Séries : TS, TL

 

Titre : Dans le contexte de la mondialisation : espaces maritimes et puissances.

Une approche géostratégique de la mer, des océans et des littoraux

 

Les incidents qui ont opposé en 2014 les Chinois et les Japonais pour le contrôle des îles Senkaku rappellent l’importance prise par les espaces maritimes dans le contexte d’une mondialisation.

 

Problématique : les espaces maritimes font-ils la puissance des Etats ?  Les Etats ont-ils la puissance permettant de maîtriser les espaces maritimes ? Les espaces maritimes sont-ils valorisés dans le contexte de la mondialisation ?

 

Puissance : capacité d’un Etat à imposer sa volonté aux autres en combinant différents facteurs (le poids démographique, les ressources d’un territoire plus ou moins étendu, le développement économique, l’influence géopolitique, les capacités militaires, le rayonnement culturel, etc…)

Géostratégie : analyse des espaces motivée par des enjeux militaires ou de puissance.

Mer : étendue d’eau salée en communication libre et naturelle. Convention des Nations Unies -1982.

Plateau continental : en géomorphologie, il s’agit d’un prolongement d’un continent sous la mer à des profondeurs n’excédant pas les 2500 m.

Espaces maritimes : les espaces maritimes sont au sens strict les espaces couverts par la mer. Mais dans cette étude, il peut être intéressant de travailler aussi sur les littoraux qui sont au contact entre terre et mer.

Littoral : au sens strict, bande comprise entre le niveau des plus basses mers et celui des plus hautes mers (estran). Au sens élargi, il s’agit d’une zone de contact entre mer et terre.

 

 

I Des espaces dont les….

a)     …ressources sont immenses

C’est au fond des océans que la vie est certainement apparue. Aujourd’hui encore c’est grâce aux espaces maritimes (EM) que les sociétés humaines satisfont une partie de leurs besoins. On y trouve des gisements d’hydrocarbures. Ainsi en 2010, la découverte du gisement LIBRA au Brésil multiplie par deux les réserves du pays. Certains gisements font l’objet d’une exploitation off shore. Ils deviennent alors une ressource. On a également découvert des nodules polymétalliques qui constituent une potentialité intéressante pour l’avenir. Il s’agit là cependant de ressources non renouvelables. Le sable est aussi une ressource. Les réserves mondiales sont estimées à 120 millions de milliards de tonnes

La ressource halieutique est également primordiale pour nourrir 7 milliards d’êtres humains.  La moyenne annuelle des captures de poissons dans le monde est de 90 millions de tonnes.

 

Les EM offrent cependant également des ressources renouvelables. Au large, le vent a le mérite d’être généralement plus  puissant et constant. Les stations éoliennes off shore commencent à peine à se développer notamment au RU. Dans ce domaine, le programme allemand est plus ambitieux que le programme français mais notre littoral atlantique commence à être équipé. La force marémotrice est également utilisée mais son exploitation est rendue moins rentable par la vulnérabilité du matériel dans un milieu corrosif.

La disponibilité et la valorisation de ses ressources peut donc renforcer le poids économique des Etats qui en disposent.

 

Ressource : élément présent dans un milieu dont une société peut tirer parti pour assurer son développement.

Potentialité : qualité d’un milieu qui pourrait être mise en valeur.

Ressources renouvelables : ressources qui peuvent être renouvelées à court terme, dans la mesure du temps humain.

Ressources non renouvelables : ressources qui ne se renouvellent pas à l’échelle du temps humain. Leur formation demande des millions d’années.

Halieutique : qui relève du domaine de la pêche.

 

b)     …convoitées

Pendant longtemps les espaces maritimes ont  été considérés comme des espaces sans droits ou des espaces communs. Mais depuis le 20ème siècle, la tendance est à la territorialisation des mers et des océans. Les Etats cherchent à prolonger au large leurs espaces continentaux. Certains parlent également de nationalisation de la mer. Les règles définies par la convention de Montego Bay  en 1982 sont les suivantes :

Sur les 12 nautiques de la mer territoriale s’exerce la pleine souveraineté des Etats. C’est ce qu’on appelle communément les eaux territoriales. Ils peuvent éventuellement être prolongés de 12 nautiques. On parle alors de zone contigüe. Au-delà, s’étend la zone économique exclusive sur 200 nautiques. Là, l'Etat réglemente l'exploration et l'exploitation mais la navigation reste libre. Ce contrôle peut  aller au-delà  si la preuve est faite que le plateau continental se prolonge au delà des limites de la ZEE.

 

Ceci explique la mise en œuvre d’opérations sous-marines largement médiatisées consistant pour les uns à planter un drapeau au pôle nord, pour les autres à démontrer le prolongement de leur plateau continental sous l’océan arctique. A des milliers de kilomètres du territoire métropolitain des forces navales françaises cherchent à faire respecter la ZEE qui entoure les Kerguelen. En  Asie orientale, la Chine revendique les îles Senkaku/Diaoyutai.

