Le modèle de Clausewitz à l’épreuve des « guerres irrégulières » : d’Al Qaïda à Daech.

 

Le  11 septembre 2001, le monde découvre sidéré les capacités de destruction de l’organisation terroriste Al Qaida. En  novembre 2015, la France reçoit des soutiens du monde entier après les attentats de Paris revendiqués par Daech. Clairement, depuis 2001, le terrorisme est entré dans une autre dimension.

La pensée de Clausewitz peut elle aider à comprendre les modalités d’action et les objectifs d’Al Qaïda et de Daech? Les concepts développés par le penseur Prussien, s’appliquent-ils pour ces deux organisations ?

I Al Qaïda et de Daech sont à l’origine…

a)             L’islamisme des origines…

En 1928, l’instituteur égyptien  Hassan El-Banna fonde le mouvement des frères musulmans. Ce mouvement se présente alors comme une alternative à la modernisation à l’occidentale. L’objectif est de mettre en place un gouvernement s’appuyant sur la charia et le Coran pour réformer la société. Avec des hommes comme le Pakistanais Mawdoudi, l’iranien  Khomeiny et l’ l’Egyptien Qotb, l’islamisme connaît un nouveau succès dans les années 60. A ce moment là, avec Qotb en particulier, le propos  islamiste passe d’un discours anticolonialiste à un discours de rejet des régimes issus de l’indépendance (l’Iran du shah par exemple).Dans les années 80, l’islamisme se diversifie. Cette décennie est aussi celle de l’internationalisation de l’islamisme  dans le contexte de l’intervention soviétique en Afghanistan (1979-1989), le « bureau des services » créé au Pakistan par le palestinien Abdullah Azzam est à l’origine de la formation d’Al Qaida. Les Djihadistes sont alors issus le plus souvent du Moyen-Orient. C’est le cas du saoudien Ben Laden. Dans les années 90, l’origine des militants se diversifie (Bosnie, Tchétchénie, Europe occidentale, etc.) et on observe également une radicalisation du mouvement.

Islamisme : projet qui vise à partir du pouvoir d'État à créer un système politique totalisant qui gérerait tous les aspects de la société, de l'économie en s'appuyant sur les seuls fondements de l'Islam et en refusant le pluralisme politique (Olivier Roy). L'islamisme vise également à ré-islamiser la société.

Charia : loi islamique qui s'applique au droit des personnes (mariage, héritage, statut de la femme) comme au droit pénal et public, qui prévoit des peines contre les crimes religieux.

 

b)             …se diversifie avec Al Qaida puis Daech.

 

Il existe un islamisme politique non terroriste. Par exemple, en 2002, le parti islamique turc AKP (parti de la justice et du développement) qui se présente comme un parti progressiste, obtient 30% des voix aux élections législatives. Il dirige depuis la Turquie. Ce type de parti existe ailleurs dans le monde. En Tunisie, il s’agit du parti Ennahda. Au Maroc, il s’agit du PJD (Parti de la Justice et le Développement).

Mais Al Qaida et Daech incarnent un islamisme politique radical. Al Qaida, la base en Arabe, est une nébuleuse créée en 1987 par le cheikh Abdullah Yusuff Azzam et Oussama Ben Laden. Elle développe alors tout un discours néo-fondamentaliste. Le néo-fondamentalisme s’appuie sur une lecture très rigoriste du Coran. Mais, il se distingue du wahhabisme par la dénonciation de la complaisance des monarchies du golfe, notamment la dynastie saoudienne, vis-à-vis des occidentaux. Al Qaida est une nébuleuse terroriste qui fonctionne comme une « franchise » auxquelles différentes organisations se rattachent comme Al Qaida Maghreb Islamique (AQMI) ou encore Al Qaïda en Irak (AQI).

                . L'Etat Islamique en Irak et au Levant  (EI, EIIL, DAECH ou DAESH) est créé en 2006. Leur chef, Abou Bakr al Bagdadi se proclame calife en 2014 à Mossoul. A la différence d'Al-Qaida qui reste une nébuleuse terroriste menant un djihad global, DAECH entend profiter du chaos irakien pour établir une souveraineté sur un territoire à cheval sur la Syrie et l'Irak. Son but est  de recréer le «califat » au Moyen Orient.

 

Wahhabisme : mouvement, né au 18ème siècle  de la  prédication de  Mohammed ben Abdelwahhab. Il s’agit d’un mouvement religieux puritain qui  veut une lecture littéraliste et rigoureuse du Coran.

Néo-fondamentalisme : mouvement qui s’appuie sur une lecture très stricte du Coran. Il rejette l’occident, souhaite ré-islamiser la société et condamne de la complaisance de l’Arabie Saoudite vis-à-vis des américains et des occidentaux en général. Le projet politique du néo-fondamentalisme est moins clair que celui de l’Islamisme au sens strict.

Djihad : guerre « sainte » menées contre ceux considérés comme des « infidèles » pour imposer un islam «véritable».

Califat : territoire sous l’autorité d’un Calife. Titre fondé par les successeurs du prophète Mahommet.

