Titre : Japon-Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales.
Une question de puissance.
En
1955, à la conférence de Bandung, la Chine et le Japon cherchent
à faire entendre leurs voix mais restent considérés comme des
puissance de second plan. Aujourd'hui leur influence et leurs puissances** sont considérables.
On entend par puissance, la
capacité d'un Etat à imposer sa volonté aux autres en
combinant un certain nombre d'atouts. Il peut s'agir par exemple, de l'entendue
de son territoire et des ressources qu'il recèle, de son
poids démographique, de ses
forces militaires (hard power*), de ses capacités
de productions économiques,
de son influence politique, de son rayonnement culturel (soft power*), de ses
aptitudes à innover (smart power*)
Mais
ces puissances sont-elles comparables ? Sont-elles rivales ?
Les conditions de la puissance chinoise et de la puissance japonaise
sont différentes. Sur le plan géographique, le Japon
est un archipel composé de 4000 îles. Situé au carrefour de quatre plaques
tectoniques, il connaît une forte activité
sismique. Il est donc exposé à de nombreuses contraintes
comme l’insularité, le relief, la relative faiblesse des ressources du sous-sol qui rendent
nécessaires les importations, les aléas
climatiques et sismiques comme l'a rappelé la catastrophe "naturelle" et technologique de Fukushima.
Mais ces contraintes furent parfois des atouts et le Japon s'est adapté
à ces conditions grâce à des aménagements
(terre-pleins, portes anti-tsunamis, constructions parasismiques).
La
Chine est, elle aussi, exposée à des aléas sismiques et météorologiques. Mais les
ressources sont nombreuses sur cet Etat-continent de près de 9.6 millions de km². La Chine est
le premier producteur mondial de charbon et de blé. Elle possède des
réserves stratégiques d’hydrocarbures dans le Xinjiang.
Elle a le premier potentiel hydroélectrique au monde qu’elle
exploite au moyen du barrage des trois
gorges par exemple. Cependant, l'exploitation de ces ressources comme le charbon ou
les terres rares* peut
s'avérer très polluante et la maîtrise du territoire est
encore très inégale En dépit de leur abondance, ces ressources ne sont pas toujours
suffisantes.
L'histoire
explique, elle, la différence de
poids politique de ces deux Etats. A la création de l'ONU, à
la fin de la Seconde Guerre mondiale la Chine obtient le statut de membre permanent du Conseil de
Sécurité de l'ONU avec droit
de véto. Mais ce n'est qu'en
1971 que la République Populaire de Chine obtient ce siège
au détriment de Taïwan. Entre
temps la RPC est devenue une puissance
nucléaire ( voir leçon sur la Chine et le monde depuis 1949).
Le Japon sort vaincu de la Seconde
Guerre mondiale à l'occasion de laquelle il avait tenté d'imposer
sa domination sur la Chine et une bonne part du continent asiatique.
Désormais, sa constitution lui interdit d’avoir une
armée et il se dispense de l'arme nucléaire.
Il
se rattrape sur le plan
économique. En effet, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le
Japon s’engage dans un développement
économique rapide qui repose sur la théorie du vol
des oies sauvages* (schéma).
Le Japon connaît ainsi une période de «haute croissance».
Ce modèle de développement s’est ensuite diffusé dans les autres pays asiatiques. Le
modèle de développement de la Chine est d'abord communiste. Mais,
à partir des années 1980, cette dernière fait aussi le
choix de l'ouverture économique. en créant des zones
économiques spéciales (ZES), Puis, en ouvrant en 1984, quatorze
villes côtières. Enfin, sont créées les zones
économiques des trois deltas (Rivière des perles, Fujian
méridional et Yangzi). En 1997 et en 1999 Hong Kong (RU) et Macao
(Port.) sont rétrocédés à la Chine populaire et
deviennent des régions d’administration spéciales.
Les piliers de la puissance de ces deux Etats sont
donc différents mais quelles relations entretiennent-ils dans ces
conditions ?
Les deux puissances sont rivales. Sur
le plan économique, le Japon s’impose un temps comme la seconde puissance économique
mondiale. Il est alors, à lui seul, l’un des pôles de
la triade. Mais le modèle de développement japonais commence
à connaître ses limites au début des années 90.
On observe alors un ralentissement de la croissance. En 1997 et
1998, le Japon est impliqué dans la crise financière asiatique.
La Chine elle apparaît alors comme un pôle de stabilité. Elle connaît des taux de
croissance annuels à deux chiffres. En 2001, elle
intègre l’OMC. Elle s’ouvre aux productions à
haute valeur ajouté du nord mais elle accède à son tour au
marché des pays industrialisé. Finalement en 2010, elle finit par s’imposer comme la deuxième
puissance économique mondiale, voire comme la première, si on considère le PIB à Parité de Pouvoir d’Achat (PIB-PPA). Elle
représente désormais 16.5%
de la production mondiale. Elle est donc passée du statut de pays
en développement à celui d’Etat-continent
émergeant puis à celui de puissance majeure. Désormais,
Shanghai, que certains
considèrent comme une ville
globale, est, avec ses tours, son quartier d’affaire de Pudong et son port de Yangshan ,le reflet de cette puissance et de son intégration dans la
mondialisation. Cependant, les disparités socio-spatiales sont encore les signes d'un mal-développement
chinois persistant. Le phénomène des mingong*, ces ruraux qui se rendent clandestinement dans les espaces
urbanisés du littoral pour travailler, illustre ces insuffisances. Le
Japon conserve, lui, un PIB par
habitant 10 fois supérieur à celui de la Chine et s'impose
toujours grâce à son smart
power. Il consacre, en effet plus de 3.5% de son PIB à la recherche et développement. Son
influence passe également par la diffusion
de sa culture à travers différents supports.
