Faire la paix par la sécurité collective : l'ONU sous le
mandat de Kofi Annan
" Nous sommes résolus à créer avec nos alliés
aussitôt que possible une organisation internationale générale en vue de
maintenir la paix et la sécurité. Nous croyons qu'une telle organisation est
essentielle pour empêcher de nouvelles agressions et éliminer les causes
politiques, économiques et sociales des guerres au moyen d'une collaboration
étroite et permanente des peuples pacifiques ". Conférence de Yalta,
février 1945
Annoncée
à la fin de la Seconde guerre mondiale, l'ONU voit le jour en 1945. Le maintien
de la paix est une de ses principales vocations.
L'ONU est elle parvenue a
atteindre ses objectifs en matière de sécurité collective ? Sous le mandat de
Kofi Annan, ses institutions furent-elles transformées ? Quel est le bilan de
l'action de Kofi Annan à la tête de l'ONU ? Qu'en est-il de l'action de l'ONU
aujourd'hui ?
Sécurité collective : accord entre des Etats selon
lequel la sécurité de chacun est l'affaire de tous, ce qui suppose une réponse
collective aux menaces contre la paix aux risques d'affrontement.
I Le principe de la
sécurité collective.
a)
figure dès l'origine parmi les objectifs de l'ONU.
Le 26 juin 1945, la Charte de San Francisco
définit parmi les objectifs de l'ONU. Celui de maintenir la paix. Mais ce texte lui confie également le rôle de
contribuer au développement économique, social, et sanitaire des Etats ; de
participer à la protection du patrimoine culturel des nations ; de garantir les droits de l'homme et le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes.
b)
L'ONU est organisée pour atteindre ses objectifs de façon multilatérale.
L'Assemblée
Générale
de l'ONU est un organe de délibération.
Son avis est essentiellement consultatif.
Elle comprend aujourd'hui 193 Etats membres.
Le Conseil de Sécurité est
lui, un organe de décision. Il est
chargé du maintien de la paix et de la
sécurité internationale. Il est composé de 15 états membres. Cinq
d'entre eux sont membres permanents
et ont un droit de veto sur les décisions du conseil. Il s'agit de la Chine , des E-U, de la France, du Royaume -Uni
et de la Russie. Les autres Etats sont membres non-permanents. Le Conseil de sécurité est le seul organe
de l'ONU dont les décisions doivent en principe être respectées par les Etats
membres. C'est lui qui adopte des résolutions
pour maintenir la paix. 2400 résolutions ont été adopté
depuis 1946. Lorsqu'une situation ou un différend est porté à l'attention du Conseil,
celui-ci commence généralement par recommander aux parties de trouver une
solution pacifique. Il peut aussi enquêter, servir de médiateur, ou définir les
principes d'un règlement. Il peut également nommer des représentants spéciaux
ou demander au Secrétaire général de
jouer les "bons offices". Si
les hostilités ont déjà éclaté, le premier souci du Conseil est d'y mettre
fin le plus rapidement possible. Il peut enjoindre
aux parties en conflit de déclarer un cessez-le-feu, imposer des sanctions diplomatiques ou économiques ou lancer une action militaire collective.
Il peut aussi constituer des opérations
de maintien de la paix, c'est-à-dire envoyer dans les zones de troubles des
missions multinationales (groupes
d'observateurs ou contingents militaires) qui s'emploient à atténuer les
tensions et à séparer les forces ennemies pendant que l'on cherche à résoudre
le conflit par la diplomatie. Ces "casques
bleus" sont placés sous l'autorité du Secrétaire général et les parties en présence doivent consentir à
leur intervention. Les casques bleus
sont constitués de troupes fournies par
les Etats membres. Ils interviennent dans différents pays pour imposer la
paix. 85 opérations de maintien de la paix ont été menées depuis 1948. 14
d'entre elles sont encore en cours aujourd'hui. La mission entre l'Inde et le
Pakistan l'est depuis 60 ans, au Liban depuis 41 ans.
Le Secrétaire
général de l'ONU assure les fonctions
administratives de l'ONU et peut
jouer un rôle diplomatique .
Il est nommé par l'Assemblée Générale sur recommandation du conseil de
sécurité.
L'ONU comprend également des instances
spécialisées dont le rôle est d'aider au développement, à la protection des
droits fondamentaux et à la protection du patrimoine. C'est le cas du PNUD (programme des nations unies pour
le développement), de l'UNICEF, de l'UNESCO,
Pour amener tous les Etats à garantir les
droits de l'Homme, en 1948 a été adoptée la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Résolution : décision du Conseil
de sécurité de l'ONU.
Multilatéralisme : pratique consistant
à prendre les décisions de façon concertée et collective.