 

 

II …de guerres irrégulières…

 

a)     Vers un terrorisme d’un genre nouveau…

Les premiers attentats d’Al Qaida contre des intérêts américains datent de 1998 (attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie-224 morts) mais ils n’eurent pas la portée du 11 septembre 2001. Ce jour là un groupe de 19 personnes d'origine saoudienne pour la plupart, détourne quatre avions et détruit ainsi les tours jumelles du World Trade Center à New-York et endommage sérieusement le Pentagone à Washington. Le bilan humain est de 2995 victimes. Le monde entier découvre la nébuleuse terroriste dirigée par Ben Laden. Plus tard en 2015, Daech s’inscrit également dans cette logique en revendiquant les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Ces attentats ont de commun d’être des actes de violence à très grande échelle. Ils ont un impact psychologique qui dépasse largement les pays touchés compte tenu de leur résonnance internationale.  On parle désormais de terrorisme global ou d’hyperterrorisme.

 

Terrorisme : usage de la terreur à des fins politiques. L’ONU considère qu’il s’agit de «l’équivalent en tant de paix de crimes de guerres »

Hyperterrorisme : terrorisme dont les dégâts humains et matériels sont tels que leur impact psychologique est international.

 

 

b)     …qui s’inscrit dans une forme de guerre irrégulière.

                Al Qaida et Daech utilisent la surprise pour frapper les populations à l’occasion d’attentats sanglants. Ce mode opératoire s’assimile à une forme de guerre irrégulière. Même s’il existe plusieurs définitions de ce terme, on peut considérer que la guerre irrégulière efface la distinction entre combattants et non combattants. Elle efface par là même la limite entre le front et l’arrière en s’attaquant à des civils. De plus, elle n’oppose pas des armées constituées dans des batailles traditionnelles.  En ce sens la guerre irrégulière, s’apparente à une guerre sans front. Dans ce type de conflit, la tactique repose sur un évitement de l’opposition frontale. Elle passe donc par des actes de guérilla, par des attentats, des opérations spéciales. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’auteurs assimilent la guerre irrégulière à la guerre asymétrique.

                De plus, d’un point de vue juridique, la guerre irrégulière ne respecte pas le droit de la guerre. Il n’y pas de déclaration de guerre (jus ab bellum). Le droit dans la guerre (jus in bello) n’est pas non plus respecté puisque les civils sont visés.

                Enfin, avec lhyperterrorisme, la guerre irrégulière devient une guerre de dimension internationale car les enjeux concernent le monde entier. De ce point de vue, la guerre irrégulière est aussi une guerre sans frontières.

 

Jus ad bellum : droit de la guerre, ensemble des conditions qui justifient le déclenchement d’une guerre.

Jus in bello : droit dans la guerre, ensemble des limitations à respecter dans la conduite de la guerre.

III …qu’il est possible de confronter aux écrits de Clausewitz

a)     Des guerres non-conventionnelles…

                Les procédés utilisés par Al Qaida et Daech n’ont rien à voir avec les guerres qui ont servi de modèle à la pensée de Clausewitz. Al Qaida et Daech et les groupes assimilables mobilisent des troupes rebelles, des terroristes, des individus isolés mais pas des armées régulières. Ces organisations évitent les batailles rangées. Elles utilisent des armes conventionnelles par endroits  et non-conventionnelles ailleurs.

 

Guerres conventionnelles : guerres interétatiques opposant des armées régulières mobilisant des armes conventionnelles dans des batailles classiques.

Guerres non-conventionnelles : guerres impliquant des forces et des moyens non-conventionnelles (groupes rebelles, terroristes, attentats, guérillas, subversion, désinformation, etc.)

 

b)     …que l’on peut cependant analyser avec les concepts de Clausewitz.

                Pourtant, il reste possible d’analyser les guerres menées par Al Qaida et  Daech à la lumière de la pensée de Clausewitz. Certes  ces deux organisations ne s’inscrivent pas dans des logiques de négociations politiques mais il est cependant clair que leurs motivations sont idéologiques. Le terrorisme utilise la violence dans un but politique. Ce qui nous rapproche de la définition de la guerre donnée par Clausewitz. Par ailleurs, la guérilla que pratique Daech en Irak et en Syrie, ou encore AQMI dans la zone sahélienne est comparable à la guerre asymétrique que Clausewitz a théorisé et enseigné en utilisant l’expression petite guerre.

                Pour finir, si on part du principe que dans leurs discours Al Qaida et Daech souhaitent éliminer tout ce qui n’est pas conforme à leur modèle idéologique on peut s’interroger en se demandant si ces deux organisations ne prétendent pas mener une forme de guerre absolue destinée à anéantir l’adversaire.

Conclusion : Difficile de parler de guerre pour décrire les actes commis par Al Qaida et Daech qui, à l’heure actuelle ne sont pas des Etats constitués. Il est pourtant possible de démontrer que certains concepts de la pensée de Clausewitz peuvent être mobilisés pour analyser ces deux organisations et leurs actions. Elles font le choix du terrorisme qui est un acte de violence politique. Elles appliquent la stratégie du faible au fort en refusant l’affrontement direct. Elles inscrivent leurs discours dans des logiques d’anéantissement.