La destruction, la protection et la restauration du patrimoine, enjeu
géopolitique. La question patrimoniale au Mali.
En 2001, les talibans
Afghans font sauter les statues de bouddhas de Bamiyan. Avec cette destruction,
le patrimoine culturel et religieux devient clairement un enjeu de conflit.
Malheureusement depuis, d’autres exemples ont suivi. C’est le cas au Mali en
2012.
Quels sont les enjeux
liés au patrimoine culturel en zone de guerre ? Pourquoi le patrimoine culturel
malien est-il si important ? Pourquoi a-t-il été partiellement
détruit ? Par qui ? Quelles
sont les motivations de ceux qui se sont rendus coupables de ces
exactions ? Comment ce patrimoine est-il protégé ?
I Le Mali est riche d’un patrimoine….
a)
…ancien et précieux
pour l’humanité.
A cheval sur le Sahara, le Sahel et l’Afrique subsaharienne, le Mali est
sur les anciennes routes du commerce et
de la diffusion de l’Islam en Afrique. C’est un carrefour culturel majeur
pour le continent africain mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. Dans cette
région du monde s’est développé un islam
soufi ouvert et éclairé. Ici, la
connaissance religieuse, littéraire, scientifique et le droit ont longtemps été
transmis au moyen de manuscrits. Cela
remet en cause l’idée reçue selon
laquelle l’Afrique est un continent de tradition strictement orale.
Les manuscrits
de Tombouctou sont parmi les plus anciens
du monde arabo musulman. Les premières copies datent du XIe siècle.On en compte près de 300 000
dans le nord du Mali. Au demeurant, parmi
les traditions orales maliennes, il convient de signaler l’importance de la Charte du
Manden du XIIIe siècle. Elle est
parfois considérée comme la plus
ancienne constitution du monde. On y trouve
l’une des plus anciennes références aux droits fondamentaux. A ce
titre, le patrimoine du Mali peut être considéré comme précieux pour l’ensemble de l’humanité.
Soufisme :
forme mystique de l’islam qui cherche l’élévation spirituelle par le biais
d’une initiation et de confréries rassemblant les fidèles autour de figures
saintes et de marabouts.
Marabouts :
guides religieux qui peuvent faire l’objet d’une vénération. Leurs mausolées font l’objet d’une dévotion
particulière.
b) …et précieux pour le monde entier.
Le patrimoine du Mali est donc particulièrement
riche. C’est la raison pour laquelle l’Unesco a entamé dans les années 80 un
processus de classement. Dès 1988, trois mosquées et seize mausolées
étaient ainsi distingués. Désormais, le Mali compte quatre biens culturels inscrits sur la liste du patrimoine
mondial de l’Unesco : Tombouctou (centre de l’Islam aux XIVe-XVe siècles - classé en 1988-1990) ; les
villes anciennes de Djenné (foyer de la diffusion de l’Islam aux
XV-XVIe siècles-classées en 1988) ; les
falaises de Bandiagara (Dans le pays Dogon, patrimoine culturel et naturel
classé en 1988) ; le tombeau des
Askia à Gao (ensemble funéraire du XVe siècle-classé en 2004). Ce classement est accompagné d’actions de restauration. C’est ainsi qu’en1996 la mosquée de
Sankoré à Tombouctou, construite en banco, c’est-à-dire en terre crue, est
restaurée grâce à des financements de la Suisse
l’Ue , la Norvège, les Pays Bas, le Bahrein, la Croatie, l’Ile Maurice,
Andorre.
Banco : terre crue.
