L’ISS : reflet du multilatéralisme dans le domaine
spatial ?
Lancé en 1998, le
projet de station spatiale
internationale (SSI ou ISS) a réuni
pendant près de 25 ans plusieurs puissances spatiales. Ce fut une réussite technologique et politique.
Aujourd’hui l’avenir de cette station est discuté voire compromis.
Alors la station
spatiale internationale peut-elle être donnée en exemple de collaboration internationale dans le domaine spatial ?
Pour répondre à cette
question, il convient de s’intéresser à l’histoire de sa construction et de sa
fondation et d’analyser les décisions la concernant désormais.
I L’ISS
est le reflet d’une coopération nécessaire dans le contexte de la fin de la
guerre froide.
a)
Plusieurs facteurs font de la coopération une nécessité.
La première explication est technologique. En 1979, la station spatiale
américaine Skylab se désintègre si
bien que durant les années 80 la station soviétique
MIR est la seule à permettre un séjour dans l’espace. Signe de la possible
coopération dans ce domaine, des Français, des Britanniques, des Allemands et
des Autrichiens sont accueillis dans la station soviétique pendant cette
période. Les Américains pourraient techniquement développer seuls leur propre
station mais la stagflation des
années 80 oblige la NASA à reporter ce
projet compte tenu de son coût. La deuxième
explication est donc financière. Les Américains proposent donc aux européens, au Canada et au
Japon de s’associer à leur projet de station spatiale. La troisième
explication est aussi géopolitique. Après la chute de l’URSS, la Russie n’a
plus les moyens de financer ce type de projet. Elle accepte de se joindre à ce groupe de coopération. Il est
préfiguré par le projet Shuttle-Mir en 1993. En 1994, la Russie renonce officiellement à construire la station MIR 2. Dans ces
conditions, en 1995, la navette américaine Discovery
obtient l’autorisation de survoler MIR
avant que, la même année, un spationaute
américain fasse un séjour dans la station soviétique. En 1998, le projet de
coopération internationale rassemble
donc 16 pays et 5 agences spatiales : la NASA (EU), ROSCOSMOS
(Russie), l’ESA (plusieurs pays européens), ‘ASC (Canada) et la JAXA (Japon). Chaque Etat finance une partie du projet et fournit les éléments nécessaires.
b)
La construction de la station est longue et connaît
quelques difficultés.
La construction de l’ISS débute en 1998. Cette année là,
c’est d’abord le module russe Zarya qui est mis en orbite. Quelques mois plus tard,
c’est au tour du module américain Unity d’être installé.
C’est à ces deux éléments que s’arriment ensuite les autres composants de la station. Ainsi, en 2008, les laboratoires Japonais et Européens sont
installés. Il faut savoir que
quelques accidents ou incidents techniques ralentissent la construction de la
station. En 1999, l’échec du lancement
de la fusée soviétique Proton retarde les travaux d’un an et demi. En 2003,
l’accident de la navette américaine
Columbia bloque temporairement la construction. Au total 140 lancements ont
été nécessaires pour l’assemblage de la
station. Elle s’étend sur 110 m de
longueur et 74m de large, soit à peu près l’équivalent d’un stade de foot. Elle
pèse 465 tonnes et fait le tour de la terre 16 fois par jour à la vitesse de
28 000 km/h.
c)
Elle fonctionne cependant remarquablement bien.
A partir de 2000, la station est occupée de façon ininterrompue par trois astronautes. A partir de 2009, ils sont systématiquement six. Ces derniers mènent des expériences et s’occupent de la
maintenance. Au total, ce sont des astronautes de 17 nationalités qui y ont
séjourné. D’octobre 2016 à 2017, Thomas Pesquet
fut le premier astronaute français à en être le commandant. Au sol, près de 3600 chercheurs ont profité
des expériences menées à bord de la station spatiale. Mais dans la communauté
scientifique, notamment au CNRS, des voix se sont élevées pour contester le coût de ces expériences au regard
des priorités de la recherche. Pour l’essentiel, les domaines étudiés sont les biotechnologies, la médecine, la
physique, les sciences de la terre. Pour assurer le bon fonctionnement de
la station, 80 vaisseaux-cargos ont
été nécessaires.
II Limites et fin
programmée de l’ISS.
a) La coopération connait
cependant des limites dès le début du projet.
En effet, les Etats-Unis ne souhaitent pas associer la Chine à ce projet. En 2011, l’amendement
Wolf interdit à la NASA de collaborer avec la Chine pour ne pas la laisser
profiter de la technologie américaine. La Chine répond la même année en
signalant que de toute façon elle refuse de participer au projet. On voit par
là que pour beaucoup les Etats-Unis
gardent le contrôle de cette station même si le projet est international.
La même année, les EU mettent fin aux
vols de leurs navettes spatiales.
Ils deviennent donc dépendants des
lanceurs soviétiques Soyouz. Ceci explique le souhait de la NASA de coopérer avec la société privée Space X pour retrouver la possibilité d’accéder à une
station orbitale de façon relativement autonome. Une petite remarque est
également nécessaire ici. Le fait que la partie russe de la station reste
réservée aux cosmonautes Russes prouve
que les Etats restent jaloux de leur technologie et de leur souveraineté.
b)
Vers la fin de la station spatiale
internationale ?
Aujourd’hui la station
est vieillissante. Cela laisse
imaginer que les coûts de maintenance
vont augmenter. Aussi les EU ont annoncé en 2017 qu’ils entendaient mettre
fin à leur contribution financière à l’ISS à l’horizon 2025. Finalement, les
partenaires se sont tous entendus en 2019 pour décider que la station fonctionnerait jusqu’en 2030. Mais, dans le contexte de la crise Ukrainienne,
la Russie a annoncé qu’elle allait
quitte l’ISS après 2024 pour se consacrer à la création de son propre projet de station spatiale. Elle semble donc
se diriger vers une gestion plus
unilatérale de la question des séjours spatiaux. Par contre, l’idée d’une coopération entre agences américaines et
européennes se poursuit avec le projet Artémis.
Est-ce que, pour autant, la station spatiale
internationale va être abandonnée ? Non. On s’achemine en réalité vers une
privatisation progressive de la
structure. Cette logique n’est pas
nouvelle. Déjà, en 2001, l’homme d’affaire américain Dennis Tito
avait été le premier touriste spatial envoyé dans l’espace par les Russes
moyennant finance. Les compagnies du New
Space pourraient désormais utiliser la structure
pour vendre des séjours. Dans ce domaine, les sociétés américaines ont de
l’avance. On verrait alors voir se développer
des activités commerciales voire de production. En effet, l’apesanteur
semble en mesure d’améliorer de façon spectaculaire la fabrication de fibre optique. Dans ces conditions, les coûts d’exploitation reposeraient donc
sur des investisseurs privés.
Module : élément
fonctionnel de la station pouvant être tour à tour véhicule et composant
structurel de la station.
Station spatiale : installation
spatiale en orbite ou déposée sur un astre, destinée à assurer un ou plusieurs
missions déterminées avec une certaine permanence.
Conclusion : Malgré ses limites, la Station Spatiale internationale a pu pendant longtemps être donnée
en exemple de coopération internationale. Elle a mis en suspens les affrontements issus de la guerre froide pour
permettre de nombreuses recherches et améliorer la connaissance. Mais à l’heure
où son vieillissement rend
nécessaire la redéfinition de ses
missions, la tentation est grande
pour certaines puissances spatiales de reprendre leur autonomie afin de
développer des projets de stations
spatiales autonomes.