Leçon : 1914-1918 : Edouard Gaston Lacave : une expérience combattante dans une guerre totale

 

Le choix de l'engagement, un parmi des millions. 

 

Comme l'indique son registre de matricule, Gaston Lacave est engagé volontaire en 1912, c'est à dire en temps de paix mais dans un contexte de tensions géopolitiques persistantes entre la France et l'Allemagne. Il est impossible aujourd'hui de dire quelles furent les raisons de son engagement mais il est possible d'apporter quelques explications.

 

Dans le contexte d'une guerre possible contre l'Allemagne de nombreux moyens sont mis en œuvre en ce début de siècle pour que la population française accepte la guerre. A l’école, les cartes de France portent le deuil de l'Alsace-Moselle annexée par l’Allemagne à l’issue de la guerre franco-prussienne en 1871. Les enfants de l'âge de Gaston Lacave défilent dans des bataillons scolaires créés pour apprendre à marcher au pas. Ils sont alors équipés d’armes factices. Le père gersois du Petit Larousse, Claude Augé, écrit pour eux des musiques et des chants d'entraînement. La religion catholique contribue également à la mobilisation des esprits. C'est dans ce contexte d'avant guerre, que, par exemple, Jeanne d’Arc, la combattante, est béatifiée en 1909. La guerre est alors parfois représentée comme une croisade contre les Allemands. Par le moyen de l’école, de l’église ou de la presse, c’est tout un discours de guerre qui se met en place pour préparer les esprits. A ce moment là, les points de vue oscillent entre un nationalisme de revanche et un patriotisme défensif. 

 

La guerre annoncée par les autorités est une guerre courte, offensive et peu coûteuse en hommes. L’état-major mise sur le fusil Lebel et la mobilité du canon de 75 produit par l’entreprise Schneider pour mettre en œuvre son plan XVII. L’image du combattant est alors celle du soldat debout, le corps dressé tel qu'on le représente plus tard sur le monument aux morts de Mirande. On croit alors à une guerre héroïque, où les qualités des combattants, l'entraînement, l'expérience, voire les qualités physiques et psychiques doivent permettre aux soldats de se distinguer. Seuls quelques observateurs de l'époque prédisent, à la lumière des conflits de l'époque, que la guerre sera immobile et défensive, compte tenu de la puissance de feu d'un armement moderne produit de façon industrielle.

 

Les soldats s'engagent aussi pour faire leur devoir tout simplement. En 1913, la loi des trois ans allonge la durée du service militaire et permet de préparer une « levée de masse » comme pendant la Révolution française. Par ailleurs, le conflit est souvent présenté comme la guerre des démocraties (France, Royaume-Uni) contre l’autoritarisme, en occultant parfois l’alliance avec la Russie autocratique.

 

Il y a dans ce contexte une acceptation, sinon un consentement à la guerre. L’image de combattants partant au combat la fleur au fusil correspond à une réalité. Mais certains historiens considèrent que dans les campagnes, au moment des moissons, on  assiste plus à une acceptation résignée qu’à un réel enthousiasme. L'opposition à la guerre est aussi une réalité du début du conflit. Jean Jaurès est assassiné le 31 juillet 1914 par un nationaliste qui lui reproche son pacifisme. Cependant, début août 1914, tous les partis finissent par se rallier pour constituer une union sacrée face à la déclaration de guerre allemande.

 

Dans ces conditions la mobilisation est forte. Gaston Lacave fait partie de ce million d'hommes mobilisés en France dès le début du conflit. Au total, ils seront huit millions pour toute la durée du conflit. La Première Guerre mondiale est donc bien une guerre de masse.

 

Son parcours dans une guerre totale.

 

Les affectations successives de Gaston Lacave illustrent bien les différents aspects de ce conflit. Gaston Lacave débute la guerre à l'endroit où elle a commencé, c'est-à-dire dans les Balkans. Il appartient à un régiment d’infanterie coloniale. A l’origine, ces régiments sont formés pour réaliser des opérations militaires dans le contexte colonial. Par exemple, le 22ème régiment d’infanterie auquel appartient Gaston Lacave est au Maroc au moment des grandes crises qui opposent la France et l’Allemagne en 1904 et en 1911. Le 28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo contre François-Ferdinand, archiduc d’Autriche-Hongrie provoque l’embrasement de l’ensemble de l’Europe. Certains prétendent que cet assassinat a été préparé par des activistes serbes à Toulouse dans le café le Bibent. Par le jeu des alliances, la France est amenée à soutenir la Serbie et le Monténégro, ses alliés en envoyant des régiments dont celui de Gaston Lacave. Là, il est engagé dans une guerre de mouvement  qui oppose les pays de l'Entente à l'Autriche-Hongrie. Cette guerre prend ensuite rapidement une dimension mondiale. Par exemple, les régiments d’infanterie coloniale intègrent des bataillons de combattants venus des colonies. Au total, ce sont près de 189000 tirailleurs « sénégalais » venus en réalité de toute l'Afrique subsaharienne qui furent mobilisés. Il faut ajouter à ce nombre  41000 Malgaches et 245000 Algériens. La participation des Australiens et des Néo-Zélandais, l'entrée en guerre des Etats-Unis en avril 1917 et l'implication de pays comme le Brésil, Panama et Cuba contribuent à la mondialisation du conflit.

