Les modèles américain et soviétique, la bipolarisation du monde et la Guerre Froide de 1947 à 1975.

à travers la crise de Cuba


La constitution américaine est publiée en 1787, elle connaîtra par la suite de nombreux amendements. La constitution de l'URSS est revue en 1936 par Staline. Ces textes dont le rôle est de définir la répartition des pouvoirs, les relations entre citoyens et institutions, précédent donc la période qui nous intéresse. Cependant ces cadres prennent un sens nouveau dans le contexte de la guerre froide qui naît au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, E-U et URSS s'affirment désormais comme des modèles.
Existe-il des principes communs à ces modèles ? Partagent-ils les mêmes valeurs ? Quels sont les éléments qui les distinguent ? Quelles sont leurs limites respectives ?

 

I  Des principes communs affirmés et affichés…
a) Les deux régimes affirment être des démocraties.
Pour les Etats-Unis, le modèle est celui de la démocratie libérale. Le système représentatif s'appuie sur le suffrage universel pour désigner les représentants. Dans le cas de l’élection présidentielle, ce suffrage est indirect.
Le président des Etats-Unis est en effet élu par des grands électeurs (270 au moins  sur 538). Les pouvoirs sont par ailleurs séparés. Le Président est chef de l'exécutif. Il est à la fois chef de l'Etat, du gouvernement et de l'armée. Le gouvernement n'est nommé par lui n’est d'ailleurs responsable que devant lui. Le Congrès comprenant  la Chambre des Représentants (435 membres élus pour deux ans) et le Sénat (100 membres élus pour 6 ans, renouvelable par tiers tous les deux ans) exerce le pouvoir législatif. La Cour Suprême détient le pouvoir judiciaire. Elle juge les différents entre les Etats et l'Etat fédéral, entre les citoyens et l'Etat. Elle peut annuler les lois votées par le Congrès et les décrets du Président.
Les américains sont également très attachés aux libertés fondamentales.

Pour l’URSS, le modèle est celui de la démocratie populaire.  En principe, le peuple a le pouvoir. Le suffrage universel est affirmé dans la constitution de 1936 dont Staline dit qu'elle est " la plus démocratique du monde ".
Le suffrage universel permet de désigner un pouvoir législatif :" le soviet suprême ". L'exécutif est confié à un pouvoir collégial élu par l'ensemble des députés " le praesidium ".La constitution affirme en principe d'autres droits : égalité des sexes, liberté de conscience , de parole, de presse, de réunion, d'association ou de pétition et des droits sociaux ( loisirs, instruction et travail). On a donc toutes les apparences d'une démocratie.

 

Démocratie libérale : régime où les libertés fondamentales sont respectées et où existent plusieurs partis politiques.

Démocratie populaire : régime où il n'existe qu'un parti, le parti communiste qui représente la classe ouvrière.


b) Les deux Etats sont en principe des Etats fédéraux.
Les Etats-Unis forment un Etat fédéral comptant 50 états. Chacun d’entre eux  possède sa constitution, son gouverneur et deux chambres (à l'exception du Nebraska). Leurs pouvoirs sont assez importants dans le domaine de la justice ou de l'enseignement.
L'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) est aussi en principe selon la constitution, un état fédéral comptant 15 Républiques. La constitution de 1924  prévoyait que ces dernières  bénéficient d’une certaine autonomie.

c) Le patriotisme, une valeur commune aux deux Etats.

Le patriotisme serait la seule valeur également partagée par les deux pays dans un contexte de guerre froide. Aux Etats-Unis l’amour du drapeau est grand et on parle également de fierté américaine (American pride)
En URSS, le nationalisme présenté comme soviétique mais essentiellement russe est mis en avant par Staline et Jdanov pour consolider le régime.

Conclusion : Sur le principe, les références affichées par les deux modèles sont les mêmes. En est-il de même du point de vue de la réalité et du fonctionnement des institutions ?

II …Mais des modèles foncièrement différents.
a) L'un des régimes est démocratique, l'autre pas.
Le système politique américain est un régime présidentiel qui reste strictement démocratique. 
Le chef de l'Etat possède un droit de veto qui lui permet de contrôler en partie le pouvoir législatif. La Cour est constituée par un groupe de 9 juges nommés à vie par le Président. Mais il existe des limites aux pouvoirs du président. Ainsi, la procédure d'impeachment permet au Congrès de renverser le président en cas de trahison ou de forfaiture. Par ailleurs, aux E-U, il y a pluripartisme. Deux partis dominent la scène politique américaine. On parle de bipartisme.

