Permanences et mutations de la société française jusqu’en 1914

Le mot société  désigne un ensemble d'individus vivant en groupe organisé. La population active est une expression qui désigne l’ensemble des personnes ayant un emploi ou à la recherche d’un emploi. Pour la décrire, on peut utiliser la classification de Clark qui distingue le secteur primaire des secteurs secondaire ou tertiaire. Mais on peut aussi utiliser d’autres critères pour présenter ses composantes. On peut s’intéresser ainsi à la place des femmes dans la population active ou à celle des travailleurs issus de l’immigration.

Quelles sont les permanences et les transformations de la société entre 1880 et 1914 ?

I La modernisation incomplète de l'économie française au début du 20ème siècle.

a) Les progrès et les bons résultats de l'économie française.

L'exposition universelle de 1900 est l'occasion pour la France de montrer au reste du monde sa modernisation. Différents sites sont alors éclairés à l'électricité. On met en place une ligne de métro. Charles Péguy écrit au début du siècle : " Le monde a moins changé depuis Jésus Christ qu'il n'a changé depuis trente ans". Nuance cependant,  les nouvelles technologies ne sont pas toujours maîtrisées. A l'exposition universelle, le Palais de Lumière ne fut jamais entièrement illuminé. En outre, en 1903, le métro parisien connut un grave incendie qui fit 84 victimes. Les progrès de la production française sont malgré tout réels. Nous sommes dans une phase de reprise voir d'expansion. La croissance moyenne annuelle qui était de 1,6% pour la période de 1870 à 1896 passe à 2,4 % pour la période de 1896 à 1916. La France est dormais la quatrième puissance industrielle mondiale et elle se situe au second rang dans le domaine de l'automobile.

b) Une bonne santé économique relative.

Les bons résultats de l'économie française ne doivent pas occulter les limites de ce développement. Par exemple, le poids de la France dans l'économie mondiale semble se réduire. Elle réalisait 14 % de la production mondiale en 1875-1879 , en 1913, elle n'en réalise plus que 8 %, soit 4 % de moins que le Royaume-Uni au même moment. L'économie française souffre également d'un certain nombre d'archaïsmes. Dans le domaine de l'agriculture, si la mécanisation et l'usage de l'engrais progressent dans les grandes plaines agricoles, les périphéries du territoire national restent à l'écart de ces progrès sauf lorsque le chemin de fer fait quelques progrès et qu'il permet l'usage d'améliorateurs des sols (chaulage) ou la spécialisation des production (vigne). De ce point de vue, on voit déjà apparaître un fort contraste entre une France du nord-est plus industrialisée et plus ouverte à la modernisation et une France du sud-ouest, plus rurale où les exploitations sont le plus souvent de taille réduite. Dans le domaine de l'industrie, s'il existe des secteurs modernes et dynamiques comme l'automobile,  il existe des secteurs comme le textile où les petites entreprises sont prépondérantes. Pour certains, la France souffre alors de la faiblesse de sa tradition entrepreneuriale. N'est-elle pas passée du deuxième rang mondial pour la production vers 1890 au quatrième rang ?

II Des transformations sociales mais le maintien de nombreuses inégalités et des préoccupations démographiques.

a) Les transformations de la structure de la population active.

                La transformation de la structure de la population active est réelle mais elle est lente. En 1906, le secondaire représente 28, 5 % de la population active contre 27,5 % en en 1876. En France, la population reste encore majoritairement rurale. Pour les paysans d'ailleurs, les journées restent pénibles en moyenne selon Michel Winock, elles sont de 11 heures en hiver et de 14 heures en été. Le profil le plus courant des agriculteurs est celui du petit propriétaire exploitant. Le faire-valoir direct représente en France 75% des exploitations. Il existe, en outre, un prolétariat rural constitué par les ouvriers agricoles, les domestiques et les journaliers même si leur nombre baisse.       

                Contrairement à une idée répandue, les femmes sont avant la première guerre mondiale, présentes dans population active.  Avant la guerre, elles étaient déjà 7 millions sur une population active totale  de 21 millions de personnes (statistiques concernant les actifs de 18 à 45 ans). En 1906, elles représentent 38 % de la population active. 52% d’entre elles sont domestiques ou travaillent à la maison (lavandières, repasseuses). L’industrie occupe 25% d’entre elles.

                Dans le domaine de la législation du travail, on observe quelques progrès (voir la leçon sur les transformations sociales) mais au début du 20ème siècle, la durée légale du travail reste de 10 heures par jours. On peut noter aussi parmi les progrès sociaux, le recul de l'analphabétisme. Ainsi la France, ne compte en 1914 que 4 % d'illettrés.

Population active : ensemble des personnes ayant un emploi ou à la recherche d'un emploi.

b)  La stagnation et le vieillissement de la population.

C'est l'une des préoccupations majeures de la Belle Époque. Émile Zola publie même un article dans le Figaro intitulé "Dépopulation "où il évoque ses inquiétudes à ce sujet. Il est vrai que de 1891 à 1911 la France n'est passée que de 38 340 000 habitants à 39 600 000 soit une augmentation de 60 000 habitants par an contre 500 000 pour l'Allemagne à la même période.

c) Les apports de l'immigration.

Dans ce contexte, les besoins de main d’œuvre sont nombreux. L’immigration apparaît alors comme une solution. Ainsi en 1905, on fait venir des villages entiers de la vallée du Pô en Italie  pour les installer en Haute-Garonne, dans le Gers, dans le Lot et Garonne, le Tarn et Garonne. En 1911, on compte 1.13 millions d’étrangers en France. Il s’agit alors pour l’essentiel de migrations de proximité. En 1911, les italiens représentent 38% des étrangers en France. Au total avec les Belges, les Espagnols, les Suisses et les Allemands, ils représentent plus de 80% des étrangers. Il convient de noter cependant que l’on voit arriver également désormais des Polonais et des Kabyles d’Algérie. Les colonies participent donc déjà au phénomène migratoire.

