La différence entre histoire et mémoire.
« L’historien n’est pas celui qui sait
mais celui qui cherche ». Lucien Febvre Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais.
« L’histoire
est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus
», Pierre Nora, Les lieux de mémoire
Il existe en Espagne un texte législatif intitulé « loi sur la mémoire historique espagnole ». A bien y réfléchir il peut-être étonnant de voir
rapprochés dans la même expression les termes de mémoire et d’histoire
qui désignent des réalités différentes.
Qu’est-ce qui distingue l’histoire de la
mémoire ? Existe-t-il des points communs entre l’histoire et la
mémoire ?
I La mémoire …
a) …. a de commun avec
l’histoire d’être un récit sur le passé.
La mémoire est un terme polysémique et multiforme. Elle désigne une fonction mentale
qui permet d'acquérir et retenir des connaissances (avoir un trou de mémoire)
mais aussi la pratique qui consiste à
rappeler le souvenir du passé (la mémoire de la guerre de l’Algérie, la
mémoire du génocide). L’une des définitions données par le Robert est la
suivante : « Faculté de conserver
et de rappeler des choses passées et ce qui s'y trouve associé »
b) Mais des caractéristiques propres à la mémoire
font qu’elle …
La mémoire peut-être individuelle. Par exemple, le
témoignage est l’expression du souvenir d’une expérience personnelle, d’un
fait observé, d’une expérience vécue. Mais la mémoire est aussi collective. Il serait simpliste de
considérer que la mémoire collective est la somme des mémoires individuelles. En réalité ces deux types de mémoires se
nourrissent l’une l’autre pour construire des représentations du passé.
La mémoire est également une pratique, souvent sociale, qui consiste,
par différents moyens, à entretenir le souvenir notamment quand il s’agit
de rendre hommage à des victimes. Comme le note Pierre Nora :
"la mémoire installe le souvenir dans le sacré".
Seulement la mémoire n'est pas infaillible. Il faut dire qu'individuelle ou
collective, la mémoire peut évoluer au grès de ses accommodements, de ce qu'elle
retient ou de ce qu'elle oublie. De ce point de vue, on peut, d'une
certaine façon, parler de plasticité de la mémoire. Pierre Laborie le
disait : " La mémoire n'est rien d'autre que l'organisation volontaire et involontaire des silences et des
oublis". La mémoire est donc
sélective. Par ses choix conscients ou pas, elle en devient subjective.
II …..est différente
de l’histoire.
a) Sa définition repose
sur des principes…
Le mot histoire
a lui aussi plusieurs sens. Il désigne à la fois un simple récit distractif, le
passé d’une communauté humaine et la
discipline qui l’étudie. Pour commencer et pour faire simple, on peut dire de
l’histoire est une science qui
chercher à étudier et faire le récit du passé de façon objective. Pour ce faire,
l’historien, l’historienne rassemblent des sources.
Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, à l’origine de l' « école méthodique » croient aux documents. Pour eux, « l’Histoire se
fait avec des documents. Les documents sont les traces qu’ont laissés les
pensées et les actes des hommes d’autrefois ». Ils pensent alors
essentiellement aux traces écrites. Mais l’histoire peut reposer sur d’autres
sources comme les témoignages directs.
Mais elle peut aussi faire feu de tout bois. Lucien Febvre propose ceci
dans Combat pour l’Histoire : «
L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais
elle peut se faire avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui
permettre d’utiliser… donc des mots, des signes, des paysages et des tuiles.
Des formes de champs et des mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des
colliers d’attelage ».L’histoire repose donc aussi sur les acquis de l’archéologie. Le bon historien sait
donc choisir ses sources et les
confronter pour écrire le récit du passé.
b)
…qu’il est cependant possible d’interroger.
Les
sources peuvent être discutées. Tous les documents ne sont pas fiables. Il
existe des faux célèbres en histoire. La Donation
de Constantin, datée prétendument du IVème siècle, était sensée être la
preuve du don par l’empereur Constantin au Pape Sylvestre de l’autorité sur
l’occident. C’était pourtant un faux utilisé à partir du Xème pour assoir les
revendications territoriales et politiques papales. Certains manuels scolaires
reproduisent de faux documents. C’est le cas de la photographie célèbre Mort d’un poilu ou Verdun 1916. Il
s’agit en réalité un photogramme extrait d’un film de fiction produit en 1928
pour le dixième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale : Verdun, vision d’Histoire de Léon
Poirier. C’est la raison pour laquelle Ch.V. Langlois et Ch. Seignobos
ont défini une méthode qu’ils voulaient
rigoureuse. Depuis, tout historien soumet ses sources à une double critique. Cette critique est externe (D’où proviennent
les documents ? Sont-ils de première main ou des copies des adaptations ? ) et interne (Que disent-ils ? Que
peut-on retenir comme véridique dans le document ? ). On vérifie ainsi la
validité des documents. La rigueur de cette démarche amène Ch.V. Langlois et
Ch. Seignobos à penser que «
l’Histoire est une science ».
On peut également douter des témoignages. Ainsi l’historien Marc Bloch
conseille la plus grande prudence dans ce domaine. Il écrit dans Réflexions d’un historien sur les fausses
nouvelles de la guerre: « Il n’y a pas de bon témoin […] Sur quels points
un témoin sincère et qui pense dire vrai mérite-t-il d’être cru». Il est donc nécessaire de confronter les documents et
les témoignages.
On peut également discuter la nature scientifique de la discipline. Le raisonnement
historique ne serait pas celui d’une science dite « dure » ou
« exacte ». En science, le raisonnement est le plus souvent (mais pas
exclusivement) hypothético-déductif
et la démarche est expérimentale.
Pour faire simple, dans un raisonnement hypothético-déductif, on pose une
hypothèse, on imagine par le calcul son résultat et on confronte ce résultat à
une expérience que l’on peut reproduire pour le valider et en faire une loi. En
histoire, c’est différent. L’historien Paul Veyne souligne que : «
L’histoire […] ne peut déduire et prévoir ». Il prend l’exemple de la Révolution française.
Il dit qu’il n’existe pas de « théorie générale de la révolution d’où se
déduirait 1789 ».Cependant, l’historien n’utilise pas les documents au hasard,
au « petit bonheur la chance » de ses découvertes. Il définit des problèmes, des questions
auxquelles il tente de répondre en choisissant et en analysant de nombreux documents. C’est ce que
François Furet appelle dans L’Atelier
de l’Histoire : l' « Histoire-problème ».
Pour
terminer, si comme le disait l’historien Allemand Léopold Von Ranke au
19ème siècle, l’historien doit
seulement montrer « ce qui s’est réellement passé », son récit peut être
marqué par une certaine subjectivité.
Au 20ème siècle par exemple, l’école marxiste et l’école libérale se
sont régulièrement affrontées pour interpréter
l’histoire à l’aune de leurs références idéologiques.
Conclusion : La mémoire et
l’histoire ne doivent pas être
confondues. Elles ont en commun de proposer un récit sur le passé mais si la mémoire
est subjective, l’histoire est une discipline
reposant sur une technique rigoureuse de questionnement des sources pour faire
le récit sans cesse renouvelé mais vrai du passé.