Le parti démocrate fut fondé par Jefferson en 1792. C'est un caricaturiste républicain, Thomas Nast, qui représente pour la première fois le parti Démocrate sous la forme d'un âne en 1870.
Le parti républicain fut crée en 1854. Il est représenté depuis 1874 par un éléphant à la suite d'une caricature faite du général Ulysses Grant.
Il existe également aux Etats-Unis des
candidatures indépendantes, même si elles n'ont aucun poids réel dans les élections.

 

 

Economie

Politiques sociales

Valeurs

Républicains

Libéraux

En principe, les républicains sont favorables à des réductions des dépenses de l’Etat dans ce domaine afin d’alléger les impôts.

Conservateurs.

Les républicains sont en principe opposés à l’avortement, au mariage homosexuel, à l’interdiction du port d’armes à feu et à l’abolition de la peine de mort.

Démocrates

Libéraux.

En principe, les démocrates acceptent plus facilement l’idée d’une intervention de l’Etat dans ce domaine.

En principe les démocrates sont favorables au maintien de dépenses de l’Etat dans la Santé et l’Education.

Libéraux -progressistes

Les démocrates sont plus nombreux à être favorables à l’avortement, au mariage homosexuel, à l’interdiction du port d’armes à feu et à l’abolition de la peine de mort.

 

 

En URSS, Staline met en place un système totalitaire à parti unique.
C'est le parti qui détient le pouvoir au nom de l'idée selon laquelle le PCUS est l'avant garde du prolétariat qu'il représente. Le système de listes de candidats uniques définies par le parti limite l'expression de la souveraineté populaire.

En réalité, au sommet du parti, Staline dirige seul. Il est secrétaire général du PC, président du conseil de ministres et maréchal de l'armée rouge. Il contrôle toutes les nominations des cadres du parti. Les organisations politiques sont peu ou rarement réunies : le congrès n'est jamais réuni entre 1939 et 1952, le comité central est réuni deux fois seulement en 1945 et en 1962. Par ailleurs, sont mis en place des moyens de terreur. Le parti communiste a été épuré à l'occasion de la grande purge de 1937-1939.Beria dirige le NKGB, qui succède au NKVD. Les opposants politiques sont envoyés dans des goulags. En outre, se développe un véritable culte du chef qui déifie véritablement Staline. Par exemple, en 1948 paraît une biographie abrégée (en plusieurs volumes) de Staline où on peut lire que Staline est " le plus grand des chefs " et " le plus grand stratège de tous les temps ".
Enfin, dans la réalité, l’URSS est un Etat centralisé. Les républiques ont peu de pouvoirs.

 

Forfaiture : Crime commis par un fonctionnaire dans l'exercice de sa fonction.


Conclusion : On peut donc affirmer que le système Stalinien est un système totalitaire où le fédéralisme et la démocratie ne sont que de façade.

 

b) Des logiques économiques opposées.  
Le libéralisme, principe selon lequel l'économie se régule seule sans intervention de l'Etat, est la base du système économique américain. Tandis que le système économique soviétique repose sur l’étatisation, la planification et la collectivisation des moyens de production. L'état contrôle également le commerce extérieur.

Planification : Le système économique est dirigé sur la base de plans établis par un organisme : le gosplan. Celui-ci définit les besoins de la population et les productions nécessaires pour les satisfaire. En principe les plans sont établis pour 5 ans.
Des secteurs importants de l'économie sont nationalisés.
Nationalisation : l'état devient propriétaire des moyens de production.
L'agriculture est collectivisée.
Kolkhoze : coopérative d'exploitation qui reçoit les terres de l'Etat propriétaire du sol. Le salaire du Kolkhozien dépend du temps de travail et des revenus du kolkhoze.
Sovkhoze : ferme d'état placée sous l'autorité d'un directeur. Chaque travailleur reçoit un salaire fixe comme un ouvrier d'usine.


b) Des valeurs spécifiques à chacun des deux modèles.
Les valeurs spécifiques de la société américaine.

La religion a une place importante dans la société américaine. Aujourd’hui 80% des américains se disent croyants. Cependant, contrairement à une idée reçue la Constitution américaine et la Cour Suprême sont les garants d'une véritable séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le mythe américain s'est construit sur la confiance en l'initiative individuelle et l'esprit de conquête. «Go west young boy”, conquête de l'espace," self-made man", image du pionnier.

La société américaine est en principe multiculturelle, basée sur le mythe du melting pot.
Melting pot : Idée selon laquelle les immigrants se fondraient dans un creuset assimilateur aux Etats-Unis. Certains considèrent aujourd’hui que le principe du creuset assimilateur a disparu au profit d’une simple coexistence des communautés. On parle alors de Salad Bowl.
Les valeurs spécifiques de la société soviétique.