 

Mille nautique : 1852 m.

 

 

c)     …mais aussi limitées et menacées

 

Mais à l’heure où certains EM sont à peine convoités, leurs ressources sont déjà menacées. La surpêche rend nécessaires des mesures conservatoires. Selon la FAO, 75 à 80% des espèces de poissons sont déjà en surpêche.

La capture de baleines est désormais interdite et le thon rouge fait l’objet de quotas de pêche. L’UE interdit les filets dérivants Au-delà de cette surexploitation, les espèces marines sont également menacées par la pollution. Démonstration est faite désormais de la présence en quantité nocive pour l’homme de métaux lourds dans l’organisme des poissons commercialisés.

Cette pollution s’explique moins par les accidents spectaculaires comme le naufrage de supertankers (Prestige-Erika) ou l’explosion de plateformes (Deepwater Horizon en 2010) que par les effluents domestiques et industriels. Les pollutions liées aux naufrages ne représentent que 5% de la pollution des mers. Il faut compter avec le déballastage et avec 70 à 80% des pollutions qui viennent de la terre. On voit ainsi apparaître des îles de déchets ou des continents de plastique à la dérive sur certains océans ou encore des marées vertes liées à des phénomènes d’eutrophisation. Il existe également des zones mortes où la vie marine est très limitée..

Les espaces maritimes sont donc immenses mais pas infinis.

 

 

II Ils  sont parcourus par …..

 

a)     … les  flux de la mondialisation

Dans le contexte de la mondialisation, c’est par les océans que transite une part importante des marchandises. Pour Michel Foucher c’est même l’une des caractéristiques de la globalisation. Le transport maritime offre l’avantage de permettre l’acheminement de grandes quantités à des prix acceptables. Le conditionnement par conteneur inventé par l’américain Mac Lean dans les années 56-60 limite de façon intermodale les ruptures de charges. Ceci explique que 80% du commerce mondial transite par la mer.  Mais ce mode de transport est lent et il impose des délais parfois difficiles à tenir compte tenu des aléas naturels,  de l’engorgement des ports ou des  passages obligés et de la piraterie. Les routes maritimes les plus fréquentées passent par le Pas-de-Calais et par le détroit de Malacca (200-250 navires/j). D’ailleurs, les flux transpacifiques dépassent désormais les flux transatlantiques. Les espaces maritimes reflètent donc les dynamiques de la mondialisation.

Plus surprenant mais non négligeable, les EM  s’inscrivent également dans les flux de capitaux. En effet, pour beaucoup, les paradis fiscaux sont des îles ou des territoires littoraux. Or on estime à 7000 milliards les actifs contrôlés par les paradis fiscaux. En 2011, le total des actifs off shore représentait 8% du PIB mondial. 

Le chapitre précédent sur les mobilités nous a rappelé également que les migrants pouvaient passer du Sud au Nord en empruntant la mer. Les naufrages dramatiques rappellent tristement la dangerosité de ces traversées. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), depuis le début de l'année 2016, 130000 réfugiés sont arrivés en Europe par la Méditerranée. Les mers du monde sont également parcourues par des touristes amateurs de croisières. L’Europe reste d’ailleurs la première région de production de paquebots dans le monde. 

Enfin, à l’heure d’internet, il convient de rappeler l’importance prise par les câbles sous-marins transocéaniques dans les flux d’informations. Ainsi 90% des communications passent par des câbles posés dans les océans. Depuis, 2014 un câble sous marin permet de multiplier par quatre les flux d’informations transatlantiques.

Les espaces maritimes contribuent donc au rétrécissement du monde.

 

Intermodalité : système permettent de passer d’un mode de transport à un autre sans modifier le conditionnement des marchandises.

 

b)     Dans un contexte de libre circulation plus ou moins contrôlée…

Dans ces conditions le contrôle des  flux et de la navigation est un enjeu majeur. Depuis le 20ème siècle, la tendance est à la réglementation internationale.  En haute mer  (blue water) la libre circulation est le principe fondamental. Il fut réaffirmé par la Charte de l’Atlantique en 1941. Depuis 1948, l’OMI qui dépend de l’ONU définit pour 170 pays (2011) les règles de circulation et de sécurité.  Les détroits et les canaux font l’objet d’une attention particulière. Les Etats-Unis ont rétrocédé au Panama le canal du même nom mais bénéficient encore de conditions privilégiées. En 1956, la nationalisation du canal de Suez que Nasser a provoqué un conflit.

