Sujet : Construire la paix des traités de Westphalie à
nos jours : de l’équilibre des puissances à la sécurité collective.
En1795, le philosophe allemand Emmanuel
Kant écrivait dans son essai intitulé Vers la paix perpétuelle : « L'état de paix n'est pas un état de
nature, lequel est au contraire un état de guerre, c'est pourquoi il faut que
l'état de paix soit institué. ». Il entendait par là que chez les hommes
les relations n’étaient pas naturellement pacifiées. A ces yeux, la paix devait
se construire avec volonté. Mais la question reste posée de savoir comment.
Pour faire simple, la paix est la
situation des Etats, des groupes de personnes qui ne sont pas en guerre ou en
conflit. Certains comme Johan Galtung
distinguent à ce sujet la paix qui ne serait qu’un arrêt des combats, autrement
dit la paix négative, d’une paix
construite pour durer en abolissant toute forme de violence et
d’injustice : la paix positive.
Signés en 1648, les traites de
Westphalie cherchent à établir une paix réelle entre Etats et religions en
la faisant reposer sur l’équilibre des puissances. On désigne
par là la situation dans
laquelle la force équivalente des
puissances les dissuade mutuellement de recourir au conflit armé. Mais
depuis, le XVIIème siècle, les conceptions de la paix ont évolué. Le XXème
siècle, marqué par deux conflits mondiaux, a vu émerger le principe de sécurité collective. Celui-ci repose
sur l’interdiction du recours à la
force, associée à un système de solidarité tel que toute agression ou menace
d’agression contre un État constitue une atteinte à la paix et à la sécurité de
tous. Ces derniers doivent alors apporter leur soutien à l’État agressé.
Pour le dire autrement, dans ce contexte, la sécurité de chacun est l'affaire de tous.
La
question est donc posée de savoir comment on construit la paix des traités de Westphalie à nos
jours. Depuis 1648, les modalités ont-elles changé ? Avec quel
succès ?
Il est possible de démontrer dans un premier
temps que les traités de Westphalie ont jeté les bases d’une paix reposant sur l’équilibre des puissances jusqu’au
XIXème siècle voire même jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Mais,
par la suite, le principe de sécurité
collective a émergé avec quelques réalisations comme l’ONU mais avec aussi
des échecs.
Signés
en 1648, les traités de Westphalie
mettent un terme à un conflit européen majeur : la guerre de trente ans. Il s’agit d’une grande guerre
politique et religieuse européenne qui dévaste l'Allemagne de 1618 à
1648. Elle oppose des princes allemands protestants parfois divisés et
la maison catholique d'Habsbourg incarnée par l’Empereur. Cette guerre dégénère ensuite en guerre européenne du
fait de l'intervention des puissances étrangères, principalement
la France de Louis XIII et la Suède aux côtés des protestants.
Pour mettre fin au conflit, deux
traités sont signés à Osnabrück (ville
majoritairement protestante le 6 août 1648 pour commencer et à Münster, ville majoritairement catholique
le 8 septembre 1648. Comme tout traité,
les traités de Westphalie sont des
documents adoptés pour mettre fin à une guerre en définissant des obligations réciproques
pour les parties signataires.
Ils
contiennent donc des clauses religieuses
puisqu’ils étendent le bénéfice de la liberté religieuse aux protestants
allemands. Ils ont également des conséquences
territoriales puisque la France et
la Suède annexent des territoires tandis que le Saint Empire reste émietté d’un point de vue étatique. Les traités
ont d’ailleurs une dimension politique puisqu’ils
soumettent l’Empereur à l’accord de la Diète
où sont représentés les princes allemands et les villes impériales. Ils
renforcent aussi l'autonomie des Etats face à l'Empereur. Notamment,
ils leur donnent le droit de conclure la paix ou de signer des traités avec
l’étranger à condition que ces alliances ou ces textes ne nuisent pas à
l'Empire. Certains considèrent donc ces traités comme les prémices de l’Etat moderne.
Enfin,
sur le plan géopolitique, les traités de Westphalie annoncent la diplomatie moderne. A cette occasion
se réunit le premier congrès de paix européen. D'une certaine
façon, il serait le modèle des débuts du multilatéralisme. Les
négociations sont longues mais elles jettent les bases de la diplomatie
future en matière d'échanges, d'organisation et de représentation.
