L'émergence du tiers-monde


Le Tiers-Monde désigne l'ensemble des pays issus le plus souvent de la décolonisation n'appartenant ni au bloc de l'est, ni au bloc de l'ouest. En référence au Tiers-état d'ancien régime, Alfred Sauvy désigne aussi ainsi les pays à la recherche du développement.     

Quelles sont les étapes de la décolonisation ? Le processus de décolonisation est-il le même dans toutes les parties du monde et dans tous les empires coloniaux ? Peut-on établir une typologie de ces processus ?Le  concept de tiers-monde est-il donc pertinent pour décrire l'ensemble des pays issus de la décolonisation ? Peut-on alors parler alors à l'époque d'un tiers monde ?

I Les indépendance ...

c)    ... demandées par  différents mouvements nationalistes

Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, se développent des mouvements indépendantistes. On peut distinguer parmi eux les mouvements traditionalistes dont les revendications s'appuient sur les valeurs locales traditionnelles (mouvement des frères musulmans en Egypte- ulémas en Algérie).Il y a également des mouvements modernistes pour lesquels la lutte pour l'indépendance doit passer par une modernisation de l'économie et de la société. (Néo-Destour de Bourguiba en Tunisie, l'Union Démocratique du Manifeste Algérien de Ferhat Abbas). Enfin, apparaissent également des mouvements d’inspiration marxiste. Selon ces derniers, l'accès à l'indépendance doit s'accompagner de la mise en place d'une société de type socialiste. (Ligue pour l'indépendance du Vietnam ou Viet- Minh d'Ho Chi Minh de son vrai nom Nguyên Al Quôk). En Inde, le Parti du congrès fondé en 1885, est plus difficile à classer. Gandhi n’hésite pas à mettre en avant des valeurs traditionnelles dans sa lutte, tandis que Nehru pense que des réformes sont nécessaires pour moderniser l’Inde. Il a d’ailleurs une certaine admiration pour le plan quinquennal soviétique. En 1942, le parti du Congrès adopte la résolution Quit india où il demande l’indépendance de l’Inde comme condition d’un soutien au Royaume-Uni en guerre.

 

d)     dans un contexte  qui semble devenir favorable….

 

A l'occasion du conflit, l'Éthiopie (Italienne depuis 1936) accède à l'indépendance en 1942 puis la Syrie et le Liban (placés sous mandat français par la SDN en 1920) en 1944. Dans les territoires placés encore sous domination coloniale, la légitimité de ceux qui demandent des droits supplémentaires est renforcée par leur participation à la Seconde Guerre mondiale. Dans l’empire britannique, 2 millions d'indiens combattent pour la couronne. Les forces françaises de la France libre sont en partie constituées de soldats d'Afrique noire et du nord. Des africains et des antillais (dissidents) participent ainsi au débarquement de Provence en août 44 comme le rappelle le film Indigènes. Par ailleurs, les puissances coloniales européennes sont affaiblies par la guerre. Par exemple, le 10 mars 1945, les japonais proclament une première fois l’Indépendance du Vietnam dans le contexte de la fin de la guerre pour gêner la France. De plus, les deux grandes puissances du moment, les Etats-Unis et l’URSS, se disent anti-colonialistesA Yalta, en février 45, Staline réclame l'indépendance des peuples colonisés. Enfin, avec la création de l’ONU se met en place une véritable tribune pour les revendications nationalistes. L’organisation joue d’ailleurs un rôle de médiatrice dans certains processus (Ethiopie-1945, Libye-1952). Les puissances coloniales font également des promesses à leurs colonies. En 1944, dans son discours de Brazzaville (Congo), De Gaulle promet une plus grande participation des peuples à la gestion de leurs territoires sans proposer l'indépendance. Mais en mai 45, à l’occasion de la libération, à Sétif en Algérie, éclate une émeute. Le drapeau algérien est brandi, 88 européens sont tués. La répression fait entre 20000 et 100000 (selon les sources) algériens tués dans le constantinois. Les britanniques promettent également une nouvelle constitution à l'Inde. Dans l'empire français le  travail forcé est aboli en avril 46 et en mai 46, la  citoyenneté est reconnue à tous les ressortissants des territoires d’outre-mer. Cependant, il n’est pour l’instant pas question d’indépendance pour les colonies.  


