Les bases d’un nouvel ordre international : les procès de Tokyo et de Nuremberg

 

En février 1945, à Yalta en Crimée, Churchill, Roosevelt et Staline prévoient de juger les criminels de guerre. Conformément à ces engagements, un bataillon de juristes alliés s’engage donc dans la préparation de deux immenses  procès qui se déroulent de novembre 45 à  octobre 46 à Nuremberg et de mai 1946 à novembre 1948 à Tokyo.

 

Problème : en 2010, l’Allemagne juge encore John Demjanjuk, gardien d’un camp d’extermination en Pologne (un remarquable documentaire sur les procès Demjanjuk est disponible sur une plateforme vidéo bien connue)  tandis que Martin Sandberger, l’un des responsables des Einsatzgruppen, meurt de sa belle mort dans une maison de retraite de Stuttgart après avoir été libéré en 1958. Au Japon, l'ancien Premier ministre Shinzo Abe continuait de se rendre régulièrement au temple Yazukuni pourtant consacré à la mémoire des responsables militaires japonais pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Problématique : Comment juger des crimes d'une telle nature ? A Nuremberg et à Tokyo, les responsables allemands et japonais sont-ils poursuivis pour les mêmes chefs d'accusation ? La  portée de ces deux procès est-elle comparable ? Il y eut-il un procès plus clément que l'autre ?

 

I Les enjeux des deux procès

a) qui?

Pour Nuremberg, en l'absence d'Hitler qui s'est suicidé le 30 avril, les Britanniques, les Américains, les Français et les Soviétiques finissent par s’entendre sur le principe de juger 24 responsables et plusieurs organisations comme les SA et les SS. Mais un suicide, une maladie  et une disparition font que seuls 21 d’entre eux sont physiquement présents (H. Göring, R. Hess, J.v.Ribbentrop, E. Kaltenbrunner, A. Rosenberg, H. Franck, W. Frick , F. Sauckel,  H. Schacht, A. Speer,  A Seyss-Inquart, K. Dönitz, W. Funk, B. v. Schirah,  J.Streicher, Keitel, A.Jodl, E.Raeder,  K v. Neurath, F. v. Papen, H Frizche) M. Bormann est présumé en fuite ( en réalité il est mort).

Pour Tokyo, les Américains, les Britanniques, les Russes,  les Chinois, les Australiens, le Néo-Zélandais, Hollandais, les Philippins, les Indiens  et les Canadiens décident de faire comparaitre 28 accusés, des membres du gouvernement, des ambassadeurs et des généraux.

 

b) Pourquoi ?

A Nuremberg, les responsables sont accusés de complot, de crime contre la paix, de crime de guerre et de crime contre l'humanité. A Tokyo, les responsables furent inculpées de " crimes contre la paix ", " crimes de guerre ". et « crime contre l’humanité ».

 

Crime contre l'humanité: C'est un crime imprescriptible. Cette notion juridique désigne l'assassinat, l'extermination, l'asservissement, la déportation, la persécution ou tout acte inhumain commis pour des motifs politiques, raciaux ou religieux à l'encontre d'une population.

Crime de guerre : Ce sont les violations des lois et des coutumes de la guerre (mauvais traitements infligés aux prisonniers et aux civils, exécutions sommaires, travaux forcés, pillages, destructions ou dévastations sans motifs militaires).

 

II Les verdicts et leurs portées respectives

 

A  Nuremberg, le procès se déroule selon la procédure accusatoire anglo-saxonne. Les accusés sont défendus par des avocats. Les preuves écrites servent de base aux audiences. Après près d’un an de procès, sur les 22 criminels effectivement jugés 12 sont condamnés à mort, 7 à la prison à vie et 5 sont acquittés. Compte tenu de son absence, Bormann est condamné à mort par contumace. Certains condamnés à vie comme Funk ou Reader sont libérés avant la fin de leurs peines.

A Tokyo, aucun des responsables n'est condamné pour crime contre l'humanité. On compte 7 condamnations à mort, 16 condamnations à la prison à vie, quatre condamnations à 20 ans de prisons et trois responsables ne sont pas jugés. Globalement, le verdict fut moins sévère qu'à Nuremberg. Certains crimes furent passés sous silence comme ceux commis par l'unité 731, qui faisait de la recherche bactériologique sur des cobayes humains.  .

Face à de tels crimes, les procès de Nuremberg et de Tokyo ont montré la nécessité de mettre en place une justice pénale internationale. Mais certains firent donc au procès de Nuremberg le reproche de mettre en place une justice des vainqueurs.

 

III Etait-ce suffisant ?

 

a) En Allemagne.

Le  procès de Nuremberg n’est pas le seul à se ternir en Allemagne. D’autres ont lieu ailleurs. Dans les zones occidentales, 5000 condamnations sont prononcées, dont 800 à mort.  486 sont exécutées Mais à l’ouest comme à l’est, la dénazification connaît des limites. En RFA, en 1951 en Bavière 94% des juges et des procureurs et 77% des employés du ministère des finances sont d’anciens nazis  En RDA, au début des années 60, 10% des parlementaires communistes est-allemands sont d’anciens nazis et beaucoup de cadres de la Stasi sont d’anciens membres de la Gestapo. Finalement, très vite les américains (operation paperclip) comme les Soviétiques ont cherché à s'associer les "compétences" de certains nazis. Cependant, ces procès et un important travail pédagogique ont permis un travail de conscience sur les responsabilités du peuple allemand dans les crimes de masse

 

b) Au Japon,

On constate que  plusieurs cas furent volontairement négligés par les juges. Par exemple, l'empereur Hiro Hito échappe aux poursuites. Des responsables de l'unité 731 vont faire une brillante carrière dans l'industrie pharmaceutique nippone après la guerre. Il semble que l'empereur soit épargné pour maintenir l'unité du Japon.  Le général Mac Arthur chargé de l'occupation du Japon veille à ce que  l'immunité  soit accordée à l'empereur Hiro-Hito. Le système impérial lui semble nécessaire au bon fonctionnement de l'occupation du Japon. Il semblerait que les responsables de l'unité 731 aient obtenu l'immunité contre la livraison de leurs travaux aux américains.

Au final il semblerait que le Japon ne se soit pas profondément  interrogé  sur ses propres responsabilités dans les crimes de guerre.

 

Conclusion : Les deux procès sont donc comparables. Face à l'ampleur des horreurs commises,  ils cherchent à juger les responsables allemands et japonais au nom d'une justice internationale. Mais si le procès de Tokyo semble un peu plus clément que celui de Nuremberg, dans les deux cas, on constate que ces deux procédures n'ont pas suffit.