1904-2021 : les notions de crime contre l’humanité et de
génocide
"Nous sommes en
présence d’un crime sans nom" Winston Churchill, août 1943
Le
29/11/2021 un djihadiste irakien a été condamné par un
tribunal allemand pour crime contre l’humanité, crime de guerre et génocide. Il
avait en effet laissé mourir de soif une enfant yézidie
de 5 ans. Celle-ci avait été achetée comme esclave avec sa mère.
Dans
quels contextes les notions de crime contre l'humanité et de génocide
sont-elles nées ? Pourquoi deux notions sont-elles définies pour désigner des
réalités comparables ? Comment ces notions ont-elles évolué depuis qu'elles ont
été forgées ?
I Des réalités d'avant
la Seconde Guerre mondiale.
a)
La répétition des crimes de masse...
Les crimes de masse ne sont pas une nouveauté
du milieu du XXème siècle. Les pogroms n'ont pas disparu en 1900. Raphaël Lemkin, l'auteur du concept de génocide fut particulièrement marqué par les pogroms de Kichinev en Russie en 1903 et 1905 qui firent plus de 60
morts au total. Par ailleurs, pendant la même période, les Allemands s'étaient
rendus coupables de massacres de
type génocidaire dans leurs colonies
de l'ouest Africain.80% des Hereros et 20% des Namas furent tués soit au total
près de 85 000 personnes. Des preuves de ces massacres furent présentées à la
conférence de paix de Versailles pour légitimer la décision de lui enlever ses
colonies. En 1915, les Arméniens sont massacrés en Turquie. Ce crime de masse
marque aussi particulièrement Raphaël Lemkin.
Pogroms : massacres et
pillages commis contre les juifs en Russie essentiellement à la fin du 19ème
siècle et à la fin du 20ème.
b)
...provoque une première prise de conscience.
Les exactions dont les Arméniens furent les
victimes furent dénoncées par les Alliés pendant la guerre. A la fin du
conflit, une Commission des
responsabilités est créée auprès de la conférence de la paix du traité de
Versailles. Elle préconise la création
d'un tribunal international pour juger les criminels turcs. Mais ceux qui
sont arrêtés et jugés en Turquie sont rapidement libérés. Cette impunité choque
particulièrement Raphaël Lemkin. Il est
notamment touché par l'acquittement en 1921 à Berlin de Soghomon Tehlirian, l'assassin de Taalat Pasha,
ministre turc de l’Intérieur. Celui-ci voulait venger l'assassinat de ses
parents arméniens en 1915.
Dans ce contexte, Raphaël Lemkin, forge en 1933 pour les besoins d'une Conférence internationale sur l’unification
du droit pénal, le concept d'"actes
de barbarie". Il essaie alors de combler les insuffisances de la
définition du crime de guerre qui
existait déjà. En effet, le crime de guerre ne concerne que les civils et les
prisonniers "ennemis" et la notion n'évoque pas les intentions des
auteurs de ces crimes. Par actes de
barbarie, Raphaël Lemkin désigne alors, "un
ensemble d’actions opprimantes et destructrices (massacres, pogroms) dirigées
contre des individus en tant que membres d’un groupe national, religieux ou
racial". Il convient de noter qu'il intègre alors dans cette catégorie le crime de vandalisme qu'il désigne comme
"la destruction malveillante d’œuvres d’art et de culture"
représentatives de ces groupes.
II Les crimes commis
pendant la Seconde Guerre mondiale rendent nécessaire une définition juridique.
a)
L'ampleur des génocides...
En janvier 1939, Hitler annonce dans un
discours au Reichstag : " Je veux être à nouveau prophète : si la juiverie
financière internationale, en Europe et à l'extérieur, devait parvenir à
plonger une fois de plus les nations dans la guerre mondiale, il en résulte non
pas la bolchévisation de la terre et donc la victoire de la juiverie, mais l'anéantissement de la race juive en
Europe". C'est à la fin du printemps 1941qu'il met ses plans à exécution
en s'engageant définitivement dans une
logique génocidaire. Au total, les nazis et leurs alliés sont responsables de
la mort de plus de 5.5 millions de juifs et
de plus de 250 000 tsiganes. Jamais les crimes de masse n'avaient connu une telle ampleur.
b)
...suscite une réflexion qui inscrit la notion de crime contre l'humanité dans
le contexte de la Seconde Guerre mondiale.
En 1943,
Raphaël Lemkin forge dans son ouvrage
publié en 1944 Axis Rule
in Occupied Europe (Le Règne de l'Axe en Europe
occupée), la notion de génocide.
Il la définit comme un ensemble de violences graves faites à "une nation
ou un groupe ethnique" avec l'intention
de le détruire en tant que groupe. Il souhaite en faire une notion
universelle. Il considère d'ailleurs que la notion de génocide s'applique aux
nations, comme aux races. Enfin, il souhaite alors que les motifs politiques
fassent aussi partie des éléments de définition des génocides.
