Synthèse : Une
ou des expériences combattantes dans une guerre totale
Exposition : Gervais Cazes,
combattre et sublimer la mort.
« J’ai peint ton Eloa dans le boyau, pas
loin des éclatements d’obus, la couronne que tu lui admires a été réalisée pendant
un cruel bombardement ». Extrait de la correspondance de Gervais Cazes.
Que
peint Gervais Cazes ? L’œuvre et l’expérience de
Gervais Cazes sont-elles représentatives du vécu des
soldats pendant la Première Guerre mondiale ?
Une représentation …
Voilà ce qui fait la grande singularité de la
peinture de Gervais Cazes. Les feuilles qu’il
dessine, les animaux qu’il représente, les personnages qu’il met en scène sont
plus à rechercher dans l’imaginaire que
le jeune peintre s’est construit que dans la réalité du monde qui l’entoure.
Les végétaux sont stylisés et s’agencent comme dans un décor. Le luxe de détail ne sert pas la réalité mais le beau. Dans les paysages ainsi reconstitués,
les éléments s’enchâssent comme dans des icones byzantines ou des enluminures
médiévales. Ses personnages sont le plus souvent des femmes. Elles sont idéalisées ou inquiétantes. Elles sont entourées
d’animaux et d’objets qui semblent dire
d’où elles viennent : pas de Léda sans cygne, pas d’ange sans colombe. Ces
femmes sortent du ventre fécond de la mythologie ou de la vie des saints du
christianisme. La mort apparaît, certes mais de façon allégorique, sous les
traits d’un personnage sombre et inquiétant. A l’évidence, Gervais Cazes est un peintre
symboliste qui s’inscrit dans les
pas de son maître Maurice Denis.
Symbolisme : les symbolistes
comme Edward. Burnes-Jones ou Gustave Moreau rejettent la réalité prosaïque et
recherchent dans l’imaginaire un idéal, une harmonie qu’ils ne trouvent plus
dans leur siècle. Les symbolistes s’inspirent donc de tout ce qui peut nourrir
l’imagination : les mythes, les légendes, les religions, les croyances. Le
paysage n’est plus du tout réaliste. Il est stylisé, décoratif.
… qui contraste avec
la réalité.
Cette représentation de la mort n’a rien à
voir avec celle que Gervais Cazes côtoie quasi
quotidiennement. La Première Guerre mondiale fit près de 20 millions de victimes et c’est
celle là, la dure réalité que découvrent tous ces enfants du 19ème
siècle, envoyés se battre loin de tout ce qu’ils avaient pu imaginer jusqu’ici.
L’industrialisation a créé des armes
efficaces qui tuent à distance. La mort
est anonyme. On est loin des
corps-à-corps héroïques et des combats singuliers tels qu’ils étaient présentés avant la guerre. Les
usines crachent en masse des
munitions que les canons, fusils, les mitrailleuses déversent sur des soldats
démunis. Et pour cause : ils sont
toujours en retard d’une technologie face à ces armes nouvelles que
ce soient les mines, les lance-flammes ou encore les gaz. Qu’ils semblent
frêles ces mitrailleurs ensevelis à la suite d’une explosion que Gervais Cazes s’en va sauver (Citation à l’ordre du Corps d’Armée-3
juillet 1917).
… d’une terrible guerre d’usure.
La guerre que Gervais Cazes
a eu le temps de faire est une guerre de
position. Il arrive au front pendant l’hiver 1914-1915, au moment où
celui-ci se stabilise, bloqué par
l’incapacité de chaque camp à franchir le mur de terre, d’homme et de feu
dressé par l’adversaire. Depuis décembre 1914, des kilomètres de tranchées forment des rideaux de lignes
défensives successives reliées entre elle par des boyaux. Au printemps 1915,
Gervais Cazes écrit à leur sujet dans son carnet de
bord : « la ligne de la tranchée serpente parmi les feuillages du
printemps avec des soldats habillés de la couleur de la vierge
miraculeuse ». Il parle du bleu, le bleu
horizon de l'uniforme qui finit par équiper l'ensemble de l'armée française
à la fin de l'été 1915 pour donner une petite chance aux soldats d’échapper à
la visée. Ces poilus, Gervais Cazes les représentent rarement, mais ils apparaissent
parfois portant la capote réglementaire et le casque Adrian, lui aussi distribué en septembre 1915, bien
vulnérable face au progrès de l’artillerie. L’un d’entre eux a la tête basse.
