La connaissance : enjeu politique et géopolitique.

Le renseignement au service des États : les services secrets soviétiques et américains durant la guerre froide.

Etude de cas : L’avion U-2

 

En 1947 débute la guerre froide. Cette expression désigne un conflit idéologique opposant deux superpuissances et leurs modèles respectifs. Il s’agit d’un conflit d’intensité variable, sans affrontement direct entre les deux principaux protagonistes. La guerre froide peut être considérée comme une guerre totale dans le mesure où elle mobile tous les moyens possibles pour l’emporter. Le renseignement est l’un de ces moyens. On désigne ainsi l’ensemble des connaissances concernant l’ennemi, obtenues par l’espionnage et le contre-espionnage. Il contribue donc à la défense et à la puissance d’un Etat.

 

Quels sont les enjeux politiques et géopolitiques du renseignement pendant la guerre froide ? Quel rôle les services secrets ont-ils joué pendant la guerre froide ? Ont-ils eu un impact sur l’évolution des relations entre les deux superpuissances ?

 

I Pendant la guerre froide, le renseignement joue un rôle majeur en matière de technologie et de course à l’armement.

 

a)             La question de l’arme atomique.

Dès 1943, grâce au projet Verona les EU sont en mesure de décrypter les codes de communication des renseignements soviétiques. Ils apprennent ainsi que leurs ennemis sont parvenus à noyauter le projet Manhattan destiné à  créer une arme atomique. Les Soviétiques ont ainsi gagné énormément de temps dans la course à l’armement qui les oppose aux américains. Ils sont en mesure de produire une bombe A en 1949 et une bombe H en 1953. Par la suite, cet intérêt pour les capacités technologiques et militaires de l’adversaire demeure. L’affaire des époux Rosenberg en est le reflet. Grâce à leur réseau, ce couple de scientifiques renseigne les Soviétiques sur l’état de la recherche américaine. Démasqués, ils sont  jugés et condamnés à mort en 1951. Ils sont exécutés en 1953. 

 

b)             Le développement de moyens technologiques et humains pour obtenir des informations sur l’ennemi.

                La mobilisation de tous les moyens possibles pour obtenir du renseignement est précoce. Il s’agit pour commencer de moyens humains. Dès 1930, les Soviétiques recrutent de brillants étudiants de l’université de Cambridge. Ces derniers parviennent à noyauter durablement  les institutions britanniques. Ce sont les « cinq de Cambridge ». L’un d’entre eux, Kim Philby  parvient même  à devenir un officier important du MI 6 les services secrets britanniques alliés des Etats-Unis. Il n’est découvert qu’en 1962. Son histoire a inspiré un roman à John Le Carré et donné lieu à deux adaptions filmées (La Taupe).

                En juin 1947, le président américain Harry Truman signe le National Security Act qui donne naissance à la CIA. En principe cette agence, n’a pas le droit d’intervenir à l’intérieur des frontières américaines. Elle ne s’occupe que  de renseignement extérieur. De son côté, en 1954, le secrétaire général du parti communiste soviétique (PCUS) Nikita Khrouchtchev, crée le KGB en regroupant différents organes de renseignement. Disposant d’un budget illimité et très autonome, le KGB recrute des agents dans le monde entier et participe à des opérations de déstabilisation à l’extérieur.  A noter que le KGB, dans une logique de guerre économique, fait également l’espionnage industriel. C’est ainsi que les soviétiques sont parvenus à produire un Tupolev (TU-144) comparable au concorde européen.

                Les moyens de la CIA sont colossaux. Ainsi,  à la fin des années 50, le président américain Dwight Eisenhower souhaite connaître les réelles capacités militaires des adversaires. Les Américains sont alors convaincus que les Soviétiques les ont dépassés en termes de nombre de têtes nucléaires mobilisables. C’est le mythe du bomber gap. L’avion U2 développé par la société américaine Lockheed offre une solution technologique à ce problème. Il fait son premier vol en 1955. En 1956, une première mission secrète dans l’espace aérien soviétique confirme que, volant à plus de 20 000 m, l’U2 ne peut être intercepté par les migs (avions Mikoyan-Gourevitch) soviétiques ou par la défense antiaérienne. Dès lors,  les missions se multiplient. Eisenhower obtient donc très tôt l’assurance que les soviétiques n’ont pas l’avance qu’on leur attribuait en matière d’armement.

                A cette époque, le pouvoir de la CIA devient considérable. Pour exemple, elle ment à Eisenhower en assurant qu’en cas d’interception l’avion U2 serait détruit. Cette attitude donne une idée de la puissance progressivement acquise par cette agence. Certains parlent à son sujet d’Etat dans l’Etat. L’agence prend des initiatives de plus en plus hardies comme quand en avril 1961. Elle organise alors la tentative malheureuse de débarquement d’anticastristes à Cuba dans la baie des Cochons. Les responsables de la CIA, Allen Dulles notamment n’avertissent pas  le président Kennedy de la forte probabilité d’échec de cette opération. Après ce fiasco, l’organigramme de la CIA est revu et des dispositions furent prises pour mieux contrôler l’agence. En 1975, une commission parlementaire américaine démontre la responsabilité de la CIA dans des tentatives d’assassinat de responsables politiques à l’étranger comme Fidel Castro par exemple. Elle montre aussi que l’agence a espionné des américains sur le sol des Etats-Unis et réalisé des tests d’armes chimiques et biologiques dans le plus grand secret.

 

Guerre économique : guerre qui cherche par les moyens militaires ou diplomatiques à réduire le potentiel économique de l'adversaire (blocus, bombardement d'objectifs industriels, contrôle des exportations des pays neutres, conquête des voies d'accès aux matières premières).

