La guerre, « continuation de la politique par d’autres
moyens » (Clausewitz) : de la guerre de 7 ans aux guerres napoléoniennes.
« La
guerre devint ainsi [à la fin du XVIIe siècle ], dans son essence véritable ,
un jeu où le temps et le hasard battaient les carte ; mais pour sa
signification , ce n’était qu’une diplomatie un peu plus tendue, une façon un
peu plus exigeante de négocier , où les batailles et les sièges servaient de
notes diplomatiques. » Carl von Clausewitz, De
la Guerre, livre VIII, chapitre 3.
Clausewitz
est officier et penseur de la guerre prussien qui, dans la première moitié du 19ème
siècle, observant une mutation de la
guerre, cherche à expliquer les victoires napoléoniennes. Au Moyen-âge, la
guerre est l’affaire de l’aristocratie. A partir de la fin du Moyen Age et de
la Renaissance, la construction des Etats modernes et de nouvelles armes
rendent nécessaire la mobilisation d’armées permanentes obéissant directement
aux Rois. Mais jusqu’au milieu du 18ème siècle, on évoque parfois
l’existence de guerres en dentelles. Il s’agit de guerres très codifiées, où
des règles communes aux différents belligérants permettent parfois d’éviter des
batailles. Celles-ci n’en demeurent pas moins sanglantes quand elles ont lieu.
Quelles sont les conclusions de Clausewitz ?
Quels enseignements tire-t-il de la guerre de Sept ans ? Que vaut la
définition de la guerre qu’il construit à l’épreuve et des guerres de Napoléon
dont il fut un ennemi acharné ?
I
La pensée de Clausewitz…
« La
guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter
notre volonté » Clausewitz, De la
Guerre, livre 1, chapitre 2.
« La
guerre n’exige pas toujours que l’on se batte jusqu’à l’anéantissement de
l’un des deux camps […] L’évaluation de l’énergie déjà dépensée et de celle
qu’il faudra encore déployer pèse d’un poids encore supérieur sur la décision
de conclure la paix », Clausewitz, De
la guerre, livre 1, chapitre 2.
Comme l’explique Raymond Aron, philosophe, penseur de
la guerre qui a analysé le De la Guerre,
Clausewitz raisonne souvent de façon dialectique : but -moyen ;
guerre absolue- guerre réelle. Ainsi
Clausewitz distingue-t-il clairement
guerre absolue et guerre réelle.
Dans l’esprit de Clausewitz, la guerre
absolue est un concept théorique.
Il s’agit d’une guerre qui, comme dans un duel, viserait à anéantir l’adversaire en faisant un usage illimité de la force. Il
oppose cette notion à la guerre réelle qui
ne cherche pas forcément à anéantir l’adversaire mais qui est le moyen avant tout permettant de défendre ses intérêts et
d’atteindre ses objectifs politiques.
Cette façon de penser la
guerre est liée à un postulat de base de Clausewitz : la guerre n’est pas
le but mais le moyen d’atteindre des objectifs politiques. Il considère dans ces conditions « La guerre [est], la continuation de la
politique par d’autres moyens ». Livre 1, chapitre 1.
Ainsi Clausewitz considère-t-il que pour comprendre une
guerre et son déclenchement il faut avoir en tête ses objectifs.
II …
à l’épreuve de la guerre de Sept Ans…
a) Le conflit …
La guerre de
Sept Ans est une guerre qui, de 1756
à 1763, a opposé la Prusse de
Frédéric II, un monarque éclairé, allié à une monarchie évoluée, le Royaume-Uni
à une coalition constituée notamment
de monarchies absolues : l’Autriche,
la France et la Russie. L’Europe et
le monde sont le terrain de cet affrontement. La puissance et les territoires sont les enjeux de ce conflit. En
Europe, l’Autriche souhaite reprendre la Silésie à la Prusse. Ailleurs, la
France et le RU se disputent des territoires et Amérique du Nord et en Inde. La Prusse et le Royaume-Uni sortent
victorieux de ce conflit. A l’issue du traité
de Paris mettant fin à la guerre de Sept ans, la Prusse conserve la Silésie, la France perd une bonne partie de son empire colonial en Amérique et en
Inde.
La guerre de Sept Ans est
donc un conflit armé interétatique à
dimension géopolitique mondiale.