Les
deux puissances sont également adversaires sur le plan géopolitique. C'est d'abord un héritage. Une véritable guerre
des mémoires se manifeste lorsque des chinois contestent les
hommages rendus par les autorités japonaises aux militaires responsables
des crimes de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Les tensions sont
également liées à des enjeux territoriaux et de ressources. Ainsi la Chine revendique l’archipel
de Senkaku situé en mer de Chine. Il faut
dire que d’importantes réserves d’hydrocarbure sont
soupçonnées dans la ZEE* de ces îles. Les incidents
se sont multipliés depuis quelques années.
Pourtant, de façon
paradoxale, elles sont liées sur
le plan économique. Les échanges
entre la Chine et le Japon sont nombreux. Par exemple, le Japon est le
troisième investisseur en Chine derrière Hong Kong et
Singapour. La Chine est de loin le premier fournisseur du Japon en
matière commerciale. Il existe donc entre la Chine et le Japon comme
dans toute l' Asie orientale, des relations d’interdépendance.
Au
delà de cette rivalité, quel rôle ces deux puissances
entendent-elles jouer sur le plan régional et international ?
Les deux puissances cherchent à
s'affirmer comme des puissances régionales et mondiales. La Chine fait valoir ses revendications territoriales. L’Arunachal Pradesh et l’Aksai Chin sont l’objet
d’un différend entre la
Chine et l’Inde. Elle convoite les îles Paracels comme
le Vietnam et Taïwan. Les îles Spratleys sont
une source de contentieux entre la Chine, le Vietnam,
le Brunei, la Malaisie, Taiwan, les Philippines et
l’Indonésie. On parle au sujet de la stratégie menée
par l'Empire du milieu en Mer de
Chine de la stratégie de la "langue
de buffle". Son influence s’étend également
dans l'Océan Indien avec la « stratégie du
collier de perles » qui lui garantit l'accès à un
certain nombre de ports. Son
principal allié dans la région est le turbulent Kim Jong-Un
(Corée du Nord). Sur le plan
militaire, la Chine poursuit le développement de ses
capacités en se dotant de missiles Donfeng
supplémentaires et de porte-avions.
Elle s'apprête à construire le troisième bâtiment du
même type doté d'une catapulte comparable à celle des
navires américains et du Charles De Gaulle français. La marine
chinoise peut être considéré désormais comme la
deuxième mondiale. Son vote pèse dans les négociations onusiennes
au sujet de la Syrie par exemple. Face au Japon et aux Etats-Unis, elle
rappelle le principe de "Chine
unique" en niant la pleine
souveraineté de Taïwan. Même si les capacités
militaires chinoises sont loin d'égaler celle des Etats-Unis il convient
de noter que la Chine a, grâce aux milliers
de $ en bons du trésor américains a les moyens d'exercer
sur lui son soft power*.
Face
à cette puissance, le Japon ne se contente pas de la protection des Etats-Unis qui disposent
d’une base militaire importante à Okinawa. Depuis quelques
années, il cherche à avoir plus
de poids sur le plan géopolitique. Depuis 1954, il a
constitué, en dépit de l’article 9 de sa constitution, une
force d’autodéfense que certains considèrent comme la quatrième armée du monde
en termes de puissance de feu. Le Japon a également envoyé
des hommes en Irak en 2003. Il souhaiterait avoir un siège de
membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. La
Chine, cependant, s’y oppose. Depuis 2013, le premier ministre Shinzo Abe développe une
stratégie « pacifique active ». Le message
s’adresse à ses voisins.
En
conclusion on note donc que ,dans la concurrence qui oppose le Japon et
la Chine, on assiste donc à une forme de chassé croisé
entre les deux puissances. Après la défaite de la seconde
guerre mondiale, le Japon a surmonté un certain nombre de ses
contraintes et concentré ses efforts sur le développement
économique pour devenir la seconde puissance dans ce domaine.
Aujourd’hui, il est désormais dépassé par la
Chine. On peut parler de réémergence au sujet de ce
pays longtemps considéré comme un pays du Sud, un Etats-continent
en développement. Les contentieux entre les deux pays sont anciens
et nombreux mais un paradoxe caractérise leur
rivalité. Leur antagonisme n’empêche pas les relations
économiques.
Les
efforts de la Chine en font désormais une puissance régionale
à prétention mondiale,
notamment face aux Etats-Unis. Bien que la puissance du Japon ne repose
pas sur les mêmes bases, on pourrait la qualifier de la même façon.
En effet, limité dans le domaine politique et militaire depuis 1945, le
Japon n’a pas renoncé à une influence à la
hauteur de ses capacités économiques. Il reste un géant
économique mais il n’est plus un nain politique
(Philippe Pelletier).
09/18