Sujet : Les
guerres du Moyen-Orient de 1945 à nos jours, des conflits protéiformes aux
enjeux et aux échelles d’interprétation multiples .
Le Moyen-Orient
est une région comprise entre la rive orientale de la mer Méditerranée et la
ligne tracée par la frontière entre l'Iran et le Pakistan. Dans les années
80-90, cette région s’inscrivait au cœur de ce que la diplomatie américaine
appelait l’arc des crises. Dans leur
volonté d’affaiblir l’URSS et l’Iran, des politologues comme l’américain Zbigniew Brzeziński
ou le britannique Bernard Lewis cherchaient à analyser les causes de
guerres dans la région. Pour rappel,
la guerre désigne selon Bruno Tertrais
un conflit armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains.
Alors pourquoi le Moyen-Orient reste-t-il aussi
instable sur la période qui s’étend de 1945 à nos jours ? A quelle échelle faut-il interpréter les
conflits qui l’agitent ? Quelles formes prennent les guerres dans cette
partie du monde ?
Pour répondre à ces questions, il est d’abord nécessaire
de refaire une chronologie sommaire des conflits dans la région tout en
montrant qu’ils s’inscrivent dans plusieurs échelles d’analyse. Il apparaît
alors que les causes de conflits dans cette zone ne relèvent pas d’un facteur
unique et que les guerres y prennent des formes très variées
.
La succession de conflits au Moyen-Orient de 1945 à
nos jours confirme que la lecture de ces guerres doit se faire à plusieurs
échelles.
En 1945, les tensions de cette région du monde
s’inscrivent dans le contexte de la décolonisation. Jusqu’à la fin de la
Seconde Guerre mondiale, la France a encore des mandats sur la Syrie et le Liban. La Palestine, elle est sous mandat britannique. Ceci implique donc une
lecture à l’échelle internationale de la situation dans cette région du monde.
En 1947, le Royaume Uni est confronté à la double revendication d’indépendance
des juifs et des arabes de Palestine. Le problème est donc confié à l’ONU. Celle-ci propose une solution à
deux Etats, l’un Juif l’autre Arabe. A
l’échelle locale, la ville de Jérusalem est internationalisée pour ne pas avoir à la confier à l’un ou l’autre
des deux peuples. Déclarant son indépendance en mai 1948, l’Etat d’Israël est
confronté après la déroute des arabes de Palestine à l’attaque d’une ligue d’Etats
arabes de la région composée au
début de l’Egypte, de la Jordanie, de l’Irak de la Syrie, de l’Arabie Saoudite,
du Yémen du Nord et du Liban.
Cet affrontement a lieu au
début de la guerre froide. Les deux superpuissances ont cherché à avoir des
alliés dans la région, ce qui confirme la dimension
internationale des conflits au Moyen-Orient. Il est possible d’illustrer ce
propos au moyen d’exemples tirés des années 50.
Ainsi en 1955, le pacte de Bagdad lie la Pakistan, l’Iran, l’Irak et le
Royaume-Unis aux Etats-Unis. On parle alors de
pactomanie pour désigner la multiplication d’accords au
moyen desquels les EU ont cherché à consolider leur bloc dans le courant des
années 50-60. De son côté, Nikita Khrouchtchev, le dirigeant soviétique,
se rapproche de l’Egypte de Nasser.
Quand en 1956, ce dernier souhaite nationaliser le canal de Suez pour donner à
son pays les moyens de son développement, les Etats-Unis et l’URSS
interviennent diplomatiquement pour obliger les Français et les Britanniques à
renoncer à défendre leurs intérêts sur le canal. C’est aussi au Moyen-Orient
que se joue une partie de la fin de la guerre froide. L’URSS s’est en effet
enlisée en Afghanistan entre 1979 et 1989. Leur retrait est le reflet de
l’affaiblissement soviétique. Le Moyen-Orient
est donc l’un des cadres régionaux de l’affrontement qui oppose alors les deux
grands de ce monde.
La fin de la
guerre froide ne marque pas la fin des conflits dans cette partie du monde.
A l’heure où George Bush pense venu le temps d’un « nouvel ordre mondial » dont les Etats-Unis
seraient les garants, la seconde guerre du Golfe (1991) est l’occasion de
démontrer qu’une vaste coalition
internationale peut faire respecter la souveraineté d’un Etat, le Koweit lorsque celui-ci est agressé par son voisin l’Irak.
