Titre : Mers et océans : entre appropriation, protection et liberté de circulation.

 

Les incidents qui ont opposé depuis 2014 les Chinois et les Japonais pour le contrôle des îles Senkaku rappellent que les espaces maritimes sont des enjeux géopolitiques majeurs. 

 

Problématique : Les mers et les océans contribuent-ils à la puissance des Etats ? Comment ces derniers affirment-ils leur souveraineté sur les espaces maritimes ? La liberté de circulation est-elle systématiquement garantie ?

 

 

I Etude de cas : La Chine en Mer de Chine Méridionale.

a) Ses revendications sont  anciennes...

Fiery Cross Reef est un atoll situé en mer de Chine méridionale. Dès 1947, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Chine revendique les ilots de cette mer bordière de l'océan Pacifique. Cela concerne notamment, les archipels des Spratly (ou Spratleys) et des Paracels. Elle définit alors une ligne en neuf traits appelée également ligne en langue de bœuf qui englobe entre 80% et 90% de la superficie de mer de Chine Méridionale. Cependant, quand en 1949, Mao et les communistes chinois font du pays une  République Populaire de Chine, les capacités navales chinoises sont très limitées.

b) Elle développe donc sa puissance...

En 2011, le parti communiste chinois (PCC) se fixe comme objectif de faire de la Chine une grande puissance maritime. Le pays se dote donc d'un armement en conséquence.  En 2012, la Chine fait l'acquisition auprès de l'Ukraine de son premier porte-avions de fabrication soviétique à l'Ukraine. 2017, la Chine lance son premier porte-avion made in china produit en 4 ans. Elle est en train d'en construire un troisième Au total, la marine chinoise compte désormais 600 navires, ce qui en fait la deuxième marine mondiale.

c) ...pour atteindre ses objectifs...

- territoriaux

 A l'échelle régionale, même si elle a ratifié en 1996 la CNUDM, la Chine réitère à partir de 2009 auprès de l'ONU ses revendications sur  iles Paracels et Spratly situées pourtant au delà de sa ZEE. Toujours en mer de Chine méridionale, elle construit des îles artificielles sur la base de récifs coralliens. Elle entre également en conflit avec le Japon pour le contrôle des îles Senkaku.

 - économiques...

Pour la Chine, le contrôle des îlots en mer de Chine lui permet d'étendre sa ZEE et d'exploiter les ressources des fonds marins. Il s'agit aussi pour elle de contrôler et de sécuriser la principale route maritime régionale, fondamentale pour ses exportations et ses approvisionnements.

- et géopolitiques.

Par la maitrise insulaire en mer de Chine méridionale, la Chine entend  sécuriser son territoire selon la stratégie de la seconde ligne de défense définie par l'amiral Liu Huaking. Ses objectifs sont donc aussi militaires 

d) Mais ses projets sont parfois contrariés.

En 2016, la Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye a estimé, que la Chine n'a pas de «droits historiques» sur la majorité des eaux stratégiques de la mer de Chine méridionale à la grande satisfaction des Etats de la région comme les Philippines et le Vietnam qui revendiquent aussi ces îlots. C'est dans un contexte de militarisation croissante de cette partie du monde, que les Etats-Unis organisent régulièrement dans la région des opérations "Liberté de navigation".  

 

II L'utilisation des mers et des océans repose sur

 

a) des principes ...

Pendant longtemps,  les espaces maritimes ont  été considérés comme des espaces sans droits ou des espaces communs. Sur le littoral, le droit d'épave ou de bris donnait le droit de récupérer le contenu des navires naufragés sur la côte. Les naufrageurs abusaient parfois de ce principe pour provoquer l'avarie des navires. Le droit de la mer se définit progressivement à partir du 17ème siècle. S’impose alors l’idée que la haute mer (blue water pour les anglo-saxons) est un espace de libre circulation. Dans l’histoire, ce principe a été réaffirmé à plusieurs reprises. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le président Wilson le reprend dans le deuxième point de sa déclaration qui en comporte 14 (les 14 points de Wilson). A l’occasion de la Seconde Guerre mondiale, en août 1941 le président Roosevelt et Winston Churchill se réunissent au large de Terre-Neuve pour le défendre dans le septième point de la Charte de l’Atlantique. Dans le même temps, depuis le 20ème siècle, la tendance est à la territorialisation des mers et des océans.

