Les sociétés en guerre : des civils
acteurs et victimes de la guerre
Selon
les conventions internationales, est considérée comme civile toute personne qui
n'appartient pas aux forces armées. En principes depuis les premières
conventions de Genève et de La Haye à la fin du 19ème siècle et au début du
20ème siècle, les populations civiles sont protégées. Pourtant la Première
Guerre mondiale a touché les populations de différentes façons.
Quelles
furent les conséquences de la guerre sur la population civile ? Ces
conséquences constituent-elles l'une des caractéristiques de la première guerre
mondiale ? Peut-on voir dans ce que les civils ont vécu alors l'annonce de ce
que subiront les populations dans les conflits suivants ?
I Les civils sont mobilisés de différentes façons.
a) La
mobilisation des consciences…..
Avant même le début de la guerre, les populations sont soumises à une
intense propagande. En France, à l’école, les cartes de
France portent le deuil des territoires annexés par l’Allemagne à l’issue de la
guerre franco-prussienne (Alsace-Moselle). Des bataillons scolaires sont
mis en place pour préparer les enfants à marcher au pas. Ils défilent
régulièrement équipés d’armes factices .Le père gersois du Petit
Larousse, Claude Augé, écrit pour eux des musiques et des
chants. La religion catholique contribue également à la
mobilisation des esprits. Dans le contexte de l’avant guerre par exemple,
Jeanne d’Arc, la combattante est béatifiée (1909). La guerre est parfois
représentée comme une croisade (déjà) contre les allemands. Elle est d'une
certaine façon justifiée, légitimée. Par le moyen de l’école, de l’église ou de
la presse, c’est tout un discours de guerre [R.Cazals- F.Rousseau] qui se met
en place pour préparer les esprits. A ce moment là, les
points de vue oscillent entre un nationalisme de revanche et
un patriotisme défensif. Du côté de l'Entente, le conflit est
présenté comme une guerre des démocraties (France,
Royaume-Uni) contre l’autoritarisme en occultant parfois
l’alliance à la Russie autocratique.
Les consciences sont aussi encadrées pendant le conflit. Le deux
août 1914, un décret donne aux autorités militaires le droit de suspendre toute
publication périodique. Pour cela un «bureau de la presse» est
créé au ministère de la guerre. Chaque journal est dans l’obligation
d’envoyer un exemplaire du numéro à tirer (morasse). Les articles sont
alors caviardés ou interdits de
publication. Une véritable censure (Anastasie) s’abat
donc sur les journaux qui cherchent à informer réellement les lecteurs alors
que d’autres participent, au contraire à l’entreprise de « bourrage
de crâne » destinée à mobiliser l’opinion publique et à éviter
que le défaitisme ou le pacifisme ne la
gagnent.
Mais
certains journaux résistent à cette tentative. C’est le cas du Canard
Enchaîné qui s’engage malicieusement dans son premier numéro en 1915 à
ne diffuser après vérification que des «nouvelles rigoureusement
inexactes», se soustrayant ainsi, en principe, à la censure.
Par ailleurs des soldats, s’emparent de moyens à leur disposition pour diffuser
des journaux de tranchées qui
témoignent de leur état d’esprit. Les tirages de certains de ces journaux (La
Mitraille, Le Bochofage)
ne sont pas ridicules.
b) La
mobilisation des compétences.
De
nombreux scientifiques mettent leur savoir au service de leur patrie. C'est le
cas en France, de Marie Curie, qui met sur pied une unité de radiologie mobile. En Allemagne, le
chimiste Fritz Haber met ses
compétences au service de Guillaume II et développe des gaz de combat dérivés
du Chlore.
c) La mobilisation de la force de travail.
Les hommes
valides sont mobilisés pour la guerre et les armées ont besoin de quantités industrielles d'armes. Le recours à la main d'oeuvre
féminine devient donc massif mais contrairement à une idée reçue les femmes
ne découvrent pas le travail à l'occasion de la première guerre mondiale. Elles
représentaient déjà un tiers de la population active à la veille de la Première
Guerre mondiale. En France, la part de la main-d'œuvre féminine dans la population
active salariée passe de
38,2% en 1911 à 46% en 1918. On les
voit remplacer désormais les hommes aux
champs. Elles deviennent plus nombreuses dans l'industrie en particulier dans le domaine de l'armement avec près
de 480 000 munitionnettes
en 1918. Rémunérées, elles découvrent pour certaines l'émancipation financière. Certaines obtiennent le statut de chef d'exploitation. Elles
deviennent également responsables légales des enfants en l'absence des maris. Les
femmes participent également à l'effort de solidarité. Elles sont nombreuses à
devenir infirmières ou marraines de guerre.
( Pour en savoir plus voir une leçon sur le
rôle des femmes pendant la première guerre mondiale ).
Les
populations colonisées contribuent également à l'effort de guerre sur le plan
économique. Pour
exemple, l’Algérie a fourni pendant la guerre 78000 travailleurs, le Maroc,
35500 travailleurs, l’AOF 35500 travailleurs, l’Indochine 51000 travailleurs.
C'est ainsi notamment que des Indochinois ont travaillé dans les poudreries de
Toulouse pendant la Première Guerre mondiale.
d) Cette mobilisation connait cependant des limites.
