrait pas être remise en cause.
Dans les mêmes années 60, en Europe
s’amorce un rapprochement avec
l'Allemagne, le sentiment
antiallemand s'estompe. Le traité de l'Elysée est signé en janvier 1963 et
il devient de plus en plus difficile,
compte tenu des réalités de la collaboration, de faire reposer l' unique responsabilité du Génocide sur l’Allemagne
nazie. Le III ème Reich est le responsable
premier (Conan, Rousso) mais la shoah est aussi un génocide européen.
En France, le
travail des historiens est facilité. La
loi de 1979, libéralise en effet l’accès aux archives. Pourtant, des
menaces pèsent encore sur la façon de présenter la Seconde Guerre mondiale.
Dans un contexte où des lois d'amnistie sont adoptées en 1951 et 1953 au
bénéfice des collaborateurs, les maréchalistes
commencent à développer l'idée selon laquelle Pétain aurait été le bouclier
permettant de protéger la France pendant la guerre et de réduire ses
souffrances sous l'occupation, tandis que De
Gaulle aurait été l'épée. Plus grave encore, dans le courant des années 80, commencent à être développées des thèses
négationnistes. Les négationnistes comme Robert Faurisson
remettent en cause l'existence des chambres à gaz en développant une
forme d'hyper-criticisme : le révisionnisme. Il s’agit en réalité d’une falsification de l’Histoire.
Le négationnisme : théorie qui nie l'existence du génocide en utilisant
la méthode du révisionnisme. Il s'agit en réalité d'une falsification de
l'Histoire. Réfutée par les historiens, elle est passible de poursuite devant
la justice (loi Gayssot, 1990).
Maréchalisme : fidélité à la personne de Pétain et à son image de
« sauveur de la France ».
III Face aux
risques d’instrumentalisation et de falsification, la mémoire et la
connaissance restent nécessaires ( le régime mémoriel contemporain)
a)
Les
responsabilités sont reconnues et la mémoire est entretenue….
Les criminels
sont jugés même si les faits sont anciens. La loi de 1964
rend les crimes contre l'humanité strictement imprescriptibles.
Ainsi, en 1987, Klaus Barbie est jugé et condamné à la prison à perpétuité.
C’est le cas également de Paul Touvier, officier de police collaborationniste
en 1994. En 1998, après seize ans de poursuite Maurice Papon est condamné à 10
ans de réclusion criminelle. Par ailleurs, la responsabilité de l'Etat français
dans le Génocide est reconnue par J. Chirac en 1995. http://www.ina.fr/video/CAB95040420.
Ce que François Mitterrand refusait de
faire considérant qu’en «1940, il y a eu un « Etat français », c’était le
régime de Vichy, ce n’était pas la République ». A ses yeux, il s’agissait
d’une parenthèse. Ce dernier, met cependant en place en 1993, après l’échec de
la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv’ en 1992, une "journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions
racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite 'Gouvernement de
l’Etat français' " fixée au 16 juillet. Si les 50 ans de la libération
du Camps d'Auschwitz n'ont pas fait l'objet d'une commémoration particulière,
les 60 ans par contre sont l'occasion d'une diffusion d'une grande quantité de
témoignages ou d'œuvres sur cette question. En 2000 est mise en place une fondation
pour la Mémoire de la Shoah présidée Mme Simone Veil qui fut
elle-même déportée. Cependant, une mémoire reste
longuement occultée : celle du génocide tzigane. Le travail de plusieurs
historiens permet cependant de rappeler l’existence en France de camps d’internement
pour les Tziganes. Depuis, une proposition de loi pour la
reconnaissance du génocide Tzigane (Porajmos
ou Samudaripen) a été déposée en 2012. Elle
n’a pas encore été votée.
En ce qui
concerne le travail des historiens, la loi a été modifiée. Depuis 2015, les
archives publiques concernant les années de la Seconde Guerre mondiale,
c'est-à-dire le fonctionnement de l'administration française sous Vichy sont
entièrement ouvertes.
Crime contre
l’humanité : c'est un crime imprescriptible. Cette notion juridique désigne
l'assassinat, l'extermination, l'asservissement, la déportation, la persécution
ou tout acte inhumain commis pour des motifs politiques, raciaux ou religieux à
l'encontre d'une population.
b)
…non sans
susciter quelques polémiques.