Si les relations entre migrants et nationaux sont dans l'ensemble sereines. Il existe cependant des réactions de rejet. Elles se manifestent en particulier en période de crise. En 1893, les ouvriers italiens de marais salants d’Aigues-Mortes en concurrence avec des saisonniers français venant des « montagnes » sont victimes de massacres. Le bilan est d'une dizaine de morts.  Globalement, malgré tout l'immigration ne parvient pas à compenser le ralentissement de la croissance de la population dans le contexte d'un conflit envisagé avec l'Allemagne.

Immigration : fait de s’installer dans un pays dont on n’est pas originaire. L’immigration implique un changement de résidence même s’il n’est pas définitif

Etranger : à ne pas confondre avec immigré. L’étranger est celui qui n’a pas la nationalité du pays où il est.

III  De profondes inégalités se maintiennent.

a)Il s'agit pour commencer d'inégalités socio-spatiales.

La France reste marquée par de profondes inégalités sociales qui se doublent d'inégalités spatiales. Par exemple, à Paris , la ségrégation est horizontale et verticale. Les plus démunis s'entassent dans les taudis de la "zone" tandis que les plus aisés vivent dans les quartiers riches de l'ouest parisien. Dans les immeubles Haussmanniens, la bourgeoisie se trouve aux premiers étages et les bonnes au dernier. Les disparités spatiales s'observent également à l'échelle de la France entière. Une carte des fortunes privées en 1908, fait apparaître que sur 16 départements où les fortunes se situent au dessus de la moyenne 15 se trouvent dans le bassin parisien.

b) Les femmes sont maintenues en situation d’ « infériorité »  dans une  société marquée par la domination masculine.

Pour rappel, le droit inscrit l’infériorité féminine dans la loi. Le Code Civil, élaboré entre 1800 et 1804 à la demande de Napoléon Bonaparte, fait de la femme une éternelle mineure. Le mari lui doit la protection, mais celle-ci lui doit l’obéissance. Le mari est seul responsable en matière d’éducation et de patrimoine. Ainsi, l’épouse doit avoir l’accord de son mari pour tout acte juridique, pour passer un examen, pour travailler, et disposer de son salaire (jusqu’en 1907), pour ouvrir un compte. Son mari peut d’ailleurs contrôler sa correspondance.

La barrière des genres avait été considérablement renforcée au XIX° siècle. En matière d’éducation, les femmes sont le plus souvent destinées à être des femmes au foyer. Elles apprennent à coudre ou à broder en préparant leur trousseau.  =Dans la bourgeoisie, l’éducation est complétée par l’apprentissage des arts d’agrément (le piano, la broderie). On note cependant quelques progrès. La loi Ferry de 1882 rend l’école obligatoire pour les filles comme pour les garçons. Les études secondaires s’ouvrent. En 1880, la loi Camille Sée leur donne accès au Lycée mais, attention, le latin, le grec, la philosophie, les matières « nobles » de l’époque, restent réservées aux jeunes hommes. Les filles  n’obtiennent le droit d’obtenir le même baccalauréat que les garçons qu’en 1924. Cependant, les femmes menant des études supérieures ne sont pas rares. Elles sont relativement nombreuses à faire des études de droit. Elles sont bien moins nombreuses à travailler dans le domaine des sciences. On peut citer, le cas exceptionnel de Marie Curie d'origine polonaise qui étudie en France à partir de 1891 et qui reçoit deux fois le prix Nobel (1903-1911).

Dans le domaine du travail, le salaire des femmes est largement inférieur à celui des hommes. Contrairement à aujourd’hui c’est dans le secteur du tertiaire public qu’elles sont sous-représentées. Les postes d’employés furent longtemps réservés aux hommes. De façon individuelle, des femmes essaient, non sans difficultés, d’accéder à des métiers réputés masculins à l’époque. Par exemple, dans le Gers, La Dépêche du 8 août 1910 signale que : « La femme cochère qui avait obtenu son emploi au prix de mille difficultés, qui avaient subi les injures des automédons effrayés de la concurrence, la femme cochère qui avait triomphé de tous les obstacles et vaincu toutes les hostilités, descend aujourd’hui du siège qu’elle avait conquis. Elle démissionne. Décidément, le métier n’est pas fait pour le beau sexe ».Les mentalités évoluent de façon limitée sur la question du travail des femmes. Ainsi, en 1898,  la CGT, souhaite que seules soient autorisées à travailler les célibataires et les veuves. Quotidiennement, il y a une géographie sexuée de l’espace. Les femmes ne peuvent fréquenter les bars, les cafés, les salles de billard et les clubs sous peine de voir leur moralité mise en doute.

Sur le plan politique, les lois institutionnelles de 1875  qui définissent la IIIème République prévoient  l’élection des députés au suffrage universel (loi du 25 février –art 1er). Les femmes restent exclues du vote même si la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle correspondent à un nouvel essor du féminisme. Hubertine Auclert, (1848-1914), par exemple, poursuit les luttes féministes du 19ème siècle. Suffragette, on la distingue des suffragistes par la radicalité de son combat pour le suffrage réellement universel. Le mouvement féministe connait alors un certain succès.

Conclusion : si la société française connait des évolutions au tournant du 19ème au 20ème siècle concernant la population active et la démographie, ces transformations sont lentes. On observe notamment la longue persistance d'inégalités profondes notamment au détriment des femmes et des plus humbles.