Self-Governement : transfert aux populations colonisées de la responsabilité politique intérieure.
Autonomie : statut d'un pays qui reste sous souveraineté étrangère mais qui obtient la responsabilité des affaires intérieures.



c) sont obtenues en plusieurs étapes.

 De 1946 à 1954, la première étape de la décolonisation est essentiellement asiatique. 1946: Philippines (E-U); 1947: Inde- Pakistan(GB); 1948: Birmanie (G-B); 1949: Indonésie (Pays-Bas); 1951: Libye (Italie); 1953 : Laos (Fr) Cambodge (Fr); 1954 : Indochine.( accords de Genève)).De 1954 à 1964, la deuxième étape est essentiellement africaine. (1956: Maroc- Tunisie- Soudan (condominium anglo-égyptien) ; 1957 : Ghana ;1958: Guinée; 1960: Colonies françaises d'Afrique noire- Madagascar- Congo belge (Zaïre)-Nigeria- Somalie (Italie); 1961: Tanzanie (G-B); 1962: Algérie (accords d'Evian); 1963: Kenya (G-B); 1964: Rhodésie (Zimbabwe). A partir de 1965, il y a également des indépendances tardives. Elles concernent pour beaucoup des colonies portugaises et espagnoles ( 1968: Guinée équatoriale (Esp.); 1974: Guinée-Bissau (Port.); 1975: Mozambique- Angola- Cap-Vert -Sao Tomé et Principe (Port.); 1976: Sahara occidental (Esp.); 1990: Namibie (sous domination Sud africaine).Au total, le processus de décolonisation semble plus précoce dans l'empire britannique. Le Royaume-Uni semble adopter une attitude plus souple. Cependant, il convient de noter que les dernières colonies britanniques d'Afrique sont indépendantes après les dernières colonies françaises du même continent.

 

d) …selon des processus différents.

Certaines indépendances sont acceptées ou négociées. En Inde, par exemple, Gandhi  (appelé Mohandas-la grande âme) use de la non-violence pour obtenir le départ des anglais (jeûnes, boycott et différentes formes de désobéissance civile). Mais certaines manifestations indiennes sont réprimées extrêmement brutalement. On ne peut parler d’indépendance strictement pacifique. La Grande-Bretagne représentée par Lord Mountbaten,  finit cependant par accepter l'indépendance de l'Inde en 1947. Le Royaume-Uni n’a pas le monopole des indépendances négociéesLa France accorde également l’indépendance  au Maroc et à la Tunisie en 1956 selon un processus comparable où de graves crises politiques avec violences aboutissent à la concession de l'indépendance. De plus, en 1958, elle propose à ses colonies d'Afrique subsaharienne trois possibilités : conserver le même statut, (Côte française des Somalis, Comores), devenir des États autonomes au sein de la communauté française (la plupart des colonies africaines)  ou faire sécession (Guinée de Sékou Touré dès 1958). En 1960, les colonies africaines françaises qui avaient opté pour la deuxième solution deviennent indépendantes mais avec des liens diplomatiques et économiques très étroits avec la France (France-Afrique).

 

Certaines décolonisations sont refusées de prime abord. C'est le cas à Madagascar ou en mars 1947, la France réprime l'insurrection en faisant plusieurs milliers de morts. C'est le cas aussi en Indochine (1946-1954), en Algérie (1954-1962). Cependant, la France n’est pas la seule à connaître des indépendances difficiles. Ainsi les britanniques répriment-ils très brutalement révolte des Mau-Mau au Kenya en 1952. Les Pays-Bas quittent  l’Indonésie après un long conflit (1947-1949). Les indépendances de  Angola (1961-1975), de la Guinée-Bissau (1963-1974) et au Mozambique (1964-1975) sont également obtenues à l’issue de guerres meurtrières.

