Séries :
1L.
Titre : La première guerre mondiale : une ou des
expériences combattantes dans une guerre totale ?
Etude de cas : Gaston Lacave, un mirandais
dans la Grande Guerre (fiche)
Histoire de l'art : Gervais Cazes, combattre
et sublimer la mort.
Remarque : nous limiterons notre étude au cas singulier
de la France.
Le
28 juin 1914 est assassiné à Sarajevo, l’archiduc François-Ferdinand héritier
du trône d’Autriche. Cet évènement, par l’engrenage du jeu des alliances,
embrase finalement l’ensemble de l’Europe. Le vieux continent plonge alors dans
l’été 1914 dans un conflit qui s’éternise jusqu’à l’automne 1918. Entre temps,
il connaît trois grandes phases au cours desquelles alternent guerre de mouvement et guerre de position. Cette première
guerre mondiale peut être qualifiée de guerre
totale. Il s’agit en effet d’un conflit où toutes les forces possibles,
humaines, matérielles, morales et intellectuelles sont engagées. Il se
caractérise par son extension, sa durée, la mobilisation des moyens
économiques, le nombre de victimes militaires et civiles et par le degré de violence rencontré. C'est à cette guerre que participent Gaston
Lacave, l'un en est revenu, l'autre pas.
Problématique : A l’ occasion du premier conflit mondial, les
combattants ont-ils une ou des expériences de la guerre ? Cette expérience (éventuellement multiple) est-elle
conforme à leurs représentations d’avant-guerre ? Est-elle la conséquence
de la nature du conflit (une guerre totale) ?
I La représentation de la guerre ...
a) La mobilisation des consciences…..
Un nationalisme revanchard est développé. A l’école, les cartes de France portent
le deuil des territoires annexés par l’Allemagne à l’issue de la guerre
franco-prussienne (Alsace-Moselle). Des bataillons
scolaires sont mis en place pour préparer les enfants à marcher au pas. Ils
défilent régulièrement équipés d’armes factices .Le père gersois du Petit
Larousse, Claude Augé, écrit pour
eux des musiques et des chants. C'est ce nationalisme là dont se moque Gerald
Fried, l'auteur de la musique des Sentiers
de la gloire. La religion catholique contribue également à la mobilisation des
esprits. Dans le contexte de l’avant guerre par exemple, Jeanne d’Arc, la
combattante est béatifiée (1909). La guerre est parfois représentée comme une
croisade (déjà) contre les allemands. Elle est d'une certaine façon justifiée,
légitimée. Par le moyen de l’école, de l’église ou de la presse, c’est tout un discours de guerre [R.Cazals-
F.Rousseau] qui se met en place pour préparer
les esprits. . A ce moment là, les
points de vue oscillent entre un nationalisme
de revanche et un patriotisme
défensif.
b)
….pour une
guerre « démocratique »..
Dans
le sillage de la Révolution française,
une « levée de masse » se
prépare. Elle réunit pour la défense de la patrie des citoyens-soldats. Le conflit
est souvent présenté comme la guerre des démocraties (France, Royaume-Uni) contre l’autoritarisme en occultant parfois l’alliance à la Russie autocratique.
c) ...et « héroïque »
La
guerre envisagée par les autorités est une guerre
courte, offensive et peu coûteuse en hommes [S.
Audoin-Rouzeau]. L’état-major mise sur le
fusil Lebel et la mobilité du Canon de 75 produit par l’entreprise
Schneider pour mettre en œuvre son plan XVII [A.Prost]. L’image du
combattant est alors celle du soldat
debout, le corps dressé [G. Vigarello]
à l’assaut comme on peut le voir représenté sur le monument aux morts de
Mirande érigé bine après , en 1923. On croit alors à une guerre héroïque, où les qualités des combattants, l'entraînement, l'expérience, voire les
qualités physiques et psychiques doivent permettre aux soldats de se
distinguer. Seuls Yvan Bloch (industriel
russe) et Emile Mayer (officier français) imaginen,t à la lumière des conflits
récents (guerre de Sécession, guerre du Mexique, guerre de Crimée conflit
russo-japonais), une guerre rendue immobile et défensive par la puissance
de feu de l’armement moderne
industrialisé.
d)
…pour favoriser
l’engagement.
Il
y a dans ce contexte une acceptation
sinon un consentement à la guerre
[S. Audoin-Rouzeau et A. Becker]. L’image de combattants partant au combat la fleur au fusil correspond à une
réalité [Image]. Gervais Cazes dit dans une lettre qu'il n'a pas peur à la
veille de sa mobilisation. Mais d’autres
historiens considèrent que dans les campagnes, au moment des moissons, on assiste plutôt à une acceptation résignée de la mobilisation qu’à un réel enthousiasme
[J-J Becker]. Pourtant, l’hostilité à la guerre est aussi une réalité. Jaurès est assassiné
le 31 juillet 1914 par un nationaliste qui lui reproche son pacifisme. Mais
plusieurs militants comme Jouhaux qui défendaient un point de vue proche de
Jaurès se rallient à la guerre désormais perçue comme une agression.On parle
alors, d'Union sacrée. Au total, on constate au début du conflit que
les cas de désertion sont rares. Au
total, la France de près de 40 millions d’habitants mobilise au début du
conflit presque 900 000 hommes. Au total, pendant la guerre ce furent 8 millions d’hommes qui furent mobilisés.