Unilatéralisme : pratique consistant
pour une puissance à prendre des décisions seule en fonction de ses intérêts
sans consulter les autres Etats.
Droit de
veto
: capacité pour un Etat membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU de
refuser une résolution de l'ONU.
c)
Les difficultés de l'ONU du temps de la guerre froide.
Dans le contexte de la guerre froide, le fonctionnement des institutions et quelque peu
bloqué par l'opposition des deux superpuissances.
L'ONU devient d'ailleurs le théâtre de cet antagonisme. Le 29 septembre 1960,
lors de la quinzième session de l'Assemblée générale des Nations unies. Ce jour
là Nikita Khrouchtchev, secrétaire général du PCUS (1894-1971) sort de ses
gonds lors d'un discours du Premier ministre britannique Harold MacMillan (1894-1986). Pour se faire entendre, il se
déchausse et frappe son pupitre avec sa chaussure. A l'époque, l'URSS accuse d'ailleurs l'ONU d'être un
instrument du pouvoir américain. C'est d'ailleurs pour ce motif qu'elle
joue la politique de la "chaise
vide" au Conseil de Sécurité de l'ONU. En 1950, les Etats-Unis en
profitent pour intervenir dans la Guerre
de Corée sous mandat onusien. On peut retenir qu'entre 1948 et 1971, l'URSS
a utilisé quatre-vingt fois son veto
pour barrer des projets de résolutions. Soit, presque huit fois plus que tous
les autres membres permanents réunis. Mais les Etats-Unis, l'ont utilisé également,
notamment sur la question du Moyen-Orient. Il s'agissait souvent de soutenir la
politique israélienne. Sur cette question, les limites des l'ONU ont été
perceptibles. Ainsi, Israël ne se soumet pas à
la résolution 242 qui le retrait ou repli des territoires occupés
l'occasion de la guerre des Six jours. Au total, pendant la guerre froide les
opérations de maintien de la paix sont peu nombreuses. On en compte 15 entre
1948 et 1988. L'action de l'ONU n'empêche pas non plus l'ingérence des deux superpuissances dans des conflits intérieurs
comme le font les Etats-Unis au Vietnam
entre 1964 et 1973 et l'URSS en Afghanistan entre 1979 et 1989.
A la fin de la guerre froide en 1991, nait
l'espoir de voir l'ONU jouer pleinement son rôle dans la résolution des
conflits. Cependant, l'ONU peine à gérer
la guerre en Ex-Yougoslavie (91-95) et ne
peut éviter le génocide au Rwanda (1994).
Casques
bleus
: terme désignant l'ensemble des forces militaires et civiles mises à
disposition de l'ONU par les Etats membres pour assurer des missions de
surveillance de l'application de cessez le feu, de désarmement, de maintien de
l'ordre de protection des civils.
II Le mandat de Kofi
Annan (1997-2006)
a)
Kofi Annan, un secrétaire général actif et réformateur.
Né au Ghana, Kofi Annan fait des études
d'économie en Suisse et aux Etats-Unis. Il débute en 1962 une brillante
carrière à l'ONU, il succède en 1996 à l'égyptien Boutros Boutros
Ghali au poste de secrétaire général des Nations Unies. Il est alors le candidat soutenu par les Etats-Unis.
Réélu en 2001, il finit son deuxième mandat en 2006.
L'ensemble de son action à la tête de l'ONU
s'inscrit dans le contexte de l'après
guerre froide. A l'époque, domine le sentiment selon lequel le rôle de
l'ONU pourrait être renforcé avec la fin de l'opposition entre les deux
superpuissances. L'ONU étant passée de
51 Etats membres en 1946 à 185 en 1996, le moment semble venu d'effectuer
quelques réformes. Kofi Annan propose donc en 2005, une série de réformes en profondeur. Il envisage de supprimer ou de limiter l'usage du droit de
veto, d'admettre d'autres membres
permanents au Conseil de sécurité de l'ONU comme l'Allemagne, le Japon ou
l'Inde, de partager un siège de la même
zone géographique à plusieurs et de mettre
en place une forme de droit à intervenir dans un pays où l'Etat s'en prendrait
à la population civile.
b)
Mais le bilan de l'ONU sous son mandat est mitigé.
Certaines missions ont été réussies notamment
au Moyen-Orient. Une Cour
Pénale Internationale a été créée en 1998 pour juger les personnes accusées
de génocide, de crime contre l'humanité,
de crime d'agression et de crime de guerre. Si bien que Kofi Annan et l'ONU
ont été récompensés pour leur travail du prix Nobel de la paix en 2001. A
défaut de droit d'ingérence et après
avoir évoqué le droit d'assistance
au début des années 90, l'ONU a finalement reconnu en 2005, une "responsabilité de protéger" censée
empêcher les Etats d'invoquer leur souveraineté pour perpétrer des crimes
contre leur population. C'est ce droit qui a été invoqué en 2011 pour
intervenir en Libye face aux actions de répression engagées par le dictateur
Mouammar Kadhafi contre sa population. Cette action fortement soutenue par la
France a provoqué la chute et la mort du dictateur. La Russie et la Chine y ont vu une atteinte à la souveraineté étatique.