A cette occasion, les intenses débats juridiques annoncent les
débuts du droit
international. De plus, les traités de Westphalie, font reposer la paix sur l’équilibre des puissances. Ainsi les Etats sont souverains et égaux en droit. Ils sont
ainsi susceptibles de coopérer pour stabiliser les relations internationales.
Cette logique aurait perduré, pour les uns jusqu'à
la Révolution française pour les autres jusqu'au XXème siècle. Pour ces derniers, après les guerres
napoléoniennes et la défaite de l’Empereur Napoléon, la conférence de Vienne en 1814-1815 a fondé
l’ordre européen sur l'équilibre des puissances réunies en un «
concert européen » sous la protection de la Sainte-Alliance des grandes
monarchies dont l’Autriche.
Mais des conflits comme la guerre franco-prussienne ou la Première Guerre mondiale rappellent
qu’avec l’affirmation de certains Etats, cet équilibre peut s’avérer précaire.
Pour la Première Guerre mondiale, on peut le démontrer à l’étude des causes
politiques du conflit. On constate qu’aux abords de 1914 s’affirment des
puissances européennes et leurs revendications respectives. Le jeu des alliances entraine les pays à
rompre successivement le fragile équilibre maintenu malgré les crises marocaines et les tensions
balkaniques. On peut noter qu’à l’issue de ce conflit, le traité de Versailles adopté en juin 1919 veille, sous la pression
de Clemenceau notamment, à ce que
l’Allemagne soit suffisamment affaiblie pour ne pas menacer l’ordre européen.
John Maynard Keynes s’en inquiète d’ailleurs à l’époque.
On
peut donc considérer que les traités de Westphalie définissent pour longtemps
des principes et des outils utilisés par la suite pour construire ou
reconstruire la paix par la négociation et les rapports de force entre les
Etats.
Mais les drames des deux conflits
mondiaux démontrent que la paix doit éventuellement être construite sur de
nouvelles bases, de nouvelles fondations.
A
l’issue de la Première Guerre mondiale, s’impose l’idée selon laquelle la paix
peut reposer sur la sécurité collective.
C’est le président américain Thomas Woodrow Wilson
qui l’annonce dans ses « 14 points » en janvier 1918. Il souhaite à cette occasion la mise en place d’une nouvelle diplomatie : une
diplomatie ouverte, une diplomatie des peuples, une diplomatie assurant la
liberté de circulation et des échanges. Il veut l’application du droit des peuples à déposer d’eux mêmes
(autonomie des peuples d’Autriche-Hongrie et reconstitution d’un Etat
polonais). Enfin, le 14ème point stipule qu’« une association générale des nations doit
être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d'offrir des
garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux
petits comme aux grands États». Conformément à cette attente, le traité de Versailles en juin 1919,
donne naissance à la Société des Nations.
Cette institution basée à Genève réunit
à l’origine 45 Etats mais le congrès américain refuse d’y adhérer. De
plus l’institution ne dispose pas de force armée. Elle se révèle donc impuissante à empêcher le déclenchement de
la Seconde Guerre mondiale.
En
février 1945, la conférence de Yalta
qui réunit les acteurs de la grande
alliance, Staline, Roosevelt et Churchill ,prévoit la
création d’une «organisation
internationale générale en vue de maintenir la paix et la sécurité. ». Le 26 juin 1945, la Charte
de San Francisco répond à cette attente en créant l’ONU et en définissant parmi ses objectifs le but
de maintenir la paix.
Depuis, le
fonctionnement de l’ONU est assuré par des institutions. L'Assemblée Générale de l'ONU est un
organe de délibération. Son avis est essentiellement consultatif. Elle
comprend aujourd'hui 193 Etats membres. Le Conseil de
Sécurité est lui, un organe de décision. Il est chargé
du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Il est
composé de 15 états membres. Cinq d'entre eux
sont membres permanents avec droit de veto sur les décisions
du conseil. Il s'agit de la Chine, des E-U, de la France, du Royaume
-Uni et de la Russie. Les autres Etats sont membres
non-permanents. Le Conseil de sécurité est le seul organe de l'ONU dont les
décisions doivent en principe être respectées par les Etats membres. C'est lui
qui adopte des résolutions pour maintenir la paix. Il peut
aussi constituer des opérations de maintien de la paix,
c'est-à-dire envoyer dans les zones de troubles des missions
multinationales, groupes d'observateurs ou contingents militaires appelés casques bleus. Ces derniers s'emploient
à atténuer les tensions et à séparer les forces ennemies pendant que l'on
cherche à résoudre le conflit par la diplomatie. Le Secrétaire général
de l'ONU assure les fonctions administratives de
l'ONU et peut jouer un rôle diplomatique. Il est nommé par
l'Assemblée Générale sur recommandation du conseil de sécurité.