C’est un aspect de la massification de
la guerre confirmée par la suite….
II ….à l’épreuve d’une ou des réalités d’une guerre
totale (expériences combattantes)
a) Face à la réalité d’une mort
anonyme dans une guerre industrielle….
Les
soldats ont connu la guerre offensive
au début du conflit. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’est mort
ALAIN-FOURNIER à Saint Rémy-la-Calonne, le 22 septembre 1914). A cette époque
le pantalon et les casquettes des uniformes et encore couleur garance. Mais très vite, dès décembre14, se met en
place une guerre de tranchées, dans le
cadre de la guerre de position. Le froid, la vermine, la boue aggravent les conditions de combat. C'est le
moment où Gervais Cazes arrive au front. A ce moment là, Gaston Lacave, lui est
dans les Balkans, au Monténégro.
A l’exception des assauts, les soldats sont le plus souvent couchés [S. Audoin-Rouzeau]. Le corps à corps existe mais l'artillerie est en mesure d'infliger 70 à 80 % du total des blessures enregistrées dans les armées. La mitrailleuse a un impact important dans la guerre. Elle mécanise et industrialise la puissance de feu de combattants qui tirent pour l'essentiel à l'aveugle. Il faut ajouter à cela l’utilisation des mines, des gaz de combats (dérivés du Chlore, Ypérite), de l’aviation. Au total, en France sur toute la durée du conflit c'est 331 millions d'obus qui ont été produits. Désormais, on ne sait qui l'on tue ni qui vous tue. Pour fondre un peu les combattants dans les paysage, l'uniforme bleu-horizon et le casque Adrian se généralise dans l'armée française en septembre 1915.
Ces
conditions doivent être endurées sur de
longues périodes et le rythme des
permissions est inégal. C'est ainsi que la bataille de Verdun dure dix
mois, celle de la Somme cinq mois, celle d’Ypres un mois en 1915 et cinq mois
en 1917. Cette guerre est particulièrement vulnérante.
Elle fit au total dans le monde
presque 14 millions de victimes dont 1.3 en France [Vaïsse, Duffour]. A ce
triste bilan, il convient d’ajouter le nombre
des invalides, « gueules cassées ». Ils sont un million en
France. Il faut mentionner également les désordres psychologiques. De
nombreux soldats sont victimes de troubles de stress post-traumatique
(shell shock ou obusite). Dans un premier temps, les militaires français ne les
reconnaissent pas comme tels.
En
dépit de cette description généralisatrice, il convient de noter que tous les
soldats n’ont pas combattu dans les mêmes armes. La marine a eu un rôle majeur
et dans l’aviation s’est perpétuée dans les premières années l’idée d’une guerre chevaleresque. Cet état d’esprit
est cependant très exceptionnel. On le rencontre encore par exemple lorsque que
le Kronprinz restitue son épée d’officier au commandant Raynal pour sa
résistance héroïque dans le fort de Vaux. D’un front à l’autre également, le
soldat n’a pas la même expérience des combats. Pour Stéphane Audoin-Rouzeau, il
est risqué de postuler l'unicité de
l’expérience combattante.
Guerre de mouvement : où la priorité est donnée à l’offensive et aux tentatives de débordement de
l’adversaire.
Guerre de position : c’est une guerre où l’objectif est d’empêcher l’adversaire
de progresser. C’est une guerre défensive, d’usure destinée à affaiblir l’adversaire pour tenter
une offensive localisée pour rompre le front.
b) Le rapport à l’ennemi.
Dans
ce contexte, les combattants ne peuvent que prendre conscience de la
vulnérabilité de leur corps. On estime que pendant la guerre, la moitié des 2,8
millions de blessés français l'ont été deux fois, et plus de 100000, trois ou quatre fois. [S. Audoin-Rouzeau]. Il
faut dire que pour certains historiens, [G. Mosse] on assiste à l’occasion du
conflit à une véritable brutalisation des
combattants. On s'habitue à ses violences et à la mort. A. Prost conteste cette vision des choses en
montrant la diversité des attitudes au front. Des armes exposées au Musée de
l’Historial de la Grande Guerre de Péronne témoignent cependant de la barbarie de certains
comportements. On peut voir dans certaines collections privées du Gers des
baïonnettes non conformes aux règles internationales car elles sont crantées de
la main même des soldats pour augmenter les dégâts dans les entrailles. Pour
certains historiens, la guerre libère des pulsions de violence latentes dans
les sociétés. Les comportements tenus pour déviants en temps de paix,
deviennent licites en temps de guerre.