 

Guerre secrète : expression désignant les opérations clandestines et subversives, les opérations d’intoxication et de propagande menées par temps de paix comme de guerre.

 

Bomber Gap : mythe surtout vivace dans les années 50 selon lequel l’URSS aurait largement dépassé les EU en termes de charges nucléaires pendant la guerre froide.

 

« Cinq de Cambridge » : expression désignant cinq étudiants de l’université de Cambridge, recrutés par les services secrets soviétiques, et ayant intégré les sphères du pouvoir britanniques (diplomatie, finances, renseignement).

 

CIA : Central Intelligence Agency, agence centrale de renseignement américaine chargée du renseignement et des opérations clandestines à l’étranger. Elle ne dépend que du président des EU.

 

KGB : Comité pour la sécurité de l’Etat (1954-1991). Durant la guerre froide  le KGB aurait recruté 1.5 millions de collaborateurs.

 

Espionnage : collecte clandestine d’informations

 

II Les services secrets jouent également un rôle politique et diplomatique.

a)             A plusieurs reprises les activités des services secrets américains et soviétiques déterminent l’état des relations entre les deux superpuissances.

Les différentes affaires impliquant l’avion U2 sont très instructives à ce sujet. Au milieu des années 50, l’heure est semble-t-il à la coexistence pacifique. Officiellement, le secrétaire général du Parti Communiste Soviétique, Nikita Khrouchtchev est conscient qu’un conflit ouvert entre les deux superpuissances impliquerait une destruction mutuelle des deux protagonistes. Aussi propose-t-il de remplacer l’affrontement par une compétition sur le terrain économique, scientifique culturel et sportif. Les EU sont d’abord méfiants et soupçonnent l’URSS de tenter d’accroitre leur avance en matière d’armement. Mais rassurés par les renseignements cumulés notamment par les avions espions U2, le président américain Dwight Eisenhower envisage des négociations pour un désarmement. Ces discussions sont prévues en mai à 1960  à Paris. On n’a jamais été aussi proche d’un accord de désarmement entre les deux superpuissances mais l’affaire de l’avion espion abattu le premier mai 1960 fait échouer la conférence de Paris. Nikita Khrouchtchev entend bien profiter de l’incident pour prouver que les EU violent la souveraineté de son pays en menant des opérations d’espionnage. Certains observateurs posent la question de savoir si les soviétiques étaient les seuls à avoir intérêt à ce qu’in incident compromettent les négociations. Le pilote de l’avion U2 Gary Powers, capturé puis jugé et ensuite échangé contre un espion du KGB capturé par les américains William Fischer en 1962 à Berlin sur le célèbre pont des espions. 

                Quelques mois plus tard, après une nouvelle crise à Berlin (construction du mur de Berlin), les relations se tendent à nouveau à l’occasion de la crise des fusées de Cuba en octobre 1962. Là encore ce sont des avions U2 qui révèlent la mise en place de plateformes de lancement de missiles nucléaires soviétiques sur l’île de Cuba. Un de ces avions est même abattu à l’occasion de l’un de ces vols de renseignement. L’incident manque de peu de faire éclater une guerre nucléaire. Echaudé par l’affaire de la baie des Cochons, le président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy se garde bien de trop écouter la CIA et les plus bellicistes de ses officiers. Il redoute alors ce qu’il appelle la « miscalculation », l’erreur qui serait fatale aux Etats-Unis et à l’humanité.

 

b)             Mais dans le contexte d’une guerre idéologique, le renseignement concerne aussi l’ennemi de l’ « intérieur ».

                Contrairement à la CIA en principe, le KGB a des compétences pour faire du renseignement intérieur et extérieur. Il assure donc la sécurité de l’Etat mais il traque également les opposants politiques, les dissidents. Il est donc au cœur de l’appareil répressif soviétique. En 1991, le KGB est dissout. Il est remplacé par au moins deux organisations : le FSB et le GRU toujours très actifs aujourd’hui.

                 Aux Etats-Unis, la lutte contre les mouvements considérés comme déstabilisateurs aux Etats-Unis est menée par le FBI. Dans le contexte du Maccarthisme, il traque les agents soviétiques infiltrés à l’intérieur comme les époux Rosenberg mais il surveille aussi les mouvements politiques considérés comme suspects comme le très marginal Parti Communiste USA ou les mouvements de lutte pour les droits civiques.

 

FBI : Federal Bureau of Investigation, service fédéral de police judiciaire et de renseignement aux Etats-Unis.

 

Dissident : expression utilisée pour désigner les opposants au régime en URSS.

 

Maccarthisme : entre 1950 et 1954, les partisans communistes aux Etats-Unis, victimes de dénonciations publiques  sont visés par des enquêtes judicaires .Le sénateur Mac Carthy mène une « chasse aux sorcières » justifiée par la peur des agents de l’URSS.

 

 

Conclusion : le renseignement, la recherche d’informations contribue donc à la puissance des Etats notamment dans le contexte e la guerre froide. Il permet d’obtenir la technologie, les innovations nécessaires pour consolider les capacités militaires. Dans certains cas les services de renseignement sont impliqués dans des activités d’espionnage destinées à renforcer l’activité économique du pays. Dans le contexte de la guerre froide, les capacités des services de renseignement sont telles que leurs activités peuvent avoir un impact sur l’état des relations entre les deux superpuissances de la guerre froide. Oui les enjeux politiques et géopolitiques liés aux activités de collecte d’informations des services secrets sont loin d’être négligeables.

 

Pour une approche divertissante de l’affaire de l’avion U2, je vous conseille l’écoute de cette émission :

 

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/rendez-vous-avec-x/rendez-vous-avec-x-du-samedi-14-janvier-2023-8564026

 

Pour un témoignage français : https://www.youtube.com/watch?v=9yjgTyUx2Uk