En 2007, le président de la République fraichement élu Nicolas Sarkozy, demande que
la lecture de la lettre de Guy Môquet soit faite dans les établissements scolaires. Cette proposition est
défendue par ceux qui considèrent que
dans ce travail de mémoire, l’exemple de l’engagement du jeune militant
communiste, permet d’édifier la jeunesse française. D’autres y voient une tentative d’instrumentalisation qui recourt à l’émotion pour imposer une mémoire selon
l'expression de Paul Ricoeur. Cette question est également posée lorsque Nicolas Sarkozy envisage de
faire prendre en charge à chacun des élèves du primaire la mémoire d’un enfant
juif déporté. Mme Simone
Veil exprime alors des réserves sur ce sujet.
Conclusion :
Il n’y a donc
pas une mais des mémoires de la
Seconde Guerre mondiale. La représentation du passé change d’ailleurs
progressivement. Cela peut s’expliquer, entre autres, par la relation dialectique qui existe entre
l‘ Histoire et la Mémoire de cette période. Au sortir du
conflit, la France et les français donnent d’eux-mêmes une certaine image à
travers le mythe résistancialiste.
Les historiens finissent par la corriger en soulignant les responsabilités du régime de Vichy et de la collaboration.
Celui-ci est co-responsable du génocide juif. La mémoire de la shoah finit par se diffuser
progressivement à travers les œuvres et les témoignages. Les représentations changent donc avec le
travail des historiens. Ceux-ci contribuent
à empêcher la falsification de
l’histoire, l’occultation ou l’instrumentalisation de la mémoire. On ne
peut donc opposer simplement Histoire et Mémoire puisque comme l’écrit Nicolas Offenstadt,
« Cette distinction n'est pas sans poser problème tant l'historien est lui
même inséré dans des enjeux de mémoire, qu'il soit partie prenante de leur
définition ou bien pris à témoin par les porteurs des identités en jeu ».
Complément :
Un travail d’élèves de1S du lycée
sur le film de Marcel Ophüls : Le Chagrin et la
Pitié.
Auteur : Nérée Manuel
Bibliographie :
JOUTARD P., Le devoir d’oubli, in La Guerre Civile, 2000
ans de Combats fratricides, l’Histoire, n°311, août-juillet 2006. [CDI]
CUBERO J. La
résistance à Toulouse et dans la région, Edtions Sud-Ouest, 2005
OFFENSDTADT
N. (sd.), Les
mots de l’Historien, Presses Universitaires du Mirail, 2004.
Entretien
avec Paul RICOEUR, Parcours
philosophique, Le Magazine littéraire,
n°390, septembre 2000. [CDI]
RICOEUR P., La mémoire, l’histoire, l’oubli, Éditions
du Seuil, coll. Points, 2000. [CDI]
NORA P. (sd.), Les lieux de
mémoire, Gallimard,1984.
PERNOT M., Un camp pour les Bohémiens, Mémoires du
camp d’internement de Saliers, Actes Sud, 2001.
http://www.lemonde.fr/societe/infographe/2010/04/05/l-internement-des-tziganes-une-histoire-francaise_1328867_3224.htm.
CONAN E.,
ROUSSO H., Vichy, un passé
qui ne passe pas, Pluriel, 2013 (Nlle ed.)
AZOUVI F., Le mythe du grand silence, Auschwitz, les
Français, la mémoire, Paris, Fayard, 2012.
Histoire et
mémoire, Page des Libraires éducation, septembre 1998.
LEROY Elrika, Toulouse, Mémoire
de rues, Guide Historique des années noires de la Résistance à Toulouse à
travers les plaques de rue et les stèles commémoratives , Mairie de
Toulouse, 2008.
Enseigner
l'Histoire de la Shoah, Mémorial de la Shoah,2011 http://www.enseigner-histoire-shoah.org/visites-pedagogiques/les-lieux-a-visiter-en-france/le-memorial-de-la-shoah-toulouse/le-memorial-de-la-shoah-toulouse.html
Musée de la
Résistance, http://musee-resistance.haute-garonne.fr/fr/index.html
Un grand
merci à Lola Grynberg-Prestat,
médiatrice au Mémorial de la Shoah à Toulouse et à Guillaume Agullo,
responsable du Musée de la Résistance.
Dernière mise
à jour : 09/16