Comme
au front, à l'arrière le consentement à
la guerre n'est pas systématique. Des intellectuels et des responsables
politiques réclament la fin des hostilités. Les autorités craignent que le
pacifisme, voire le défaitisme se propage.
A partir de 1917, en particulier, la lassitude commence à se faire
sentir. En Allemagne, au Royaume-Uni, en Russie, en Italie en Autriche-Hongrie,
des grèves et des émeutes éclatent. En France, l'une des grèves les plus
connues est celle des midinettes en
janvier 1917. Au total se sont 293
000 ouvriers, principalement des femmes qui se sont mis en grève en France. En Allemagne et, bien sûr, à plus fort titre en Russie, les grèves prennent un caractère pacifiste et politique .En
Russie cette protestation aboutit à une révolution en novembre 17.
Nombre de grèves :
|
ALL |
Fr |
It |
RU |
Russie |
EU |
1915 |
137 |
98 |
607 |
672 |
713 |
1593 |
1917 |
561 |
696 |
470 |
730 |
2660 |
4450 |
II Des civils directement touchés par le
conflit
a) Au
quotidien
Les
moyens étant mobilisés pour la guerre dans le cadre d'une économie de guerre et les adversaires faisant tout pour compliquer
l'approvisionnement des ennemis, dans le
cadre d'une guerre économique, les
populations civiles connaissent des privations. Certaines denrées sont
rationnées.
Economie
de guerre : C'est la mobilisation de tous les moyens d'un pays ( matières premières, capitaux, industrie , agriculture,
main d 'œuvre ) pour soutenir l'effort de guerre.
La
guerre économique : Elle cherche par les moyens militaires ou
diplomatiques à réduire le potentiel économique de l'adversaire ( Blocus , bombardement d'objectifs industriels, contrôle
des exportations des pays neutres, conquête des voies d'accès aux matières
premières).
b) Les
populations civiles sont aussi victimes du conflit.
Quand
cela est possible, les populations sont évacuées
des zones de conflits . C'est le cas notamment pour 200 000 Picards en 1918.
Mais cela n'est pas toujours possible. En Belgique occupée et dans le nord de
la France occupés, les habitants sont victimes d'exactions commises par l'armée allemande. Il s'agit de viols, d'exécutions
sommaires ou de déportations. 13 000 civils belges sont ainsi déportés dans des
camps de travail ou au front. Les règles de la guerre sont bafouées. On peut
parler de crimes de guerre. L'armée
russe se rend également coupable de ce type d'exaction. sur le front est.
Les populations civiles sont aussi victimes des premiers bombardements
stratégiques. Par exemple, les premiers bombardements en région
parisienne par Zeppelin puis par avion en 1914 font 267 morts. Les canons
lourds qui bombardent Paris du 23 mars au 9 août 1918 font 256 victimes et 625
blessés. Cependant dans ce contexte de déshumanisation, le rapport à l’ennemi
ne doit pas être réduit à l’hostilité
Bombardements
stratégiques : Ils sont effectués au-delà de la
ligne de front ennemie et cherchent plus à toucher les infrastructures industrielles, les
réseaux de transports et de communications et les populations civiles que les
troupes ennemies.
Crime
de guerre : Ce sont les violations des lois et des
coutumes de la guerre (mauvais traitements infligés aux prisonniers et aux
civils, exécutions sommaires, travaux forcés, pillages, destructions ou
dévastations sans motifs militaires).
c) Le
génocide arménien.
En
Turquie, le parti nationaliste des Jeunes Turcs souhaite éliminer les minorités
non turques. A l'époque arméniens représentent 2.1 millions de personnes dans l'empire ottoman. Dès janvier 1915, les
autorités turques mettent en place la déportation, le viol et le massacre des Arméniens,
certains meurent dans leurs village d'autres pendant leur déplacement ou dans des
camps installés sur le territoire de l'actuelle Syrie. Au total, le massacre
des arméniens fait entre 1.2 et 1.5
million de victimes. C'est notamment ce crime
de masse qui inspire au juriste Raphaël
Lemkin la notion de génocide.
Génocide :
extermination programmée et systématique d'une population pour des raisons ethniques,
politiques ou religieuses.
Guerre totale.
conflit où toutes les forces possibles, humaines, matérielles, morales et
intellectuelles sont engagées. Il se caractérise par son extension, sa durée,
la mobilisation des moyens économiques, le nombre de victimes militaires et
civiles et par le degré de violence
rencontré.
Conclusion :
L'arrière est donc également mobilisé dans le cadre de la Première Guerre
mondiale. Mais la distinction entre le front et l'arrière commence à s'effacer
à l'occasion de ce premier conflit mondial, tant les populations civiles ont
été victimes de violences de guerre. A ce titre, la Première Guerre mondiale
peut-être considérée comme une guerre
totale. Dans la mesure où elle mobilise tout les moyens humains et
matériels pour mener la guerre. Son bilan, doit tenir compte également des
victimes civiles nombreuses puisque de nombreux crimes de guerre ont été commis
sur l'ensemble des territoires concernés. Pour beaucoup ce premier conflit
mondiale, préfigure ce qui se déroulera des années 30 jusqu'en 1945.
Complément
: https://fresques.ina.fr/picardie/fiche-media/Picard00445/les-civils-dans-la-grande-guerre-a-peronne.html