Concernant les flux de personnes, la politique de renforcement des contrôles aux frontières extérieures. Dans le cadre de l’espace Schengen, des moyens importants sont dévolus au volet maritime du programme FRONTEX. Mais les Etats peuvent chercher à étendre leur contrôle au-delà de ce qui est communément admis. Par exemple, compte tenu des risques pour la ville d’Istanbul, l’Etat turc souhaiterait renforcer son contrôle de la navigation marchande sur le détroit du Bosphore. 

Dans le domaine des flux d’informations, on sait également que la NSA (National Security Agency) américaine est capable d’ « intercepter » les messages qui transitent par les câbles sous marins.

Cependant, par endroit on voit le contrôle des océans échapper aux puissances. On a relevé en 2011, 439 actes de piraterie. Les principaux foyers se trouvent en Asie aux abords du détroit de Malacca et à l’est de l’Océan indien au large de la Somalie et de l’Océan indien. Le sous-développement, l’affaiblissement des Etats ou encore la pollution et la surpêche peuvent expliquer la recrudescence des abordages. La taille des navires attaqués a de quoi impressionner. Le phénomène remet en cause la sécurité de certaines routes et de certains approvisionnements, si bien que les armateurs ont de plus en plus recours à des forces armées privées embarquées. Ils organisent avec les Etats des convois que des task forces cherchent à sécuriser. Désormais, le nombre d'actes de piraterie est de 246 (chiffres 2015)

 

 

FRONTEX : agence européenne pour la sécurité et les frontières extérieures.

OMI : organisation maritime internationale. Elle cherche à harmoniser les règles de la navigation internationale.

Task force : force opérationnelle militaire créée temporairement pour exécuter une mission précise.

Haute mer : partie des océans sur laquelle ne s’exerce la juridiction d’aucun Etat (64% des océans)

 

c)     …qui rend nécessaire la possession d’une puissance navale

 

Sir Walter Raleigh " Quiconque contrôle la mer contrôle le commerce, quiconque contrôle le commerce mondial, contrôle les richesses mondiales, et conséquemment le monde entier" 

 

Les Etats  doivent donc entretenir une marine pour sécuriser la circulation  et protéger les territoires. De ce point de vue, les Etats-Unis ont une avance quantitative et qualitative qu’aucune nation n’est prête à rattraper. Ils sont les seuls à pouvoir maintenir six flottes complètes réparties sur les différentes mers et océans à la grande satisfaction d’ailleurs de leurs principaux alliés (Taiwan, Japon  Corée). Comme d’autres, ils maîtrisent la technologie des sous-marins nucléaires  mais en outre ils possèdent un monopole technologique sur les catapultes nécessaires au décollage des aéronefs sur certains porte-avions. Ils suivent dans leur déploiement les principes définis par Alfred Mahan (The Influence of Sea Power on Industrie) qui considérait que la puissance reposait sur la maîtrise des mers.

Si récemment certains Etats ont vu leur puissance navale décliner comme, un temps, la Russie après la dislocation de l’URSS, d’autres au contraire s’affirment. Ainsi la Chine, l’Inde et le Brésil se dotent de porte-avions. Par ailleurs, la Chine déploie au sud de la mer de Chine et dans l’océan Indien sa stratégie du « colliers de perles » en établissant des partenariats garantissant l’accès à de nouveaux ports en contrepartie de généreux investissements (Maldives, Bengladesh, Birmanie). Ces accords sont  essentiellement économiques. Militairement, cet aspect de la puissance chinoise est encore en devenir.

Sur le plan géostratégique, on voit donc se dessiner une nouvelle hiérarchie des puissances maritimes à l’image de l’émergence de nouvelles puissances dans le contexte de la mondialisation.

 

 

III Entre terre et mer, des littoraux …

a)     ……valorisés

Bien avant les deux dernières phases de la mondialisation, on observe une tendance à la concentration des populations et des activités sur les littoraux. Désormais 1/3 de l’humanité vit à moins de 100 km des côtes. La cité-état de Singapour est la seconde au monde pour les densités  de population avec une moyenne de 7898 hab. /km2. On peut donc parler de littoralisation. La localisation des trois mégalopoles et des grandes conurbations offre une illustration de ce phénomène. Dans ces espaces les densités sont telles qu’elles créent des situations d’exigüité. Des aménagements sont alors nécessaires pour l’installation d’activités secondaires ou tertiaires. C’est ainsi que sont apparu dans les années 60 les premiers terre-pleins industriels au Japon avec le mouvement de la sidérurgie sur l’eau. Désormais des réalisations du même type existent également pour les aéroports comme celui du Kansai au Japon ou le Chek Lap Kok à Hong Kong. On constate d’ailleurs que ces mégalopoles jouent souvent un rôle d’interface. Les façades maritimes les plus actives sont d’ailleurs la façade asiatique, la Northern range et la façade atlantique des Etats-Unis. Ningbo (Chine) , premier port mondial avec 889  millions de tonnes de marchandises/an en 2015 devance Shanghai (717 Mt/an) Singapour ( 574Mt/an).  Rotterdam, premier port européen est au 9ème rang (466 Mt/an).