 

b) ...qui se déclinent sous la forme de moyens légaux

En effet, depuis 1948, l’OMI qui dépend de l’ONU définit pour 170 pays (2011) les règles de circulation et de sécurité. En 1982, à  Montego Bay  est établie la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer ou CNUDM.  Si 168 l'ont adoptée, les Etats-Unis, eux, ne l'ont toujours pas fait. Malgré cela les règles sont les suivantes : Sur les 12 nautiques des eaux territoriales s’exerce la pleine souveraineté des Etats. Ils peuvent éventuellement être prolongés de 12 nautiques. On parle alors de zone contigüe. Au-delà, s’étend la zone économique exclusive sur 200 nautiques. Là, l'Etat réglemente l'exploration et l'exploitation mais la navigation reste libre. Ce contrôle peut  être étendu si la preuve est faite que le plateau continental se prolonge au delà des limites de la ZEE. Ceci explique la mise en œuvre d’opérations sous-marines largement médiatisées consistant pour les uns à planter un drapeau au pôle nord, pour les autres à démontrer le prolongement de leur plateau continental sous l’océan arctique. Par endroit, les litiges pour définir la souveraineté sur îles et les limites de la ZEE peut donner lieu à des conflits comme entre la Chine et le Japon qui revendiquent tous deux les îles Senkaku/Diaoyutai. Au delà des limites de la ZEE, c'est la haute mer (blue water). Là la libre circulation est le principe fondamental. Les eaux internationales sont considérées comme "biens communs mondiaux". Elles ne peuvent être appropriées ou revendiquées. C'est l'autorité internationale des fonds marins qui dépend de l'ONU qui gère les autorisations d'exploitation de ressources minérales au fond des océans. Elle peut accorder des extensions de ZEE. Les détroits et les canaux font aussi l’objet d’une attention particulière. Les détroits doivent demeurer libres de circulation malgré les prétentions des Etats riverains. La gestion des canaux est aussi un enjeu majeur. Par exemple, en 1956, la nationalisation du canal de Suez par Nasser a provoqué un conflit qui a opposé l'Egypte à la France, au Royaume-Uni et à Israël. En 1999, les  Etats-Unis ont rétrocédé au Panama le canal du même nom mais bénéficient encore de conditions privilégiées. En ce qui concerne l'environnement, le droit de la mer permet également aux Etats côtiers de mettre en place des mesures de protection de leurs espaces maritimes. C'est ainsi que 5000 aires marines protégées représentent aujourd'hui 7.3 % de la surface du globe soit 26 millions de km².

 

Mille nautique : 1852 m.

Aires marines protégées : espaces maritimes bénéficiant de mesure de protection du milieu marin.

Schéma

 

III  Le contrôle des mers et des océans dépend de ...

a) ... la  puissance navale des Etats.

 

Sir Walter Raleigh " Quiconque contrôle la mer contrôle le commerce, quiconque contrôle le commerce mondial, contrôle les richesses mondiales, et conséquemment le monde entier" 

 

Les Etats  doivent donc entretenir une marine pour sécuriser la circulation et protéger les territoires. De ce point de vue, les Etats-Unis ont une avance quantitative et qualitative qu’aucune nation n’est prête à rattraper. Avec 11 porte-avions, ils sont les seuls à pouvoir maintenir six flottes complètes réparties sur les différentes mers et océans à la grande satisfaction d’ailleurs de leurs principaux alliés (Taiwan, Japon  Corée). Comme d’autres, ils maîtrisent la technologie des sous-marins nucléaires  mais en outre ils possèdent un monopole technologique sur les catapultes nécessaires au décollage des aéronefs sur certains porte-avions. Ils suivent dans leur déploiement les principes définis par Alfred Mahan (The Influence of Sea Power on Industrie) qui considérait que la puissance reposait sur la maîtrise des mers.