III à l'affirmation politique des pays du tiers-monde.                                                                                                                 

Les pays décolonisés parviennent-ils alors à s'affirmer sur la scène internationale en dehors de chacun des deux blocs ?


a) une volonté réelle de constituer une force politique non-alignée.                                                                                         
Ce mouvement se développe d'abord en Asie où les indépendances sont plus précoces. Les représentants des gouvernements asiatiques se réunissent à deux reprises à New Delhi en 1947 et en 1949. A l'ONU est formé un groupe Afro-asiatique qui tente de promouvoir une politique indépendante des deux blocs.                                                                                                                                                        
Du 18 au 25 avril 1955, a lieu la Conférence de Bandung en Indonésie. Elle est présidée par Sukarno. Sont représentés 29 pays, soit la moitié de l'humanité et 8 % des richesses : Afghanistan, Arabie Saoudite, Birmanie, Cambodge, Ceylan, Chine populaire, Côte de l'or ( Ghana), Egypte, Ethiopie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Libéria, Libye, Népal, Nord- Vietnam, Pakistan, Philippine Soudan, Sud- Vietnam, Syrie, Thaïlande, Turquie, Yémen.                                                                                                                                                  
Les résolutions adoptées sont les suivantes : droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, souveraineté et égalité des nations, refus de toute pression des grandes puissances, règlement pacifique des conflits, désarmement, interdiction de l'arme atomique, condamnation du colonialisme et proposition de la création d'un fonds des nations unies pour le développement. Remarque : Au sujet de Bandoung, dans un contexte où les indépendances africaines n'étaient pas acquises, le sénégalais Léopold Sedar Senghor a déclaré que ce fut " un coup de tonnerre dans un ciel serein" .

Dans ce contexte, la nationalisation du canal de suez par Gamal Abdel Nasser, apparaît comme une affirmation politique face aux deux puissances coloniales la France et le Royaume-Uni qui avaient là des intérêts économique. A l'occasion de cette conférence émerge l'idée du non-alignement. Cette notion fut ensuite définie à l’occasion de la conférence de Belgrade par Tito, Nehru et Nasser en 1961.

La crise de Suez en 1956 est aussi le reflet de l’émergence politique du tiers-monde. En effet, cette année là, Nasser nationalise le canal de Suez. Il remet ainsi en cause les intérêts financiers britanniques et français de la compagnie qui gérait le canal. Les deux Etats européens interviennent avec l’aide de l’armée israélienne mais sous la contrainte diplomatique des Etats-Unis et de l’URSS, ils sont obligés de se retirer. Leur puissance est donc remise en cause.


Non-alignement: Mouvement réunissant de nombreux pays du tiers-monde et la Yougoslavie refusant la domination des deux grandes puissances. En 1966 à la Havane, les pays non alignés appellent à la lutte anti-impérialiste. On sent déjà à cette occasion qu'il est difficile pour les pays du tiers-monde de ne pas tomber dans l'un ou l'autre des deux camps. En 1973 à Alger, les pays non-alignés revendiquent un nouvel ordre économique mondial.


b) un non-alignement difficile à tenir.                                                                                                                                             
Mais en réalité ces pays sont souvent divisés. Rares sont ceux qui échappent totalement à l'influence d'un des deux grands. Nehru se présente comme un véritable neutraliste tandis que Nasser se rapproche des soviétiques. Enfin, le Pakistan est pro-occidental.


c) La création d'organisations régionales dont le rôle est finalement limité.                                                                             
Des organisations régionales se mettent en place. Elles cherchent à remédier aux crises politiques que traversent les nouveaux états et à les unir.La Ligue Arabe est créée en 1945. Elle parvient peu à peu à regrouper la totalité des pays arabes. Son hostilité à Israël lui sert de ciment. Le panarabisme est promu en particulier par Nasser. Seulement, les conflits existent dans la Ligue Arabe. En 2003, il lui fut impossible d'adopter une résolution commune au sujet de l'Irak.À Accra, en 1958, le Ghanéen Nkrumah inaugure une série de conférences panafricaines qui aboutissent en 1963, à Addis-Abeba, à la création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA).Parmi les principes affirmés par l'OUA devenue entre-temps Union Africaine, il y a la solidarité entre les États africains, le respect des frontières issues de la colonisation, non-ingérence et respect de la souveraineté des états. Cependant, elle peine à maintenir la paix sur le continent et elle tolère dans ses rangs les pires dictateurs.


