Les bases de l’État-providence
A la fin du confinement quand le championnat
de Premier League a repris au Royaume-Uni, on a vu fleurir sur les maillots des
joueurs des cœurs bleus avec le sigle de la NHS, le Service National de santé
du Royaume-Uni. Il s'agissait de remercier le personnel de santé et de le
saluer pour son engagement. Or, il faut savoir que ce service est né en 1948
dans le contexte de l'après-guerre. Il est le symbole de ce que les
britanniques appellent le welfare-state,
autrement dit l'Etat-providence.
Le
second conflit mondial a-t-il favorisé l'émergence de l'Etat-providence dans
les économies des pays industrialisés ?
Dans
le contexte de la Seconde Guerre mondiale
Welfare-state : expression inventée
en 1941 par William Temple, futur Archevêque de Canterbury. Selon cette
expression, l'état devient à la fois le garant
du bien-être social et de la sécurité
économique.
I
L'intervention de l'Etat dans l'économie n'est pas une nouveauté.
a) Rappel : ce fut déjà une réponse à
la dépression des années 30.
Nous l'avons démontré dans un chapitre
précédent : pour relancer l'économie dans les années 30, plusieurs Etats ont
tenté des politiques de relance. Les
totalitarismes font eux le choix du dirigisme
économique. (voir
leçon)
b) Pendant le Seconde Guerre mondiale,
le rôle de l'Etat se renforce dans les régimes totalitaires comme dans les
démocraties libérales.
En Allemagne, le dirigisme est encore plus affirmé à partir de 1942, quand le pays
rencontre les premiers revers et que le pillage des territoires dominés ne
suffit plus. En URSS, un Comité d’Etat pour la Défense (GKO) dirige tous les
domaines de l’effort de guerre.
Le Royaume-Uni, pays de tradition libérale, met en place de façon paradoxale, comme
le souligne l'historien Eric Hobsbawm, un État centralisé planifiant l’économie de guerre de manière plus précoce et plus
efficace que l’Allemagne nazie. Dès le 8
janvier 1940, est mis sur pied un système
de rationnement permettant une distribution égalitaire des ressources. Un War Cabinet composé de 5 puis de 11
membres assure la concertation des différents ministères concernés par l'effort
de guerre.
II A la
fin de la Seconde Guerre mondiale, le modèle de l'Etat-providence s'impose dans
de nombreux pays occidentaux.
a) Il est annoncé avant même la fin du conflit.
Alors que la fin de la guerre s'annonce, le modèle dirigiste des totalitarismes est
globalement rejeté dans les pays occidentaux. Mais, au Royaume-Uni, un mois
avant la fin de la guerre, le discours du roi au nouveau Parlement, inspiré par
le programme travailliste, promet des
mesures immédiates pour nationaliser les
mines de charbon et la Banque d'Angleterre.
En 1944,
le programme du Conseil National de La Résistance (CNR) créé par Jean Moulin en
1943, envisage
la mise en place d’un modèle reposant sur les principes de solidarité et d’égalité. Il demande des nationalisations dans le secteur de l’énergie et de la finance. Il
appelle de ses vœux la mise en place d’une retraite
par répartition et la création de la
sécurité sociale. L'idée est d'établir une forme de république sociale.
Parti
travailliste
: parti politique britannique d'inspiration socialiste.
b) Des mesures adoptées dès la fin du
conflit.
Au Royaume-Uni, les nationalisations annoncées par le gouvernement travailliste de
Clement Atlee, sont mises en oeuvre en 46 et ne prennent fin qu’en 1951. En
1946-1948 fut créé un Service National
de Santé (NHS) et fut votée une loi sur l’assurance nationale.
En France, le préambule de la constitution de la IVème République adoptée en 1946
affirme le droit au travail, à la protection de la santé, à l’éducation afin d’établir une République
sociale. Comme le prévoyait le programme du CNR, d'importantes réformes sont réalisées de 1944 à 1946. La Sécurité Sociale
est créée en 1945. Elle regroupe les caisses d'assurance maladie, d'accident du
travail, de vieillesse, d'allocation familiale. Par ailleurs, le principe d’une
planification indicative de
l’économie est acquis. En 1946, un commissariat
au plan est confié à Jean Monnet. Des nationalisations
sont entreprises dans certains secteurs :
la banque (1945-société générale-Crédit Lyonnais), l'énergie (1945-gaz, électricité; 1946-charbonnages),
le transport. La nationalisation de
Renault est une sanction des activités menées pendant la guerre par
l’entreprise en collaboration avec l’occupant.
Par contre, aux États-Unis, le développement de l’État-providence est bien moins important. Notamment, parce que
les Républicains remportent les élections législatives de 46. On note cependant
les signes d’un interventionnisme
étatique croissant : en 1944, le G.I. Bill of Right permet aux soldats démobilisés d’entreprendre
des études universitaires, en 1946, est créé le Council of Economic Advisers ,
enfin en 49, le salaire minimum est augmenté.
CNR : Conseil national de
la résistance, organisme voulu par DE GAULLE crée en mai 1943 par Jean MOULIN
et représentatif de la plupart des tendances de la résistance.
Etat-providence : état qui tout
en maintenant le principe d’une économie
de marché, garantit un haut niveau
de protection sociale et s’autorise des interventions dans le domaine économique.
Nationalisation : décision de faire
d’une entreprise privée une entreprise de la nation.
Conclusion : Au sortir de
la Seconde Guerre mondiale, le modèle de l'Etat-providence s'impose dans
plusieurs pays dont la France. Il faut dire que le modèle dirigiste est rejeté
par les démocraties occidentales libérales. Cependant, les besoins de la population et de la
reconstruction rendent nécessaires une forte intervention de l'Etat. La
question reste aujourd'hui encore de savoir si l'Etat-Providence résulte de la
guerre ou des politiques menées pendant l'entre-deux-guerres. Une chose est
sûre, en 1945, l'Etat-providence n'est pas une nouveauté. L'évolution
économique et géopolitique qui suivra amène à se poser deux questions.
Le modèle de l'Etat-providence n'a-t-il tenu
jusqu'aux années 90 que parce qu'il permettait aux économies de marché de
proposer une alternative conciliant libertés et protection sociale face au
communisme du modèle soviétique ?
Ce modèle ne fut-il pas l'une des conditions
fondamentales de la forte croissance et du développement des trente glorieuses
?
A l'heure où des solutions sont cherchées
pour le "monde d'après", cette dernière question reste d'une grande actualité.