Ces interfaces mettent en relation leurs arrière-pays respectifs avec le reste du monde. L’existence d’axes de communication complets et performants  détermine  la profondeur de l’hinterland. De même le dynamisme de l’hinterland peut expliquer l’intensité du trafic des ports de la façade maritime. C’est ce qui explique l’activité du port de Rotterdam, premier port européen. Mais il existe des ports très actifs qui ne sont pas pourtant en relation avec un hinterland  terrestre dynamique. Il s’agit des ports d’éclatement ou hub portuaires qui permettent de rediriger les marchandises conteneurisées (Gioia Tauro en Calabre- Dubaï au Moyen Orient Port Saïd en Egypte).

Avec l’élévation du niveau de vie et la démocratisation partielle des loisirs, l’attractivité des littoraux a été renforcée pour leurs fonctions balnéaires. Dans le cas de la Méditerranée, on peut même parler de révolution du littoral qui de répulsif est devenus attractif. On trouve désormais des stations balnéaires et des marinas dans les pays du sud comme dans les pays du nord. En Méditerranée, Hammamet peut être considéré comme le pendant tunisien du Cap d’Agde ou de Benidorm. La Méditerranée est d’ailleurs le premier foyer touristique mondial avec 30% des touristes du monde. Il existe cependant un risque de surexploitation de ces aménités littorales. On parle d’ailleurs de baléarisation pour désigner la tendance au bétonnage des côtes.

 

 

Schéma :

 

Interface : zone de contact entre deux espaces différents. Elle est plus ou moins animée par des échanges (interfaces ouvertes, fermées). Elle marque malgré tout une discontinuité.

Hinterland : Arrière-pays : (Hinterland) partie continentale en arrière d'un port constituant son aire d'approvisionnement et de desserte.

Baléarisation : urbanisation excessive du littoral.

Mégalopole : espace densément peuplé urbanisé de façon quasi continue, jouant souvent un rôle d’interface et concentrant des fonctions décisionnelles.

 

 

b)     … de façon différenciée.

Cependant, il ne faudrait pas imaginer que la valorisation des littoraux est systématique. Le Japon offre un premier exemple de discontinuité de la mise en valeur et de l’occupation. On distingue ainsi le Japon de l’endroit densément peuplé et urbanisé du Japon de l’envers, plus faiblement occupé. Sans faire de déterminisme, il convient de rappeler que toutes côtes ne sont pas  propices aux activités humaines.  La présence de récifs de haut fonds ou de barres peuvent en limiter l’accès. Ici  comme ailleurs  la contrainte est  relative puisque ces côtes dangereuses offrent aussi parfois dans les rias, les criques, les baies, les calanques ou les fjords des conditions d’abris en cas de tempête ou de recherche. Ces sites sont d’ailleurs exploités par les pirates contemporains ou les trafiquants dans le cadre de la mondialisation illicite. C’est le cas d’une vingtaine de baies somaliennes.

Ces espaces moins anthropisés peuvent être protégés pour la richesse de leur biocénose. Ils servent d’ailleurs de réserves naturelles comme le parc naturel du Delta du Saloum au Sénégal qui abrite une magnifique mangrove. Aujourd'hui, Singapour cherche à sauver sa mangrove qui ne représente plus que 0.5% du territoire.  Il fait l’objet d’une exploitation touristique raisonnée. On évoquer également le rôle en France du conservatoire du Littoral. Dans le contexte de la mondialisation illicite les littoraux difficiles d’accès peuvent servir d’abris.

 

Mangrove : formation végétale des eaux saumâtres des littoraux tropicaux.

 

 

Conclusion :

Les ressources des espaces maritimes relevant de la souveraineté des Etats contribuent donc à leurs puissances,  à la condition que ces derniers disposent des moyens nécessaires pour faire valoir leurs droits. Ces moyens sont également nécessaires pour assurer la libre circulation des flux de la mondialisation ou, au contraire, pour les empêcher. Les espaces maritimes sont donc le reflet de la puissance ou de la volonté de puissance des Etats. Mais cette importance prise par les mers dans le contexte de la mondialisation ne doit pas occulter que l’exploitation non raisonnée des ressources immenses peut s’avérer contraignante et peut déprécier un milieu qui n’est pas infini.

 

Auteur : Nérée Manuel

 

Bibliographie :

 ROYER Pierre, Géopolitique des mers et des Océans, Qui tient la mer tient le monde, Collection Major, PUF, 2012 [CDI]

Le Canada va cartographier le Pôle Nord, Lefigaro/AFP, le 09/12/2013.

 

Dernière mise à jour : 12/17

 

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