Dès la conférence
de Moscou en 1943, les Alliés expriment leur volonté de punir les criminels
de guerre. Ce souhait est confirmé à Potsdam
en 1945. Dans ces conditions, en octobre 1945, à Nuremberg, s'ouvre le procès des criminels nazis. Ces derniers sont
poursuivis pour complot, crimes contre
la paix, crime de guerre et crime contre l'humanité. Ce dernier concept est
alors précisé par le juriste Hersch Lauterpacht. Le Tribunal
Militaire International de Nuremberg définit le crime contre l'humanité comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la
déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs
politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un
plan concerté à l'encontre d'un
groupe de population civile ». (art 6-c des statuts du Tribunal Militaire International de
Nuremberg). Cette notion est ensuite
reprise lors du jugement des criminels japonais à Tokyo. Bien qu'utilisée au
début du procès, la notion de génocide,
n'apparaît pas dans l'exposé du verdict. Les Alliés lui préfèrent la
qualification de crime contre l'humanité
qui, à l'époque, est restreinte au contexte de la Seconde Guerre mondiale. Par
ailleurs, le crime contre l'humanité
n'implique pas l'intention de détruire
le groupe même si il est organisé. Raphaël Lemkin
qui a pourtant participé à ce procès est très déçu de voir sa qualification
passer au second plan. Paradoxalement, la notion de crime contre l'humanité
apparaît également peu dans le verdict.
III Ce n'est qu'après
les procès de Nuremberg que les notions s'inscrivent dans le droit
international.
a)
L'inscription des notions de crime contre l'humanité et de génocide dans le
droit international...
Après la guerre l'ONU cherche à universaliser
le droit issu du procès de Nuremberg. En 1946, la notion de crime contre l'humanité est reprise par
la résolution 95 de l'ONU. Celle-ci confirme "les principes du droit
international reconnus par le statut de la cour de Nuremberg". Le mot
forgé par Raphaël Lemkin s'impose
progressivement. En 1948, sa proposition d'une Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide est approuvée
à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations unies. Les soviétiques
parviennent alors à retirer le motif
politique de la définition de crime
de génocide. La convention est alors ratifiée par 50 pays. Les Etats-Unis
s'abstiennent alors le faire. Certains sénateurs américains y voient une arme
juridique pour les militants des droits
civiques aux Etats-Unis. Finalement en 1988, les Etats-Unis ratifient la
convention.
b) ... rend nécessaire la mise en œuvre
de moyens de juger.
Dans les années 60 s'impose progressivement
l'idée de rendre les crimes commis à l'occasion des génocides juifs et tsiganes
imprescriptibles. C'est chose faite
en France en 1964. En 1968, l'ONU fait de même en adoptant
une Convention sur l'imprescriptibilité
des crimes contre l'humanité. Les massacres commis dans le cadre des
conflits de l'après guerre froide rendent nécessaire la création de tribunaux pour poursuivre les auteurs de
ces crimes. C'est chose faite en 1993 avec la création du Tribunal Pénal International pour
l'ex-Yougoslavie (TPIY), et en 1994 avec celle du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). C'est
d'ailleurs ce tribunal qui, le premier, condamne un justiciable pour crime de
génocide. En 1994, le Conseil
de sécurité des Nations unies ajoute à la
définition de génocide, la torture, le viol et les emprisonnements
. Par ailleurs La nécessité d'un
lien entre le crime contre l'humanité et l'existence d'un conflit disparaît de
la définition du statut de Rome.
En 1998, le statut de
Rome crée la Cour Pénal Internationale (CPI). Elle entre en vigueur
en 2002. Les 106 pays signataires
reconnaissent sa compétence. Ainsi, sa juridiction ne s'applique que sur un
territoire d'un Etat qui a ratifié le statut sauf si la cour est saisie par le
Conseil de Sécurité de l'ONU, auquel cas sa compétence est universelle. La CPI
siège à La Haye aux Pays-Bas. Ses 18 juges sont
issus des 5 continents.
Avec
la CPI, la volonté est claire de faire en sorte que les crimes contre
l'humanité et les génocides relèvent clairement du droit international.
Désormais, une instance permanente peut les juger. Cependant, les EU n'ont pas ratifié leurs statuts,
tout comme la Russie, l'Ukraine, Israël ou la Thaïlande. Par ailleurs, elle est contestée par ceux qui considèrent qu'elle n'a jugé jusqu'alors que des
justiciables issus du continent africain.
Conclusion
: Bien
que proches, les notions de crime contre l'humanité et de génocide ne doivent pas être
confondues. Elles se créent simultanément dans le contexte de le la première moitié
du 20ème siècle et de la Seconde Guerre mondiale. Mais aujourd'hui encore la
principale distinction concerne l'intention
des auteurs, ou coupables pour le dire autrement. Pour qualifier un crime de
génocide, il faut démontrer la volonté
de détruire un groupe pour ce qu'il est. Depuis leur création, les deux
notions ont évolué. Par exemple, d'autres violences sont désormais considérées
comme génocidaires. De même, le contexte de
guerre n'est plus nécessaire pour qualifier un crime contre l'humanité. La
question qui est posée désormais est de savoir quelles sont les violences qui,
aujourd'hui et dans l'histoire, relèvent de l'une ou de l'autre des
qualifications. Si la notion de génocide s'applique au cas des Hereros, des
Namas, des Arméniens, des Juifs, des Tsiganes et des Tutsi, la question est
aujourd'hui posée de savoir si le massacre des Rohingyas
en est un.
Génocide : Acte commis dans
l'intention de détruire, tout ou partie d'un groupe national, ethnique, racial
ou religieux.
Crime contre
l'humanité :
Tout acte inhumain (assassinat, extermination, réduction en esclavage,
déportation) commis de façon planifiée contre d’un individu ou d'un groupe
d'individus, inspire par des motifs
politiques, philosophiques, raciaux ou religieux.
Crime de guerre : mauvais traitements
(assassinat, viol, déportation, pillage, destruction) infligés aux civils et
aux prisonniers de guerre, alors que les exigences militaires ne le justifient
pas (définition des conventions de Genève de 1864, 1906, et 1929)