Pour d’autres comme P. Pharo, les
actes cruels s’auto-alimentent par
leurs propres effets dans une sorte d’escalade de la violence. La violence s’exerce également désormais sur
les civils. Sans connaître l’ampleur qu’il a connu à l’occasion de la seconde
guerre mondiale, le phénomène apparaît à l’occasion de la première guerre
mondiale avec les premiers bombardements
stratégiques : les premiers bombardements en région parisienne par
Zeppelin puis par avion en 1914 font 267 morts. Les canons lourds qui
bombardent Paris du 23 mars au 9 août 1918 font 256 victimes et 625 blessés.
Cependant dans ce contexte de déshumanisation, le rapport à l’ennemi ne doit
pas être réduit à l’hostilité. Si. Audoin-Rouzeau conteste certains récits de fraternisations, Marc Ferro a démontré
leur réalité notamment pendant l’hiver 14 (pour consulter un travail scolaire
sur ce thème- http://ubiwiki.free.fr/article.php3?id_article=34)
Brutalisation :
Approximativement "Ensauvagement en Français" : Désigne la contagion
des sociétés des pays belligérants en temps de paix par des habitudes, des
pratiques de violences contractées sur le champ de bataille lors du premier
conflit mondial.
c) ….la guerre reste-telle acceptable ?
S.
Audoin-Rouzeau, note à travers les journaux de tranchées la permanence du sentiment national. On se
bat, par ailleurs, aussi pour
l'arrière, "pour la petite nation des siens " [R.Cazals et N.Offenstadt.].
Le consentement à la guerre est donc
une réalité mais il convient de constater qu’il n’est ni systématique, ni
inconditionnel, ni constant. Dès
les premières semaines de la guerre, sous le commandement de Joffre, il y a des
exécutions de soldats désobéissants. Le mirandais Anatole Castex rappelle dans
sa correspondance qu'au moment de l'assaut les officiers sont placés à
l'arrière pour surveiller et éventuellement abattre les fuyards. Au total, les
archives des conseils de guerre révèlent l'existence de 639 fusillés "pour
désobéissance militaire". On constate en particulier, une érosion du consentement dès 1916 avec
les grandes batailles de Verdun et la Somme. En 1917, ce sont 30 à 40 000
combattants qui se mutinent après notamment
l'offensive meurtrière voulue par le général Nivelle, au chemin des Dames en avril. Gaston
Lacave est fait prisonnier au début de cette bataille à Laffaux. Gervais Cazes
y meurt lui le 13 juillet 1917. Contrairement, à l’idée propagée par le
commandement, les mutinerie ne sont pas
le fruit d’une agitation révolutionnaire
mais plutôt un refus de retourner au front, devant le décalage entre le
sacrifice consenti et le résultat obtenu à l’occasion d’offensives aussi
meurtrières que mal pensées par le commandement. Dans l’esprit d’une guerre patriotique, ces soldats-citoyens veulent le plus souvent
la victoire tout en dénonçant à la nation l’incompétence de la hiérarchie
militaire. [G. Pedroncini]. . La chanson de Craônne, créée dans ce contexte,
témoigne cependant de l'idée selon laquelle cette guerre est aussi conflit de
classes sociales opposant une masse de combattants essentiellement venue du
peuple à une élite dominant la hiérarchie militaire ou économique.
Conclusion :
Les
soldats n’ont donc pas tous la même expérience des combats, loin de là. Cependant,
à travers les exemples de Gaston Lacave et de Gervais Cazes on peut voir la
diversité des expériences combattantes dans une guerre totale. Au sortir de la
guerre, le pacifisme l'emporte dans l'esprit des anciens combattants. Certains
souhaitent d'ailleurs inspirer la haine de la guerre aux générations suivantes.
Pourtant, à peine plus de 20 ans après la fin de ce qui devait être la fin de
la "Der des ders" un nouveau conflit mondial éclate. Gaston Lacave y
jouera à nouveau son rôle.
Auteurs :
Nérée Manuel
Bibliographie :
G. MOSSE, Fallen soldiers. Reshaping the
memory of the World Wars (New York et Oxford 1990)
AUDOIN-ROUZEAU S., Les combattants
des tranchées, A travers leurs
Journaux, 14-18, Colin. 1986.
ROUSSEAU F. (dir.) Guerre, paix et sociétés, Atlande2004.
G. PEDRONCINI, Les
mutineries de 1917, PUF, 1967.
FERRO M., La grande guerre, 1914-1918, Folio
Histoire
PROST
A., Guerres, paix et sociétés : 1911-1946, Paris, Les Éditions de l'Atelier, 2003
BECKER A., AUDOIN-ROUZEAU
S., La Grande Guerre : 1914-1918, Paris, Gallimard, 1998.
Fascicule de présentation
de l'exposition de Claudie Daclin de l'Association du Renouveau de la Bastide.
Carrère Hélène, Gervais
Cazes ou l'art des tranchés de la Première Guerre mondiale, Revue les Trois
Miroirs, n° 81 et 83, 2018.
Dernière mise à jour : 11-18