Il se laisse guider par une femme vers
une destination qu’on ne peut qu’imaginer.
A travers la peinture…
La guerre de tranchée impose au peintre
Gervais Cazes des conditions difficiles. Il faut que la peinture sèche vite et
qu’elle n’encombre pas. Le matériel de Gervais Cazes
tient donc dans une petite boîte présentée dans l’exposition. Il utilise la
gouache l’aquarelle et le crayon sur des feuilles de papier aux dimensions
modestes. Mais la peinture ne couvre pas toutes ses œuvres. Certaines sont
inachevées.
…Gervais Cazes cherche à s’élever, s’évader…
Pourquoi y-a-t-il dans l’œuvre de Gervais Cazes un tel écart entre ce qu’il peint et la réalité qui
l’entoure ? Peut-être faut-il voir dans ces paysages des refuges, des lieux de paix à mille lieux
de la violence qu’il côtoie. Ce qu’il veut représenter n’est pas de ce monde.
Il écrit d’ailleurs dans sa correspondance : « je voudrais créer
d’une façon idéale, folle, infinie, marquer jusqu’aux larmes minuscules qui
roulent autour des prunelle de la Douleur, dorer l’éclat des yeux de la foi,
faire pâlir la Mort… et pour cela mon œil ne sera jamais exercé, ma main assez
prompt, assez légère… Je voudrais être le peintre du Paradis divin que mon être
entrevoit en rêve, le peintre de ces régions spirituelles, transparentes, comme
du cristal et compliquées à l’infini». Il faut dire qu’il est très croyant. Il
s’avoue même mystique. Son carnet de
bord tenu pendant la guerre en témoigne.
Mysticisme : Doctrine religieuse
selon laquelle l'homme peut communiquer directement et personnellement avec
Dieu. (Larouse)
...Sans pour autant
s’effacer.
Le jeune Gervais Cazes
gravit rapidement les échelons de la hiérarchie militaire. D’abord simple
soldat du rang, il devient caporal puis sous-lieutenant. Comment expliquer une
telle carrière météorique ? On peut
d’abord rappeler que la mort balaie rapidement les effectifs. Dans une de ses
lettres, Gervais Cazes se dit d’ailleurs terrifié à
l’idée de prendre la direction de sa section après la mort de son supérieur. Mais
la principale explication de cette progression hiérarchique tient au courage du
jeune artiste. Il est quatre fois cité à
l’ordre du jour pour ses actes de bravoure, il est finalement décoré de la
Croix de Guerre. Voici quelques-unes de ses citations : « s’est
emparé avec sa section d’un poste d’écoute allemand. Grâce à son activité et sa
bravoure a pu se maintenir malgré une contre-attaque ennemie. » (Citation
à l’ordre de la Brigade- 21 avril 1915). « Apprenant que la compagnie envoyait
un renfort à la 8ème compagnie, s’est immédiatement proposé pour
faire partie de ce renfort ( au plus fort de l’attaque). En outre, s’est fait
remarquer par son courage et son sang-froid, au cours de diverses patrouilles
qu’il a faites volontairement. » (Citation à l’Ordre du Régiment- 9 juin
1915). « Officier d’un courage et d’un calme remarquables. A su
inspirer à sa troupe le feu sacré qui l’anime » ( Citation à l’ordre
du Corps d’armée-28 mai 1917). On sent, en effet, dans les écrits de Gervais Cazes qu’il est très attaché à ses hommes. Ces derniers
semblent d’ailleurs bien le lui rendre. Gervais Cazes
pratique l’autorité par l’exemple. Il écrit d’ailleurs : « Ce qui me
donne le plus de joie est de sentir combien coule dans mes hommes la sympathie
pour moi ! Ils me sont très chers et je partage avec une féroce attention
leurs heures de garde, la nuit, aux petits postes d’écoute, derrière les fils
de fer épais, dans la lumineuse clarté des fusils-tromblons. Il est adorable
d’être chef et d’avoir autour de soi donné la confiance héroïque. Peut-être ne
suis-je pas modeste, mais il faut que tu saches que, sans me risquer trop loin,
je suis toujours au danger en tête de tous ici. De cette façon seulement,
j’aurai autour de moi de consciencieux soldats » (Correspondance du 30
septembre 1916)
http://www.veterans.gc.ca/fra/remembrance/history/first-world-war/audio-archive/listeningpost
Et il tient...