II …visé par des Djihaidstes.
a) Ces
derniers profitent d’un contexte perturbé…
Pays multiethnique, le Mali connait depuis longtemps des tensions liées à
des revendications nationales. Ainsi, Les
touaregs nomades du Mali, réclament depuis les années 60, l’indépendance sinon l’autonomie de l’Azawad. Plus au nord, l’Algérie avait
connu des heures sombres avec le terrorisme
du Front Islamique du Salut (FIS), mais au début du 20e siècle, ce
sont d’autres mouvements islamistes qui
se développement en Afrique du Nord à la suite du bref espoir démocratique
connu sous le nom de Printemps Arabe
(2011). Des groupes islamistes
affiliés à Al-Qaida (AQMI) ou pas (Les Signataires
par le Sang) sillonnent la région entre Mali, Libye ou Algérie par exemple. Ils
s’en prennent aux ressortissants et aux intérêts étrangers et profitent de
certains mouvements séparatistes pour étendre leur influence. C’est le cas au
Nord du Mali où des groupes radicaux comme Ansar Dine (les defenseurs de la religion), Aqmi et
le Mujao ont temporairement fait alliance avec le Mouvement
National de Libération de l’Azawad (MLNA). En mars 2012, un coup d’Etat qui renverse le président
malien Amadou Toumani Touré. Les
islamistes radicaux d’Al Qaida au Maghreb Islamique, le MUJAO (Mouvement
pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) et Ansar Dine occupent le nord du Mali.
Mouvement National de
Libération de l’Azawad (MLNA) :
mouvement indépendantiste touareg.
Ansar Dine : « les défenseurs de la religion) mouvement touareg qui se déclare islamiste.
Mujao (Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique
occidentale) : mouvement islamiste dont l’objectif est d’étendre le jihad en
Afrique subsaharienne.
Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) :
organisation islamiste d’origine algérienne.
Islamisme : projet qui vise à ré islamiser les sociétés des pays
musulmans avant d’établir un système politique à caractère
totalitaire, où l’Etat en s'appuyant sur les seuls fondements de l'Islam
contrôlerait la société, la justice, l’éducation, l'économie, la famille.
Touareg : population berbère de l’Afrique saharienne, el plus souvent
nomade.
b) …et détruisent une partie de ce patrimoine.
Dès
juillet 2012, des groupes islamistes s’emparent d’une partie de la
ville de Tombouctou et détruisent dans la « cité des 333
saints », des mausolées consacrés aux guides spirituels, vénérés par la population et classés au
patrimoine mondial de l’UNESCO. Ils détruisent
également des manuscrits. Quelles sont leurs
motivations ? Ansar Dine et les autres mouvements islamistes entendent éradiquer tous les symboles d’un
islam ouvert, notamment les lieux liés à la confrérie soufie Qadirya. Dans une démarche
idéologique, ils considèrent ces
sites comme des lieux de cultes
idolâtres. Par ce geste, ils
nient la mémoire d’un groupe social ou
d’une période historique, la période
pré-islamique. C’est une atteinte à
l’identité de ceux qui ne partagent pas les mêmes valeurs. Symboliquement,
les destructions s’adressent aussi à la communauté internationale. Les djihadistes
souhaitent aussi faire pression sur elle en détruisant des biens inestimables
pour l’humanité. Leurs motivations sont
donc religieuses, idéologiques,
politiques et géopolitiques.
Djihadisme :
idéologie politique et religieuse islamiste qui prône l’usage de la violence
pour instaurer un Etat islamique
Salafisme :
mouvement religieux de l’islam sunnite prônant un retour aux pratiques de
l’époque du prophète Mahomet et de ses
disciples. Il rejette les autres courants de pensée de l’Islam.
III …malgré tout sauvegardé.
a) Grâce à la protection.
Dès
2011, des actions individuelles ou
collectives permettent de protéger une partie de ce patrimoine. Ainsi des
milliers de manuscrits sont évacués de
Tombouctou par des particuliers. Dès le
28 juin 2012, l’Unesco classe Tombouctou
sur la liste du patrimoine mondial en
péril. En représailles, une trentaine de membres armée d’Ansar Din
détruisent sept mosquées et seize mausolées alors détruits. A Gao, la population réussit à s’organiser pour
résister aux groupes armés, grâce notamment à l’action du groupe de jeunes
maliens, le « Mouvement des Jeunes Patriotes ». Pendant, le conflit l’Unesco sensibilise les militaires de la MINUSMA sur les biens culturels à protéger.
