Circulation et formation
des étudiants, transferts de technologies et puissance économique :
l’exemple du développement de l’Inde.
« La connaissance est l’unique ressource qui ait
du sens aujourd’hui » affirmait Peter Drucker dans
Au-delà du capitalisme en 1993. Les
deux documents proposés à l’étude nous en offrent une illustration.
Aujourd’hui l’Inde s’affirme de plus en
plus comme une puissance à prétention
internationale. Il convient d’ailleurs de rappeler que la notion de puissance désigne la capacité pour un
Etat d’imposer sa volonté aux autres. Elle résulte de la combinaison de
différents facteurs comme la maîtrise de la démographie, la mise en valeur du territoire, les capacités d’innovation, le poids économique, le rayonnement culturel, l’influence politique et la puissance militaire. Le développement désigne lui,
l’amélioration du niveau de vie au
bénéfice plus grand nombre. Il se mesure notamment au moyen de l’indicateur du développement humain (IDH).
Cette valeur, toujours comprise entre 0 et 1 est calculée en fonction du niveau
d’éducation, de l’espérance de vie à la naissance et du PIB par habitant. Nous nous intéresserons ici à deux aspects de
la connaissance : le processus
d’acquisition du savoir et l’ensemble des réalités connues et reconnues
notamment scientifiquement.
Quel le rôle des connaissances et de leur acquisition
dans le développement et la puissance d’un Etat comme l’Inde ?
I
La connaissance est un facteur de développement et de croissance.
a)
L’accès à la connaissance permet de
contrôler la natalité.
A l’évidence, la connaissance est un facteur de développement et de croissance. Il apparaît par exemple que
l’éducation participe au développement de l’Inde. On peut
prendre l’exemple de l’éducation des femmes pour le démontrer. Celle-ci
contribue largement à la maîtrise de la
démographie. En effet, l’éducation des femmes rend les programmes de contrôle des naissances ou de planning familial plus
efficaces. On observe en Inde des progrès de ce point de vue. La fécondité des femmes s’en trouve
réduite. Mais de fortes disparités
demeurent. Dans le cas du Kerala où l’ISF se situe à 1.7, contrairement à la moyenne nationale en Inde
qui est de 3 enfants par femme en âge de procréer. L’accès
à la connaissance contribue donc à la baisse de la natalité. D’une certaine
façon, l’éducation accélère ainsi la transition
démographique. ,Cette corrélation entre éducation et maîtrise
de la démographie s’observe dans la plupart des pays en
développement.
ISF (indice
synthétique de fécondité): nombre moyen d’enfants par femme en
âge de procréer.
Taux
de natalité : le nombre de naissances rapporté à la
population totale exprimé en pour mille.
Transition
démographique : le passage d’un ancien régime
démographique à natalité et mortalité élevé à un nouveau régime démographique
caractérisé par une mortalité et une natalité faible.
b)
L’éducation aide à réduire la mortalité.
En donnant accès à la connaissance, l’éducation
contribue à la baisse de la mortalité et
donc à la hausse de l’espérance de vie. En Inde, le taux de mortalité infantile baisse. Il
est tombé de 80 pour 1.000 en 1990 à 42 pour 1.000 en 2012. Il est aujourd’hui
de 25.5. Il est vrai qu’en permettant la généralisation des gestes
fondamentaux d’hygiène et le bon traitement des nouveaux nés, l’éducation permet un recul de la mortalité
chez les plus jeunes. Cela participe à l’amélioration
générale de l’état sanitaire de la population et participe à l’augmentation de l’espérance de vie à la
naissance en général. Cet indicateur participe au calcul de l’IDH.
Taux
de mortalité infantile : rapport entre le nombre d'enfants
décédés à moins d'un an et l'ensemble des enfants nés vivants. Il est
généralement exprimé en pour mille.
Espérance
de vie : durée de vie moyenne d'une génération fictive,
compte tenu des conditions de mortalité par âge pour l'année considérée.
c)
La connaissance aide à la production de
richesses.
En Inde on observe une accélération de la croissance économique. Celle-ci est passée d’un taux de croissance de l’Inde de
3.5% par an de 1950 à 1980 à 7-8 %annuels depuis 2003. Cette croissance peut être expliquée en partie par le développement de
la connaissance comme nous le verrons plus loin.
Croissance :
augmentation durable de la production de biens et de services.
En démontrant que la connaissance était un facteur de
développement nous avons évoqué son rôle dans la croissance économique. Or la production de richesses contribue à la
puissance des Etats. Il est donc légitime de s’interroger plus généralement sur
le rôle de la connaissance dans la capacité des Etats à imposer leur volonté
aux autres.
II
La connaissance contribue également à la puissance des Etats.
a) La
capacité d’innovation contribue à la puissance.
L'Inde a de fortes
capacités d’innovation. Elle maîtrise les infrastructures matérielles et immatérielles du cyberespace. Par
exemple, la ville de Bangalore, la « Silicon Valley indienne »
représente 40% de l’industrie informatique indienne. Les fleurons de
l’informatique indienne Infosys et Wipro y sont
installés. Cette ville est le premier pôle de recherche mondiale pour les
sciences de la vie. L’Inde développe en
effet beaucoup les « biotechnologies ». L’Inde se situe au sixième rang mondial pour la production de
médicaments génériques. En
termes de nombre de publications scientifiques, l’Inde (5ème rang en 2021) est désormais devant la France
(10ème rang).