Malgré tout le bilan de l'action de l'ONU
sous le mandat de Kofi Annan connait des
limites. Aucune des grandes réformes
institutionnelles voulues par Kofi Annan en 2005 n'a été réalisée. Par ailleurs, en dépit de sa vocation à
promouvoir le multilatéralisme,
l'ONU a été confrontée à l'attitude unilatérale
des Etats-Unis. Déjà au Kosovo, en 1999,
l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) est intervenue sans mandat
de l'ONU. L'ONU a dû se contenter de fournir une force internationale de maintien de la paix (KFOR). En
2003, la défiance des Etats-Unis vis à vis de l'ONU est confirmée par leur
refus d'attendre la fin de la mission des inspecteurs de l'ONU en Irak sur
l'élimination des armes de destruction massive et le vote d'un mandat de
l'ONU pour entrer en guerre contre Saddam Hussein, le dictateur irakien. De
façon, unilatérale, les Etats-Unis ont
voulu mener là une guerre préventive
en violation des principes du droit international. En 2003, Kofi Annan condamne
l'intervention des Etats-Unis en Irak, qu'ils considère
comme illégale car elle viole les articles de la charte de l'ONU.
Droit
d'ingérence
: expression inventée par Jean-François Revel en 1979. Il s'agit du droit pour
des Etats de violer la souveraineté d'un
autre Etat dans le cadre d'un mandat
supranational afin de venir en aide à la population. Si ce type d'action
est mené par un seul Etat sans concertation, on parle d'ingérence individuelle. Celle-ci est considérée par l'ONU comme
illicite.
Responsabilité
de protéger
: responsabilité des Etats à protéger les populations face aux crimes de guerre
et crimes contre l'humanité, responsabilité de la communauté internationale
d'aider les Etats à respecter ce principe, responsabilité de la communauté
internationale d'intervenir de façon collective si un Etat manque à ses
obligations de protection.
Supranationalité : souveraineté qui se
situe au dessus de la souveraineté
nationale.
Souveraineté étatique : autorité légitime exercée
par un Etat et lui seul sur son territoire et sa population. Elle est reconnue
par la communauté internationale.
c)
Après de départ de Kofi Annan des interrogations demeurent concernant l'ONU.
Aujourd'hui encore, l'ONU reste impliquée
dans de nombreuses opérations de
maintien de la paix. Elle a même défini à ce sujet la notion de paix durable. Mais une impression
d'impuissance domine à l'étude de son action les dernières années. Pour
commencer, le conflit syrien entamé
en 2011 n'a pas connu d'issue pacifique
sous l'égide de l'ONU à cause des vetos
opposés à de nombreuses résolutions par la Russie et la Chine. Ensuite, les Etats-Unis continuent notamment
sous le mandat de Donald Trump, de mener une politique unilatérale, tenant peu compte des
délibérations onusiennes. Pour
finir, un certain nombre de conflits restent sans issue. L'ONU est toujours
présente au Kosovo alors que ce pays
a obtenu son indépendance en 2008. Israël envisage sérieusement d'annexer la
Cisjordanie alors que toute prétention sur ce territoire est incompatible avec
l'une des interprétations de la
résolution 242 de l'ONU.
Paix
durable
: doctrine définie par l'ONU selon laquelle pour établir solidement la paix
dans un Etat des progrès doivent être réalisés dans les domaines suivants : la sécurité et l'ordre public ; les droits
de l'homme, les institutions politiques (elles doivent favoriser la participation
de la population), le développement
économique et social.
Conclusion
:
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'ONU est donc une actrice majeure
de la sécurité collective et du maintien de la paix mais pendant la guerre
froide son action se heurte à l'opposition des deux superpuissances. Une fois,
le bloc soviétique dissout, les espoirs sont grands de voir l'ONU mener à bien
sa mission. Dans cet esprit, Kofi Annan envisage même de réformer ses
institutions. Mais son bilan est mitigé et l'action de l'ONU connait des
limites. Aujourd'hui, on peut dire que cette institution connaît une véritable
crise. Certains contestent son utilité, d'autres doutent de son efficacité. Il
n'en demeure pas moins que l'ONU reste le seul espace reconnu où les conflits
peuvent se gérer de façon multilatérale.