Des cartes sont distribuées pour les identifier. Afin de ne pas perdre
la trace des manuscrits, la Bibliothèque
Nationale de France (BNF) s’associe à un programme de numérisation.
MINUSMA :
Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au
Mali. Elle est créée en avril 2013. Elle a pour mission de rétablir l’autorité de l’Etat au Mali mais aussi, pour la première
fois, elle est chargée d’ « aider les
autorités de transition maliennes, en tant que de besoin et, si possible, à protéger les sites culturels et
historiques du pays contre toutes attaques, en collaboration avec l’UNESCO
»
b)
…puis par la
restauration.
Cette
entreprise de restauration ou de reconstruction mobilise de nombreux acteurs souvent sous l’égide de
l’ONU. Par exemple, pendant le conflit, en
2013, la MINUSMA lance la
réhabilitation de trois bibliothèques à Tombouctou. A Gao, le mausolée El Kebir détruit en octobre 2012, commence à être rééquipé par la MINUSMA dès 2013. Dans le contexte
où la France intervient militairement à la demande du gouvernement malien par
les opérations Serval (2013-2014)
puis Barkhane (2014-2022), le
travail de restauration se poursuit. En 2013, un Comité National pour la Restauration du Patrimoine détruit est créé.
Il collabore avec l’Unesco. Un vaste programme de
réhabilitation est mené par l’Unesco
avec l’appui de l’Ue , la France, la Suisse et l’agence des Etats-Unis
pour le développement international. Au Mali, cette réhabilitation
s’appuie sur le savoir et le savoir
faire. Elle essaie de respecter l’authenticité
historique en tirant les
enseignements de l’archéologie et des
documents d’une part. Mais d’autre part,
elle utilise aussi les techniques
de construction et de de fabrication ancestrales. Entre 2013 et 2015, des maçons et artisans ont
reproduit à l’identique les mausolées en s’appuyant sur ce qui n’avait pas
été détruit. Si l’authenticité des biens
ainsi reconstruits peut donc être discutée, il n’en demeure pas moins qu’ils
respectent les pratiques locales comme par exemple le crépissage
annuel de la mosquée de Djenné. En
mobilisant de nombreux acteurs nationaux et internationaux, le Mali devient donc
un laboratoire expérimental de la préservation patrimoniale en temps de guerre.
Restauration : opération de remise en état d’un bâti existant
suivant des règles propres à respecter
ses logiques de construction.
Conclusion : Le triste exemple du Mali montre donc bien que
le patrimoine peut être une cible en temps de guerre. Animés par des
considérations idéologiques, religieuses, politiques et géopolitiques, les
groupes islamistes armés se sont livrés à la destruction de biens culturels
d’une valeur inestimable pour les Maliens et l’ensemble de l’humanité. Qu’ils
soient particuliers ou institutionnels, Maliens ou étrangers, de nombreux
acteurs se sont impliqués dans le travail de protection et de restauration des
sites saccagés. Malheureusement, le Mali est déstabilisé à nouveau. Les troupes
françaises et la MINUSMA se sont retirés. D’autres exemples, comme la
destruction du site de Palmyre en Syrie en 2015, laissent penser que le pire
reste à craindre pour ce pays. Seule satisfaction en matière de réaction face à
ces actes regrettables, en 2016, le Touareg malien
Ahmad al-Mahdi est reconnu coupable et condamné
à neuf ans de prison par la Cour Pénale Internationale de La Haye, pour
destruction de patrimoine culturel. C’est la première fois depuis qu’existe la
Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit de l’Unesco
qui date de 1954 que la destruction délibérée d’un patrimoine est considérée
comme un crime.