En 2001, les Etats-Unis sont attaqués sur leur territoire à l’occasion du 11
septembre par des terroristes venus pour la plupart du Moyen-Orient. Leur chef Oussama
Ben Laden est lui-même saoudien. L’attaque que ce dernier a planifiée est localisée mais son retentissement est mondial. Les EU répondent en intervenant en
Afghanistan dès 2001 puis en Irak en 2003 sans mandat de l’ONU. Les Etats-Unis
ne se sont retirés d’Afghanistan qu’en 2021. En Irak, les troupes américaines
continuent d’opérer malgré les annonces répétées de fin des combats et de
retrait. Quand en Syrie, le printemps
arabe déstabilise Bashar el-Assad,
ce dernier est soutenu par la Russie de
Vladimir Poutine et par une autre puissance
régionale : l’Iran. Cette dernière soutient par ailleurs les
rebelles chiites Houthis
aux forces gouvernementales dans le cadre de la guerre civile yéménite ouverte en 2014.
Tous ces exemples démontrent que de 1945 à nos jours,
les conflits du Moyen-Orient doivent se lire à plusieurs échelles. Mais quelles
en sont les causes ?
Au Moyen Orient, les
enjeux sont multiples. Certains réduisent ces conflits à des explications religieuses. Certes cette
région fut le berceau de plusieurs religions, notamment des trois monothéismes.
Certes, la ville trois fois sainte de Jérusalem est le symbole des tensions
liées à des revendications religieuses. Elle est revendiquée comme capitale par
les Israéliens et par les Palestiniens. Il faut dire que la ville est au cœur
des représentations des deux peuples (schéma).
Mais en réalité les
causes de conflits dans cette partie du monde sont bien plus nombreuses.
Souvent, ce sont des peuples, des
nations qui s’opposent pour des
territoires. On peut évoquer ici la question
des Kurdes, ce peuple du Moyen
Orient dont les populations sont réparties dans plusieurs pays. Certains Kurdes
prennent les armes en Turquie, en Syrie et un temps en Irak pour obtenir un Etat à part entière. Le conflit
israélo-palestinien est aussi l’affrontement de deux peuples pour le même territoire. Quand l’Irak de Saddam
Hussein attaque et envahit le Koweit en aout 1990, il remet en cause l’intégrité territoriale
de son voisin.
Ces territoires peuvent être riches en ressources. En
Irak, la région autonome du Kurdistan
Irakien est particulièrement riche en hydrocarbures ce qui ne va pas sans
créer de litiges entre les autorités de la région et l’autorité centrale de
Bagdad. La gestion de la ressource pétrolière est aussi l’une des causes du litige entre l’Irak et le Koweït en 1990.
Désormais,
les gisements d’hydrocarbures découverts dans l’est de la Méditerranée créent
des crispations entre Israël, la Turquie, Chypre, la Syrie. et le
Liban . Se pose aussi la question du partage entre Israéliens et
Palestiniens des ressources en gaz découvertes au large de la bande de Gaza.
Dans cette région méditerranéenne la
ressource en eau est aussi un enjeu majeur. La guerre des Six jours en 1967, a ouvert aux Israéliens l’accès aux eaux du Jourdain
et au plateau du Golan, véritable château d’eau de la région.
Pour terminer, les conflits de la région ont aussi une origine politique. Il suffit pour
le démontrer de se souvenir du printemps
arabe. A cette occasion, Bahrein, Oman, l’Arabie
Saoudite, le Yemen, la Syrie et la Jordanie ont connu
de fortes protestations pour la
démocratie. En Iran, ces protestations s’étaient exprimées dès 2009. Ce
pays connait un nouveau soulèvement après la mort de Mahsa
Amini en septembre 2022. La question
palestinienne offre une autre illustration des enjeux politiques de conflits
dans cette partie du monde. En effet, les
Palestiniens sont divisés. Depuis 2006, l’Autorité palestinienne est
contrôlée en Cisjordanie par le Fatah,
un parti nationaliste palestinien, tandis que le Hamas, mouvement islamiste contrôle la bande de Gaza. Il est d’ailleurs lui-même concurrencé par le Djihad islamique.
Finalement, on constate que le plus souvent les motifs de conflits sont intriqués.
Quand des peuples revendiquent des territoires, ils revendiquent aussi des
ressources. Les motivations religieuses
prennent aussi des dimensions politiques lorsque le projet politique est
d’établir une théocratie ou une société conforme à un idéal religieux. En
ce sens, les partis ultra-orthodoxes israéliens et les mouvements
islamistes fondamentalistes ont des objectifs comparables.
Dans cette partie du monde, les tensions résultent
donc de la conjonction de nombreux facteurs d’instabilité.
Retrouve-t-on la même diversité à l’analyse des
formes prises par les guerres au Moyen-Orient ?
Au Moyen-Orient, les conflits prennent aussi des
formes variées. La région est depuis
1945 le théâtre de nombreux conflits
interétatiques. On désigne par là des conflits qui opposent deux ou
plusieurs pays. Il est possible de rappeler pour exemple la succession de conflits israélo-arabes
de la guerre d’indépendance en
1948-1949 à la guerre du Kippour en
1973 en passant par la crise de Suez en 1957 et la guerre des Six jours en 1967.