Dans la société soviétique, l'individu s'efface devant l'intérêt collectif. Par exemple, la jeunesse est encadrée et endoctrinée dans des structures comme les Komsomols. La liberté de conscience est niée. La religion est considérée comme aliénante. Elle est qualifiée d'opium du peuple. Enfin les nationalités ne sont pas reconnues et sont soumises à un processus de russification. Il y a des déportations dans les républiques où on observe des résistances. Entre 1940 et 1953, 200 000 baltes sont déportés

 

III L’évolution des modèles dans les années 50 et 60, reflet des limites de chacun d’entre eux.

a) La remise en cause du Stalinisme et ses limites

Sous Khrouchtchev, la volonté affichée d'en finir avec le Stalinisme. Le régime devient  moins personnel

Les fidèles de Staline (Beria, Malenkov, Molotov) sont d’abord écartés du pouvoir.  Des millions de détenus politiques sont libérés. Les institutions politiques importantes sont réunies plus régulièrement (comité central du PC est réuni 6 fois entre 1953 et 1953).Enfin en 1956, à l'occasion du 20ème congrès du PC, K. lit un rapport où il dénonce les crimes staliniens et le culte du chef.

Sur le plan socio-économiques, K. souhaite développer l'industrie de consommation et d'équipement. Il veut augmenter les capacités de logement en URSS. Le temps de travail est diminué. L'âge de la retraite est abaissé. (55 ans pour les femmes 60 ans pour les hommes). Il réforme l'éducation en la rendant plus égalitaire. (Enseignement secondaire gratuit, bourses attribuées selon le niveau de ressource).En politique étrangère, K renoue avec Tito. Apparaît l'idée selon laquelle il peut exister plusieurs voies vers le socialisme.

Mais la rupture avec le modèle soviétique n’est pas totale. Le parti conserve le monopole du pouvoir. Il n'y a pas d'extension de la démocratie. La population reste surveillée. En 1954, le NKGB devient KGB. Les démocraties populaires restent contrôlées. En 56, des soulèvements éclatent en Pologne et en Hongrie. Gomulka maintient le principe de démocratie populaire alors qu’Imre Nagy en Hongrie souhaite abandonner ce modèle. L'insurrection hongroise est donc réprimée par les chars russes. Imre Nagy se réfugie dans l'ambassade de Yougoslavie, Il n'en sort que contre la promesse de la liberté. Il est enlevé emprisonné en Roumanie et condamné à mort en 58 par un tribunal soviétique. La construction du mur de Berlin est une autre manifestation de l’effritement de la coexistence pacifique. Khrouchtchev souhaite que la ville de Berlin soit rattachée à la RDA ou placée sous le contrôle de l'ONU. Il veut également  limiter l’émigration de nombreux allemands de l’est. Les autorités est allemandes construisent donc un mur de 113 km de long  autour de Berlin Ouest en 1961

K. rencontre par ailleurs des difficultés.  Il échoue sur le plan économique. Il est confronté à l'opposition de la nomenklatura. Enfin, il recule en 62 à l'occasion de la crise de Cuba. K. est donc finalement à son tour écarté du pouvoir en 1964.

Sous son successeur, Brejnev, on assiste à un renforcement de l'autorité et l’URSS sombre à nouveau dans l’immobilisme. Les adversaires du régime sont arrêtés. Au sujet des démocraties populaires, est établie une doctrine Brejnev selon laquelle les démocraties populaires ont une souveraineté limitée. La priorité est accordée à l'internationalisme. Au Vietnam et au Cambodge, les communistes cherchent à étendre le modèle.

 

Nomenklatura : Liste des fonctions administratives les plus importantes dans le système soviétique. Par extension, désigne la classe de privilégiés.

 

 

b) L’apogée et les doutes du modèle américain.

Dans les années 50, les Etats-Unis affirment leur modèle sur le plan international.

Les Etats-Unis prennent la tête des démocraties libérales.  (voir « la constitution des blocs »)

Durant cette période, la puissance économique américaine s'affirme également. En 1955, les Etats-Unis réalisent 50% de la production de biens mondiaux. A cette époque, les E-U connaissent la prospérité. Le niveau de vie moyen des américains augmente. En 1960, par exemple, 80 % des familles possèdent déjà des téléviseurs. C'est à ce moment que se développe l' " American way of life ".

On assiste au développement de la classe moyenne, celle des cols blancs (employés aisés).