Mais
pendant la guerre froide, à l’heure où les superpuissances
se tiennent en respect au moyen de la dissuasion nucléaire, l’ONU connait
des blocages. Par exemple, entre 1948 et 1971, l'URSS a utilisé quatre-vingt
fois son veto pour barrer des projets de résolutions. Le secrétaire
général Kofi Annan (1996-2006) a bien tenté une réforme de l’ONU et de
ses institutions. Il envisageait de supprimer ou de limiter l'usage du
droit de veto, d'admettre d'autres membres permanents au
Conseil de sécurité de l'ONU comme l'Allemagne, le Japon ou l'Inde, de partager
un siège de la même zone géographique à plusieurs et de mettre
en place une forme de droit à intervenir dans un pays où l'Etat s'en prendrait
à la population civile. S’il parvient à imposer une "responsabilité
de protéger » et une Cour Pénale Internationale créée
en 1998 pour juger les personnes accusées de génocide, de crime contre
l'humanité, de crime d'agression et de crime de guerre, son bilan est, pour
le reste, limité.
Après la Guerre Froide, l’ONU peine à donner une solution multilatérale aux conflits.
Dans un contexte de « nouvel ordre mondial » selon
l’expression de George Bush père, les Etats-Unis pensent pouvoir jouer le rôle
de gendarmes du monde. Ils semblent alors vouloir garantir la
stabilité mondiale grâce à leur puissance. Ils seraient alors les pivots de
la paix mondiale dans un nouvel équilibre des puissances. Malgré ses
succès comme la gestion de la question Irakienne en 1991(première guerre du
Golfe), l’ONU voit son autorité et son efficacité discutées. C’est le
cas quand l’OTAN intervient au Kosovo en 1999 sans autorisation de l’ONU
ou quand, en 2003, les EU mènent une guerre préventive en Irak sans
mandat onusien. Dans le cas du conflit syrien entamé en 2011, ce sont les nombreux
vétos opposés par la Russie et la Chine qui empêchent de trouver une
solution. Pour finir, un certain nombre de conflits restent sans issue.
Comme au Proche-Orient quand Israël envisage sérieusement d'annexer la
Cisjordanie alors que toute prétention sur ce territoire est incompatible avec
l'une des interprétations de la résolution 242 de l'ONU. A ce sujet, les accords d’Oslo de 1993 qui
permettaient une reconnaissance mutuelle ne sont pas parvenus à apaiser les
tensions entre Israéliens et Palestiniens. En résumé, le principe de
sécurité collective a donc progressé notamment d’un point de vue institutionnel
mais le bilan des réalisations en matière de paix dans le monde reste
mitigé.
On a donc démontré que les
conditions de la paix ont évolué depuis les traités de Westphalie en 1648.
Ces derniers en définissant durablement le cadre des relations
internationales, faisaient reposer la paix sur l’équilibre des
puissances. Cet idéal était censé empêcher un affrontement entre Etats.
Mais depuis la signature de ces traités au XVIIème siècle, l’équilibre a été
rompu à plusieurs reprises comme l’ont révélé la guerre de 7 ans, les
guerres napoléoniennes ou encore les deux
guerres mondiales. Il a fallu imaginer d’autres principes et d’autres
outils pour imposer durablement la paix. Après l’échec de la SDN, c’est
l’ONU qui a repris le flambeau de la sécurité collective. Cependant,
les difficultés qu’elle a rencontré pendant la guerre froide et après,
démontrent que la paix ou la guerre reposent encore sur les rapports de
puissances entre Etats.
Il est donc inquiétant de voir
combien l’ONU peine aujourd’hui à imposer sa voix dans le contexte du conflit
ukrainien. Il n’est pas plus rassurant de constater que c’est un équilibre
précaire de puissance qui empêche cette guerre de dégénérer en conflit
international. L’équilibre de la terreur n’a pas disparu.