 

En  mars 1916, le régiment de Gaston Lacave est rapatrié en France où il est posté à l'Est dans le secteur du Chemin des Dames. Sur ce front, les effectifs en présence et l'armement produit de façon industrielle imposent à partir de 1915 une guerre de position. Cette guerre essentiellement défensive se fait dans des tranchées protégées par un dispositif de barbelés, de mitrailleuses, de mortiers. Là, les combattants se terrent face aux bombardements et aux attaques au gaz. Malgré tout, chacun des deux camps espère l'emporter à l'occasion de vastes offensives. A Verdun en 1916, ce sont les Allemands qui lancent l'attaque. Au Chemin des Dames, c'est le général français Nivelle qui pense pouvoir mener la bataille décisive du printemps 1917. Gaston Lacave y participe. Sa mission consiste alors à enlever, avec son régiment, le village de Laffaux pris par les Allemands. Autour du village, le terrain est difficile. Les Allemands, conscients de l’imminence d’un assaut sont organisés. Les crêtes, les carrières et les carrières naturelles de la région sont défendues par des mitrailleuses. L’état-major français connaît le niveau de préparation de l'adversaire mais il reste confiant et prétend que la progression sera de 30 mètres par minute. Le 16 avril à 9h30, l’ordre est donné d’avancer. Mais l’offensive est un échec. Les régiments d’infanterie coloniale perdent 27 officiers et 1050 hommes  (Etat Major, 1931-1937). Gaston Lacave est fait prisonnier. Il est emprisonné par la suite en Allemagne dans les camp militaires de Dülmen et de Limburg. Au total, le bilan de l’ensemble de la bataille du Chemin des Dames est extrêmement lourd avec 500 000 victimes. Ce qui confirme le caractère particulièrement vulnérant de cette guerre qui, au total, fit 14 millions de victimes dans le monde et 1.3 millions en France. A ce triste bilan, il convient d’ajouter le nombre des invalides, les « gueules cassées ». Ils sont un million en France. Certains soldats sont aussi victimes de troubles psychologiques post-traumatiques.

Dans ces conditions on peut se demander comment les combattants ont pu tenir. Les journaux de tranchées révèlent la permanence du sentiment national. On se bat aussi  pour l'arrière, "pour la petite nation des siens ".  Le consentement à la guerre est donc une réalité mais il convient de constater qu’il n’est ni systématique, ni inconditionnel, ni constant. Ainsi, le conflit s’éternisant, le consentement à la guerre s’érode en particulier à partir de 1916. A la suite de la bataille du Chemin des Dames en 1917, ce sont 30 à 40 000 combattants qui se mutinent. Il ne s’agit pas d’agitation révolutionnaire,  contrairement à ce que l’état-major a voulu laisser croire. C’est plutôt la réaction de soldats expérimentés qui refusent collectivement de retourner au front, conscients des erreurs commises par la hiérarchie militaire  (PEDRONCINI 1967). Les autorités réagissent en améliorant les conditions de combat et de vie des soldats mais aussi en remplaçant Nivelle par Pétain pour mener les combats et rétablir l'ordre. Les mutineries sont réprimées. Pour l’année 17, il y eu 544 condamnations à mort et entre 50 et 75 exécutions. Sur la durée totale du conflit, les archives des conseils de guerre français permettent de dénombrer 639 fusillés "pour désobéissance militaire".

 

Conclusion : Gaston Lacave est libéré de ses obligations militaires en août 1919. Des Balkans aux camps de prisonniers allemands en passant par le Chemin des Dames, ll a enduré bien des souffrances liées à cette guerre totale. Si l'expérience de chaque combattant est unique, nombreux sont les compagnons de Gaston Lacave qui souhaitent, une fois la paix acquise, que cette guerre soit bien la "Der des ders". Pourtant, à peine plus de vingt ans plus tard un nouveau conflit éclate. On peut s'interroger sur les origines de cette nouvelle guerre. On peut également se demander si le vécu de Gaston Lacave pendant la première guerre explique les choix qu'il fait à l'occasion de la seconde. 

 

Vocabulaire :

Béatification : acte par lequel l'église donne le statut de "bienheureux" à une personne. Cela précède en général la canonisation, c'est à dire le fait de faire d'une personne un saint ou une sainte.  

Guerre totale : c'est une guerre où chacun des camps engagés mobilise tous les moyens pour l'emporter, qu'il s'agisse des personnes, des usines ou du matériel, des moyens de propagande. Par conséquent, une guerre totale se caractérise par sa durée, son bilan, son extension.

Guerre de mouvement : où la priorité est donnée à l’offensive  et aux tentatives de débordement de l’adversaire.

Guerre de position : c’est une guerre où l’objectif est d’empêcher l’adversaire de progresser. C’est une guerre défensive, d’usure  destinée à affaiblir l’adversaire pour tenter une offensive localisée pour rompre le front.

2018