Mais le modèle américain connaît des limites dans les années 50 et 60

Même si, la Cour Suprême affirme le principe d'égalité de tous les citoyens américains y compris des minorités et  rend la ségrégation à l'école anticonstitutionnelle en 1954, les pratiques ségrégationnistes ont la vie dure. En 1955, Martin Luther King est encore obligé d'appeler au boycott des compagnies de transport qui pratiquent la ségrégation. De même, en 1957, il faut l'intervention des troupes fédérales pour faire admettre des enfants noirs dans une école à Little Rock. Les inégalités sociales restent fortes. En 1947, 4 familles sur 5 ont des revenus inférieurs à 5000$ /an.

De plus, dans le contexte de la guerre froide, les E-U craignent l’ennemi de l’intérieur. C’est le Maccarthysme. Entre 1950 et 1954, Joseph McCarthy, sénateur républicain du Wisconsin, organise une véritable "chasse aux sorcières" prétendument destinée à éliminer le danger communiste de l'intérieur. Des fonctionnaires, des artistes, des intellectuels font l'objet d'enquêtes. Les époux Rosenberg sont même exécutés à la suite d'un procès bâclé pour trahison. La liberté d’opinion principe fondamental de la démocratie américaine est donc remise en cause.

John Fitzgerald Kennedy représente alors un espoir.

Il lance une  politique de la " nouvelle frontière ". Il s’agit d’engager les EU sur la voie de la conquête de l’espace, de la lutte pour l'égalité des Noirs et des Blancs, de la relance de l'économie, de  l'arrêt de l'expansion communiste dans le monde

Dans le cadre de cette politique, est proposé  un programme d'assurance médicale pour les personnes âgées ( Medicare), un projet d'aide à l'instruction et la suppression de la discrimination raciale dans les lieux publics. En 1961, les agents fédéraux interviennent dans l’Etat du Mississippi pour permettre l’inscription d’un étudiant noir à l’Université. Kennedy soutient Martin Luther King, et le rencontre lors de sa marche sur Washington en 1963.

Mais l’assassinat de Kennedy en 1963, suivi de ceux en 1968, du pasteur Martin Luther King et Robert Kennedy, frère et conseiller du président  sèment le doute dans  la démocratie américaine. La contestation se radicalise. L'action des minorités pour la revendication de leurs droits se radicalise. Ainsi en 1964 des émeutes éclatent dans 100 villes. Apparaissent alors les Blacks Muslims qui refusent tout contact avec les blancs, le Black Power de  Malcolm X et  le Black Panther Party, créé en 1966 par Bobby Seale et Huey Newton à San Francisco. Les autres minorités se manifestent également. En 1969, les indiens occupent la prison d'Alcatraz soutenus par les noirs et les chicanos.

La guerre du Vietnam et le rejet de la société de consommation sont à l'origine d'une profonde contestation estudiantine. Dès 1964, éclate la première révolte universitaire à Berkeley. Des artistes aussi dénoncent la société de consommation. C’est un aspect du  pop art américain dont Andy Warhol  est l’un des chefs de file.

Enfin le leadership mondial est difficile à maintenir. Johnson engage officiellement, les Etats-Unis dans le conflit du Vietnam en 1964. Mais le succès attendu ne vient pas. Les Etats-Unis s'enlisent. En 1967, on dénombre déjà 15 000 morts américains. L'image des E-U champion de la liberté et de la paix est ternie. (Ils y ont perdu plus de 50 000 hommes. Le conflit a fait plus de 300 000 blessés et à coûté 150 milliards de $). Les Etats-Unis redorent leur blason en plaçant le premier homme sur la lune en juillet 1969.

 

Conclusion :

Dans les années 50, pendant l'un des sommets de la guerre froide s'affrontent deux modèles qui mettent en avant quelques principes communs : la démocratie, le fédéralisme. Cependant en réalité c'est un véritable système totalitaire qui est en place sous l'autorité de Staline. Le système politique américain peut être qualifié de démocratique mais il n'est pas sans connaître quelques lacunes graves notamment dans le domaine de l'égalité et de certaines libertés fondamentales pourtant chères aux américains. A l'exception du patriotisme, les valeurs américaines et soviétiques sont profondément différentes. L'individu et la religion sont loin d'avoir la même place dans les deux sociétés.

 

Par la suite, si  Khrouchtchev  rompt avec le stalinisme, il n’abandonne pas les principes de la démocratie populaire et du marxisme-léninisme. La contestation reste impossible. Ce n’est pas le cas par contre aux EU. Dans les années 60, les présidents démocrates développent l'intervention de l'Etat pour compenser avec difficulté certaines limites du modèle. Cela n’empêche pas une certaine radicalisation de la contestation. Dans ce contexte, troublé par les assassinats de JFK, MLK et RK, certains américains doutent de leur modèle.