Traité
de Paris : 1763 Par le traité de Paris la France perd le
Canada, la Louisiane orientale, plusieurs iles des Antilles et la plupart de
ses possessions en Inde.
b) … analysé par Clausewitz.
« Il est plus
simple de tuer des Russes que de gagner contre eux » Frédéric II à l’issue
de la bataille de Zordoff (33 000 morts)
Le père de Clausewitz a participé à la guerre de Sept
Ans. Clausewitz a analysé ce conflit et en tire un certain nombre de conclusions. Il note pour commencer que
les alliances sont constituées en
fonction d’intérêts politiques. Pour
Clausewitz pendant la guerre de Sept Ans, l’objectif
n’est pas d’annihiler son adversaire, mais il s’agit surtout de mieux défendre ses intérêts. Il
remarque qu’à plusieurs reprises, la Prusse est dépassée par ses adversaires
mais Frédéric II, roi de Prusse est plusieurs fois sauvé, notamment par le
contexte géopolitique. Ainsi en 1762, alors que la Prusse voit ses ressources
s’épuiser à la suite d’une nouvelle attaque des Autrichiens et des Russe en
1761, Frédéric II voit la situation se retourner quand la tsarine Elisabeth 1ère
décède. Le trône de Russie revient alors à Pierre III, admirateur de Frédéric
II de Prusse. Pierre III signe donc la paix avec la Prusse le 5 mai 1762. Il
s’allie même à la Prusse lui fournissant 20 000 hommes. En novembre 1762
Marie Thérèse d’Autriche affaiblie et isolée est prête à négocier la paix avec
la Prusse. Clausewitz en tire deux
enseignements. Le premier, c’est que la
guerre n’est qu’un des biais parmi d’autres qui permettent d’atteindre des
objectifs politiques. Finalement, la Prusse parvient à défendre ses
intérêts alors qu’elle est en difficulté sur le plan militaire. Le deuxième
enseignement, c’est que la perte d’une
bataille ou d’un territoire n’est pas synonyme de défaite.
La guerre de
Sept Ans est donc à l’origine des théories de Clausewitz qu’elle illustre en
grande partie. Notons au passage cette guerre de Sept Ans peut être
considérée comme le premier conflit
mondial et soulignons avec Raymond Aron, qu’aux yeux de Clausewitz, Frédéric II, en tant que
chef de guerre est un précurseur de Napoléon.
III …
et des guerres napoléoniennes.
« Quand les
nations elles-mêmes prendront part à la guerre tout changera de face ; les
habitants d'un pays devenant soldats, on les traitera comme ennemis […] »
Le comte Jacques-Antoine-Hippolyte de
Guibert, 1790.
a)
Guerres révolutionnaires – guerres impériales.
Entre
1792 et 1815, la France est opposée à
sept coalitions successives où l’on retrouve le plus souvent l’Autriche, la
Prusse, le Royaume-Uni et la Russie. En 1792, ces dernières soutiennent le roi
Louis XVI dont le trône vacille. La
Révolution Française est donc menacée. C’est dans ce contexte que Napoléon
est nommé capitaine. Il l’emporte en 1793 face aux fédéralistes, au
monarchistes associés aux britanniques à l’occasion du siège de Toulon. Il s’illustre en 1796-1797 à l’occasion de la Campagne d’Italie, qui lui permet, à la
surprise générale compte tenu des effectifs de son armée, de l’emporter sur
l’Autriche. La campagne d’Egypte est
en réalité un échec face aux Britanniques et à leurs alliés. Mais Bonaparte
parvient à la présenter comme un succès à son retour à Paris en 1799. Il contribue donc largement aux guerres
révolutionnaires qui, dans un premier temps, de la 1792 à 1795 ont permis
de sauver la révolution. Sous le Directoire
(1795-1799), ces guerres
révolutionnaires sont devenues des guerres
de conquête au détriment des autres puissances européennes. Une fois au
pouvoir de 1799 à 1815, Napoléon poursuit
cette politique de conquêtes continentales dans le cadre de ce qu’on
appelle les guerres impériales.
a)
Rupture et continuité des guerres napoléoniennes.