Plus à l’est, la guerre qui oppose l’Irak à l’Iran entre 1980 et 1988,
qu’on appelle parfois première guerre du
Golfe est un autre exemple de
conflit interétatique.
On compte également dans la région de nombreux exemples de conflits
intra-étatiques. Cette expression désigne des conflits internes, des
guerres civiles ou des conflits séparatistes. A titre d’exemple, la guerre civile syrienne est un conflit
qui oppose, des groupes insurgés réclamant la démocratie (armée syrienne libre,
forces démocratiques syriennes), des forces Kurdes mais aussi des mouvements
islamistes de différentes obédiences comme
le Front al Nosra (affilié à al Qaida) et Daesh, aux troupes du
dictateur Bachar el-Assad.
Aidé par la Russie et l’Iran, Bachar el-Assad est parvenu à se maintenir au pouvoir.
Au Moyen-Orient comme ailleurs les rapports de forces sont inégaux et peuvent
fluctuer. La nature de la guerre peut en être déterminée. Ainsi, la première guerre du golfe est un
exemple de guerre symétrique où les
armées sont comparables en force et en organisation.
La deuxième
guerre du Golfe, celle au cours de laquelle une vaste coalition constituée
autour des EU, mandatée par l’ONU intervient en 1991 à la suite de l’invasion
du Koweït par l’Irak, illustre la notion de guerre dissymétrique. C’est en effet un conflit qui oppose des forces organisées de façon
comparable mais où l’armée irakienne est incapable de rivaliser face à la
puissance de la coalition internationale.
Al Qaida et son fondateur Oussama
Ben Laden prennent le prétexte de la présence de troupes comprenant
essentiellement des non-musulmans en
terre sainte pour développer tout un discours
néo-fondametaliste hostile à la famille régnante
saoudienne et à la civilisation occidentale. En 2001, 19 terroristes d’Al Qaida perpètrent les attentats du 11 septembre faisant près
de 3000 victimes. Par cet acte d’hyperterrorisme, La nébuleuse
terroriste a donc engagé alors ce qu’on appelle une guerre irrégulière. Il n’y a pas
eu de déclaration de guerre. Les
victimes sont exclusivement civiles. On reste sidérés par l’événement et
étonnés par le décalage entre la faiblesse des moyens utilisés pour ces actes
criminels et leur impact sur le monde.
Après être intervenus dès octobre 2001 en
Afghanistan, les Etats-Unis prétendent poursuivre leur « guerre totale contre le terrorisme »
en Irak. Ils interviennent donc en 2003 sans mandat de l’ONU. Le conflit est
clairement dissymétrique. Les
combats cessent officiellement en mai 2003
mais les forces de la coalition formée autour des Etats-Unis se trouvent
progressivement prises dans une guerre
asymétrique les opposant à des résistants irakiens. Une fois le dictateur
irakien Saddam Hussein renversé, une véritable guerre civile oppose à partir de 2005, le gouvernement chiite à des
insurgés islamistes ou d’anciens fidèles de Saddam Hussein, souvent sunnites.
Ceci explique le long engagement américain dans ce pays.
Les conflits du Moyen Orient
prennent donc des formes différentes et celles-ci peuvent évoluer dans le
temps.
Alors quelles conclusions peut-on tirer de l’analyse
dans le temps (analyse diachronique)
et l’espace (lecture diatopique)
des conflits au Moyen-Orient ? Il
apparait que si cette région est aussi instable c’est parce qu’elle concentre de nombreux facteurs de tensions. Ces
derniers sont liés à la diversité des cultures,
à l’inégale répartition des ressources, à la faiblesse de la démocratie,
aux multiples revendications nationales et territoriales. Le plus souvent les causes de conflits sont entremêlées.
On ne saurait donc réduire les conflits de la région à une seule explication,
de la même façon qu’il est impossible de
les inscrire dans une seule échelle d’interprétation. Une lecture multiscalaire
est donc nécessaire pour une approche géopolitique complète. On constate
également que dans cette région les guerres prennent des formes très variées.
Les conflits peuvent même voir leur nature évoluer.
Il est difficile d’être
optimiste au sujet du devenir de la région. Au Proche-Orient par exemple, l’arrivée au pouvoir en Israël d’une
coalition très à droite risque de raviver les tensions entre
Israéliens et Palestiniens notamment au sujet de la Cisjordanie. Israël a
longtemps fait figure d’unique démocratie de la région mais les projets
législatifs du gouvernement actuel risque de compromettre ce statut. Ailleurs,
chez les ennemis d’Israël comme la Syrie ou l’Iran, les peuples continuent à se
battre pour la démocratie avec un succès incertain.
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45-55 |
55-65 |
65-85 |
85-95 |
95-05 |
05-15 |
15-25 |
Locale |
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