Innovation :
introduction sur le marché d'un produit ou d'un procédé nouveau ou
significativement amélioré par rapport aux précédents.
b) La
connaissance contribue également largement à la puissance militaire.
Le nucléaire militaire en offre une illustration. L’Inde a bénéficié
dans ce domaine du travail de ses
chercheurs. Mais elle a aussi obtenu l’aide des l’Etats-Unis. La France a
également soutenu l’Inde dans le domaine militaire. L’Inde a en effet obtenu des transferts de technologies en
signant les contrats d’acquisition pour le Rafale français. Face
au Pakistan voisin et à la Chine, l’Inde est donc en train de se constituer un
complexe militaro-industriel puissant. La connaissance est donc indispensable
en matière de hard power car elle
permet d’obtenir la supériorité sur l’adversaire.
c) Elle offre
des capacités d’influence.
La maîtrise technologique contribue à l’influence politique des Etats. En acceptant des transferts de
technologies vers l’Inde, les Etats-Unis et la France trouvent ainsi en Asie un allié politique de poids face à la
Chine ou à l’Iran. Autrement dit, la connaissance conforte la capacité
d’influence et le soft power des EU.
On peut même parler de smart power
puisque sont articulés intelligemment ici capacités d’influence et aptitudes
militaires. De façon plus anecdotique, on constate que la diaspora indienne, c’est-à-dire l’ensemble des personnes d’origine
indienne ayant émigré à l’étranger, parfois pour poursuivre des études, contribue à diffuser le point de vue indien
dans le monde. En évoquant la capacité d’innovation, la maîtrise du
nucléaire militaire et le rôle de la connaissance en matière d’influence
politique, nous avons démontré que le
savoir et plus précisément, la connaissance scientifique, participent à la
politique de puissance des Etats.
III
Parce qu’elle est stratégique, il convient d’acquérir la connaissance.
a)
La recherche.
L’acquisition de la connaissance passe par des
investissements en matière de recherche
fondamentale et de recherche et
développement..
Il faut savoir que l’Inde a lancé en 2017
un label « Institute of Excellence »
afin de donner une reconnaissance internationale à ses meilleures écoles comme
l’Indian Institute of Science de Bangalore ou les Indian Institute of Technologies de Mumbai
et New Delhi.
Recherche
fondamentale : ensemble des travaux de recherche
théorique menés dans le but d’élargir le champ des connaissances sans
application technique immédiate.
Recherche et développement : ensemble des activités créatrices
en vue d’accroître la somme des connaissances et de concevoir de nouvelles
applications et des innovations technologiques à partir des connaissances
disponibles.
b) Les
transferts de technologie
L’obtention des connaissances peut aussi
passer par des transferts de
technologies et de la coopération. Nous l’avons déjà démontré un
peu dans la deuxième partie mais il est possible d’insister ici sur le rôle de
la circulation des étudiants. Celle-ci permet, en effet, des transferts de
technologies. L’Inde compte en effet
550000 étudiants dans 86 pays, le plus souvent riches et développés. Cette
émigration peut être perçue de façon négative comme une véritable « fuite des cerveaux » ou brain drain en anglais. Il est possible de regretter le départ de ces personnes qualifiées
quand le développement du pays réclame
leur présence. Mais depuis quelques
années ces étudiants reviennent en Inde. C’est ainsi que Bangalore a profité du retour de cette main d’œuvre hyper
qualifiée pour devenir l’une des
régions les plus innovantes au monde. Dans ce cas, les études à l’étranger
ont permis d’obtenir la maîtrise de certaines connaissances. On parle alors
plutôt de brain gain.
Dans le même ordre d’idée, la
Chine a eu, à partir des années 80, une stratégie d’envoi d’étudiants à
l’étranger.
Brain drain : flux
migratoires de scientifiques et de chercheurs vers des pays qui leur offrent de
meilleures conditions de vie, d’étude ou de rémunération
Brain gain : idée selon
laquelle l’émigration des diplômés peut avoir des effets positifs.
c) Des
pratiques discutables et discutées.
Mais certains Etats et certaines
entreprises ne se contentent pas de la
recherche et des transferts de technologies pour obtenir des connaissances.
Pour faire l’acquisition de technologies stratégiques, certains acteurs ont des
pratiques peu loyales. Les entreprises indiennes de pharmacie ont parfois été
accusées de ne pas respecter les brevets
sur la propriété intellectuelle. Ce à quoi elles répondent que les
génériques ainsi créés permettent de fournir aux pays en développement des médicaments génériques à moindre coût pour
lutter contre des maladies comme le SIDA par exemple.
Les efforts faits en matière
d’acquisition de technologies prouvent donc combien les connaissances sont
stratégiques en matière de puissance.
Conclusion :
La connaissance est donc un enjeu géopolitique et socio-économique majeur. Elle
permet de développer les capacités économiques et militaires des Etats tout en
contribuant à leur développement. L’Inde en offre une bonne illustration. Elle
a élaboré des stratégies variées pour améliorer son accès à la connaissance.
Désormais, dans le contexte de la mondialisation et des tensions
internationales, la connaissance est au cœur, de la compétition, de la
concurrence voire même de la rivalité qui oppose les Etats.