Panarabisme :Doctrine politique visant à unir tous les peuples de langue arabe et à développer entre eux des liens de solidarité.  

Panafricanisme : Doctrine politique, mouvement tendant à regrouper, à rendre solidaires les nations du continent africain.            
Conclusion : la volonté d'exister sur la scène internationale en dehors des deux blocs est donc réelle. On peut donc parler de tiers-monde. cependant, on constate qu'il est difficile pour de nombreux états de rester hors de l'orbite d'un des deux grands. En outre, l'efficacité des organisations régionales est limitée.


d) ) la diversification des tiers-monde.

Cette diversification des tiers-monde s'accélère à partir de 1970. Elle est pour beaucoup liée à la variété des modèles de développement choisis et à leurs fortunes diverses.                                                                                                                                                                 

Dans les années 60, la Corée du Sud, Taiwan, Singapour et Hong Kong furent les premiers pays d'Asie orientale à choisir sur le modèle japonais, un développement par étapes successives allant dans le sens d'une ouverture croissante de leurs économies. Aujourd'hui, ils ne font déjà plus partie du Sud ou du tiers-monde. Ce sont des NPIA, Nouveau Pays Industriels Avancés ( Remarque : certains désignent par NPIA, des Nouveaux Pays Industriels Asiatiques).

Dans les années 70, d'autres pays asiatiques firent le même choix de développement : la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, l'Indonésie. Ce sont des NPI ( Nouveaux Pays industrialisés) . Le Mexique et le Brésil sont aussi qualifiés de NPI, même si les modèles de développement furent différents. Voir la leçon de géographie sur le Brésil.

Seulement, un certains nombre de pays, pour beaucoup en Afrique, sont restés à l'écart de ce développement.

En 1968, les Nations Unies créèrent donc la notion de PMA (pays les moins avancés). Ce sont les pays les plus pauvres. Leurs PIB/hab, leurs taux de scolarisation et leurs niveaux d' équipement industriel sont faibles Leurs économies sont peu diversifiées. On en compte aujourd'hui 48 , situés pour la plupart sur le continent africain. Parmi ces PMA, on peut citer , l'Ouganda, Haïti, le Rwanda.
Les Pays à revenus intermédiaires sont des pays qui n'ont pas les handicaps des PMA mais qui tardent cependant à se développer durablement. Le cas de l'Algérie qui a tenté de se développer sur un modèle socialiste d'industrie industrialisante est à ce titre intéressant. La question qui se pose à son sujet est de savoir qui du modèle ou des dirigeants corrompus est responsable des difficultés persistantes de l'Algérie.

Les pays exportateurs de pétrole, pays "riches mais non-développés" selon Paul Bairoch, ont largement profité de l'augmentation du prix du baril qu'ils ont largement organisée dans les années 70. Seulement aujourd'hui encore, l' industrialisation et les progrès sociaux sont insuffisants .

Conclusion générale : L'expression tiers-monde désigne donc bien un ensemble de pays en développement au sortir de la période coloniale. Elle désigne aussi des états désireux d'avoir un rôle sur la scène internationale en dehors des deux grands blocs. Cependant, on constate que rares furent les pays strictement non-alignés. Enfin, l'expression sous développement sert à évoquer des réalités très contrastées. Il est donc peut-être plus pertinent d'utiliser l'expression tiers-monde au pluriel pour rendre compte d'une réalité plus complexe.