« On pourrait douter de la réalité
de notre notion d’essence absolue de la
guerre si nous n’avions pas eu de nos jours la guerre dans sa perfection
absolue » Clausewitz, Livre 8 à propos des guerres napoléoniennes
« Les choses
étaient là [les guerres du 17ème
siècle] quand la Révolution française éclata. […] La guerre était soudain
redevenue l’affaire du peuple et d’un
peuple de 30 millions d’habitants qui se
considéraient tous comme citoyens de l’Etat. » Carl von Clausewitz, De la Guerre, livre VIII, chapitre 3.
.
On
trouve dans les guerres révolutionnaires
et les guerres impériales la confirmation de certaines thèses de
Clausewitz. La volonté de défendre
la Révolution et la diffusion des
principes révolutionnaires (liberté,
d’égalité, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, souveraineté) qui en a
résulté, illustrent combien les guerres
révolutionnaires furent le moyen d’atteindre des objectifs politiques. Clausewitz explique d’ailleurs le succès des
guerres révolutionnaires par l’ardeur
des combattants à défendre la Révolution et ses principes. Ensuite,
Clausewitz voit dans les campagnes
napoléoniennes de 1805, 1806, et 1809, l’illustration
même de ce qu’il qualifie de guerres
absolues. A ses yeux, Bonaparte conduit ces guerres « jusqu’à
l’écrasement ». Les guerres napoléoniennes seraient donc le modèle
de guerres destinées à renverser l’adversaire. Un rappel des faits
qui aboutirent à la disparition de la
Pologne en 1795 vaincue par la Prusse et la Russie, suffit à montrer que
les guerres napoléoniennes ne furent les
seules à se solder par l’anéantissement de l’adversaire. Peut-on par
ailleurs parler d’anéantissement ? Les plus Bonapartistes pourraient
mettre en avant le fait que dans les territoires dominés, Napoléon chercha le
plus souvent à re-fonder des Etats reposant sur des bases nouvelles
(constitutions, code civil, etc. )
Mais
les guerres napoléoniennes sont aussi des conflits d’un genre nouveau. Parmi
les nouveautés figure le concept de nations
en arme. En 1793, la levée en masse
permet de mobiliser 300 000 soldats pour défendre la révolution. Les guerres révolutionnaires mettent fin au modèle des guerres aristocratiques.
On peut donc aussi désormais parler de guerre
de masse. Ce que confirme la Grande Armée dans le contexte des
guerres impériales. A son apogée, elle compte près de 700 000 combattants.
Mais, face aux exactions et aux
massacres, certains territoires occupés par les armées napoléoniennes se
soulèvent. Ainsi en 1808, éclate une insurrection
à Madrid. Les insurgés pratiquent alors la guérilla dans une logique de guerre
asymétrique. Dans un livre discuté, La première guerre totale : l’Europe
de Napoléon et la naissance de la guerre moderne (2010), l’historien
américain David Bell, considère que les guerres napoléoniennes annoncent
les guerres totales du 20ème
siècle, parce qu’elles mobilisent tous
les moyens pour l’emporter et parce qu’elles touchent également les civils.
Guerre totale : conflit armé où
toutes les forces possibles, humaines, matérielles, morales et intellectuelles
sont engagées. Il se caractérise par son extension, sa durée, la mobilisation
des moyens économiques, le nombre de victimes militaires et civiles
et par le degré de violence rencontré.
Insurrection :
soulèvement d’une partie de la population pour renverser l’autorité en place.
Guérilla :
terme emprunté à l’espagnol. Désigne le combat d’unités mobiles irrégulières
(partisans, troupes rebelles) pratiquant
la guerre de harcèlements, d’embuscades de coups de mains.
Grande
armée :
nom donnée à l’armée impériale à partir de 1805. Elle compte près de
700 000 hommes issus de vingt nations à son apogée.
Levée
en masse : décision politique prise par la convention en
1793 permettant de recruter 300 000
soldats parmi les célibataires de 18 à 35 ans.
Guerre
de masse : guerre qui mobilise une part importante de la
population dans les combats.
Conclusion :
C’est à la lumière de la guerre de Sept Ans et des guerres napoléoniennes, que
Clausewitz construit quelques uns de ses concepts-clés. L’idée que la guerre
est la continuation de la politique par d’autres moyens résulte de l’analyse
des enjeux et des circonstances de ces conflits armés. Il en conclut également
que la guerre évolue. Aujourd’hui, à l’heure où les conflits non-conventionnels
semblent l’emporter sur les guerres « classiques », les concepts
clausewitziens restent-ils opérants ?