Le sujet repose sur
trois extraits du témoignage de Louis Barthas,
tonnelier narbonnais qui entre 1914 et
1918 participe à la première guerre
mondiale. Pendant la durée du conflit, il consigne ses impressions dans un
carnet dont il finalise la rédaction en 1919. Ce n’est qu’en 1978, avec le
développement de l’Histoire sociale que les éditions MASPERO publient Les Carnets de Louis Barthas.
Les trois extraits s’inscrivent dans deux phases différentes de cette guerre totale. Les deux premiers ont pour
cadre la guerre de mouvement malgré
l’évocation des tranchées. Le dernier évoque clairement certains aspects de la guerre de position.
A travers ce document, il est possible de
présenter les conditions de vie et de
combat au front. Il est également possible de montrer l’évolution de l’état d’esprit des combattants.
Les conditions de
combat évoluent avec le changement de nature du conflit. Le premier extrait qui
date de novembre 1914, évoque le départ au combat dans le contexte d’une guerre de mouvement. Dans cette phase
sont lancées de grandes offensives. La première bataille de la Marne offre un
exemple de cette configuration. Le deuxième extrait annonce déjà l’immobilisation des fronts. Le
troisième, qui date de juin 1915, s’inscrit pleinement dans la logique d’une guerre de position. Dans cette phase
essentiellement défensive, des dispositifs sont mis en place pour tenir les
lignes. Ainsi Louis Barthas évoque-t-il clairement « le
bord de la tranchée ». Protégés
par des barbelés, des mitrailleuses et éventuellement des champs de mines, ces
couloirs creusés dans le sol doivent permettre d’empêcher l’adversaire
d’avancer avant le lancement de grandes attaques.
Dans cette
configuration, les conditions de vie sont extrêmement difficiles. Louis Barthas parle du danger permanent, « les balles
sifflaient au dessus de nos têtes », du froid, « notre couverture
insuffisante », et de la boue. Mais il faut ajouter à ce triste tableau,
la vermine, c'est-à-dire les poux (totos) et les rats qui incommodent les soldats.
Il faut évoquer aussi le rythme irrégulier des permissions qui contrarie les combattants.
Les conditions de
combat sont également terribles. La guerre
est désormais industrielle. Louis Barthas
témoigne des effets de l’artillerie en mentionnant la proximité du
« cadavre carbonisé ». Il faut rappeler que celle-ci est responsable
de 70 à 80% des blessures infligées pendant la guerre. Avec de telles armes, la mort est anonyme. Vous ne savez pas
qui vous tue ou qui vous tuez.
La durée du conflit est un autre aspect de
cette guerre totale. Ainsi, il y a
huit mois d’intervalle entre les extraits retenus. Le paratexte
permet également de comprendre que Louis Barthas a
vécu l’ensemble de la guerre puisqu’il rédige ces carnets en 1919.
Dans ce laps de temps,
l’état d’esprit des combattants évolue. Avant la guerre, l’école, l’église et
la presse que Louis Barthas désigne par l’expression «journaux
menteurs», mobilisent les consciences
en entretenant l’esprit de revanche.
Des bataillons scolaires sont organisés. Jeanne d’Arc est béatifiée. La
propagande attise les esprits. On observe donc d’une manière générale, une
forme de consentement à la guerre. Certains ont même pu
parler d’un départ la « fleur au
fusil ». Par antiphrase, c’est cette ambiance d’enthousiasme guerrier
que l’on peut deviner à travers les propos désillusionnés de Louis Barthas dans le premier extrait.
Par la
suite, l’acceptation devient plus
résignée. Il s’agit de faire son devoir, de protéger la patrie et la
« petite nation » des siens. Mais on part désormais conscient
d’un avenir incertain : « La France était envahie, on était au seuil
de l’hiver, la guerre s’annonçait longue et l’issue douteuse. (…)».
Le
conflit s’éternise. Les conditions de
vie et de combat sont harassantes. Louis Barthas
le dit : il est « accablé de fatigue ». Progressivement, les
soldats sont gagnés par la lassitude.
Lorsque les erreurs de commandement deviennent manifestes, certains poilus
finissent par ne plus vouloir se battre. Les uns se mutilent, les autres désobéissent collectivement. On parle de mutineries.
Dans le
même temps, la proximité de la mort et la permanence du danger rend les soldats
moins sensibles. Ils finissent par
s’accoutumer aux horreurs de la guerre. Louis Barthas
ressent cette évolution puisqu’il écrit : « cela ne me faisait aucune
sensation : soumis à certaines épreuves, le cœur perd toute sensibilité ».
Des historiens comme George Mosse ont repéré
également ce phénomène par lequel les hommes s’accoutument aux violences de la
guerre. Ils parlent d’ailleurs de brutalisation des combattants et, par effet de contagion,
des sociétés. Divers objets retrouvés dans les tranchées ou même les
comportements des soldats allemands dans la Belgique occupée témoignent de
cette tendance qui a marqué durablement les consciences européennes.
L’intérêt
de ce récit de Louis Barthas est donc de montrer
assez fidèlement l’évolution des conditions de combat d’une part et de l’état
d’esprit des combattants d’autre part. C’est donc un document qui a pour l’historien
la valeur d’un témoignage. Mais, il ne saurait cependant être considéré
isolément car Louis Barthas fait le récit de sa seule
expérience de combattant. On peut souligner avec Stéphane Audouin-Rouzeau que compte tenu de la durée du conflit, de la
diversité des fronts et des armes servies, il n’y a pas une mais des expériences combattantes.