Si récemment certains Etats ont vu leur puissance navale décliner comme, un temps, la Russie après la dislocation de l’URSS, d’autres au contraire s’affirment. Ainsi la Chine, l’Inde et le Brésil se dotent de porte-avions. Par ailleurs, la Chine déploie au sud de la mer de Chine et dans l’océan Indien sa stratégie du « colliers de perles » en établissant des partenariats garantissant l’accès à de nouveaux ports en contrepartie de généreux investissements (Maldives, Bengladesh, Birmanie). Ces accords sont  essentiellement économiques. Militairement, cet aspect de la puissance chinoise est encore en devenir.

Sur le plan géostratégique, on voit donc se dessiner une nouvelle hiérarchie des puissances maritimes à l’image de l’émergence de nouvelles puissances dans le contexte de la mondialisation.

 

b) ...et de leur capacité à imposer les règles internationales et leurs intérêts.

La puissance des Etats leur permet de contrôler des flux et de sécuriser la navigation quand cela est de leur ressort. C'est notamment le rôle des gardes côtes. Mais par endroit, on voit le contrôle des océans échapper aux puissances. La piraterie reste présente dans certaines régions du globe (golfe d'Aden, Golfe de Guinée, détroit de Malacca). Le Bureau maritime international (BMI) a recensé 201 attaques en 2018. Le sous-développement, l’affaiblissement des Etats ou encore la pollution et la surpêche peuvent expliquer la recrudescence des abordages. La taille des navires attaqués a de quoi impressionner. Le phénomène remet en cause la sécurité de certaines routes et de certains approvisionnements, si bien que les armateurs ont de plus en plus recours à des forces armées privées embarquées. Ils organisent avec les Etats des convois que des task forces cherchent à sécuriser.

En Europe, concernant les flux de personnes, la tendance est au renforcement des contrôles aux frontières extérieures. Dans le cadre de l’espace Schengen, des moyens importants sont dévolus au volet maritime du programme FRONTEX. Dans le domaine des flux d’informations, on sait également que la NSA (National Security Agency) américaine est capable d’ « intercepter » les messages qui transitent par les câbles sous marins. La Russie est soupçonnée de chercher à en faire autant.

 

FRONTEX : agence européenne pour la sécurité et les frontières extérieures.

OMI : organisation maritime internationale. Elle cherche à harmoniser les règles de la navigation internationale.

Task force : force opérationnelle militaire créée temporairement pour exécuter une mission précise.

Haute mer : partie des océans sur laquelle ne s’exerce la juridiction d’aucun Etat (64% des océans)

 

Conclusion :

Les ressources des espaces maritimes relevant de la souveraineté des Etats contribuent donc à leurs puissances, à la condition que ces derniers disposent des moyens nécessaires pour faire valoir leurs droits. Ces moyens sont également nécessaires pour assurer la libre circulation des flux de la mondialisation ou, au contraire, pour les empêcher. Les espaces maritimes sont donc le reflet de la puissance ou de la volonté de puissance des Etats. Mais cette importance prise par les mers dans le contexte de la mondialisation ne doit pas occulter que l’exploitation non raisonnée des ressources immenses peut s’avérer contraignante et peut déprécier un milieu qui n’est pas infini.

 

Puissance : capacité d’un Etat à imposer sa volonté aux autres en combinant différents facteurs (le poids démographique, les ressources d’un territoire plus ou moins étendu, le développement économique, l’influence géopolitique, les capacités militaires, le rayonnement culturel, etc…)

Géopolitique : étude des relations entre les Etats, et des éléments géographiques qui entrent en jeu dans les rapports de puissances.

Géostratégie : analyse des espaces motivée par des enjeux militaires ou de puissance.

Mer : étendue d’eau salée en communication libre et naturelle. Convention des Nations Unies -1982.

Plateau continental : en géomorphologie, il s’agit d’un prolongement d’un continent sous la mer à des profondeurs n’excédant pas les 2500 m.

Espaces maritimes : les espaces maritimes sont au sens strict les espaces couverts par la mer. Mais dans cette étude, il peut être intéressant de travailler aussi sur les littoraux qui sont au contact entre terre et mer.