Les historiens se posent aujourd’hui la
question de savoir comment il a été possible de mobiliser près de 8 millions
d’hommes, de les faire tenir pendant des mois pour les uns, des années pour les
autres. L’œuvre et les propos de Gervais Cazes
témoignent de certaines des raisons pour lesquelles ces hommes ont consenti à combattre. Les peintures et
la correspondance du jeune gascon gardent les traces d’une forme de patriotisme. On peut lire le mot
« France » sur l’un des tableaux. Il faut dire que ce patriotisme a
largement été entretenu avant la guerre. Il suffit de rappeler le rôle de l’école dans ce domaine. En histoire ou
en instruction civique, on pleure l’Alsace-Moselle perdue. Des bataillons scolaires parfois équipés de
fusils factices préparent les enfants du primaire à la discipline militaire.
Dans la République laïque de ce début de 20ème siècle, l’église joue aussi un rôle dans ce
domaine. Elle présente ce conflit comme une cause juste. C’est dans ce contexte
que Jeanne d’arc est béatifiée en 1909. Certes certains combattants peuvent
voir là leur engagement légitimé. Cependant, il semble que la ferveur qui anime
Gervais Cazes est toute particulière. Il y a dans ses
propos une forme d’exaltation.
Certains soldats combattent également
convaincus qu’ils sont que cette guerre est celle de la démocratie contre l’autoritarisme,
oubliant parfois que l’in des principaux alliés de la France, la Russie, est
une autocratie. On se bat aussi pour la petite nation des siens, pour la
famille, les proches qu’on a laissés à l’arrière.
Si la
volonté de mener cette guerre semble ne jamais faiblir chez Gervais Cazes, le consentement
à la guerre ne fut ni systématique ni
inconditionnel. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler qu’en avril
1917. Il y eu de nombreuses mutineries. Près de 30 à 40 000
hommes refusèrent de combattre à la suite de la bataille du Chemin des Dames
qui fut mal pensée compte tenu de la configuration du terrain et des forces en
présence. Une amélioration du quotidien des soldats et plus de cinquante
exécutions mirent fin à ce mouvement de protestation mais voilà qui démontre
bien que l’engagement des soldats pouvait avoir des limites notamment quand ils
prenaient conscience de la bêtise de certains ordres.
...jusqu’ à sa mort.
C’est
justement au Chemin des Dames que Gervais Cazes est
mortellement blessé. Il est alors sous-lieutenant au 414ème Régiment
d’infanterie. Il ne meurt pas immédiatement des suites de ses blessures. Il a
le temps d’écrire quelques mots dans son
carnet et ses premières pensées vont à ses hommes : « touché à la tête par un éclat de grenade, mon
ordonnance avait conservé à mes côtés, sans dire un mot, la même
position ; et lorsque je me suis retourné, il palissait, il était déj mort. C’est affreux de penser à tout cela, et nos
plaisirs seront diminués par la suite. Nous serions de véritables monstres si
nous oubliions ces terribles moments. ». Il pensait survivre. Il meurt
peut de temps à près, le 13 juillet 1917, des suites de ses blessures.
Conclusion :
La
guerre est-elle donc présente dans l’œuvre de Gervais Cazes ?
Et bien finalement oui. Elle est omniprésente. Elle détermine sa façon de
peindre. Elle conditionne sa réflexion sur la mort, la vie, la religion. C’est
bien parce qu’elle s’impose à lui quotidiennement qu’il trouve en peignant, qui
sait, du réconfort, du courage, de la hauteur.
Lui
qui voit la mort en face quotidiennement est bien trop censé et sensible pour
la représenter telle qu’elle est. Il la sublime, il la dépasse. La guerre finit
par avoir sa peau. Il devait être convaincu dans ses derniers instants qu’elle
n’avait pas eu son âme.
Auteur : Manuel Nérée
11/18.
Bibliographie :
Fascicule
de présentation de l'exposition de Claudie Daclin de
l'Association du Renouveau de la Bastide.
Carrère Hélène, Gervais Cazes
ou l'art des tranchés de la Première Guerre mondiale, Revue les Trois Miroirs,
n° 81 et 83, 2018.