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Titre : Le processus de mondialisation du milieu du 19ème siècle à nos jours : des économies-monde à l’économie multipolaire.

 

La mondialisation est le processus de mise en relation des différentes parties du monde par la multiplication des flux de toutes natures (hommes, marchandises, capitaux et informations) impliquant aussi bien les Etats que les firmes transnationales et les organisations internationales. Le développement des échanges n’est pas une nouveauté. Les routes de l’ambre (3000-500 avant J-C) et de la soie (1er siècle avant J-C-XIVe siècle) et du thè en témoignent.  Par la suite, les centres de commandement se sont relayés pour dominer leurs économies-monde respectives : la Chine (XIVe-XVIIe), l’Espagne et le Portugal (XIVe-XVe), la Hollande (début XVIIe), le Royaume-Uni (XVIIIe et XIXe).

 

 

Economie-monde : (d’après Fernand Braudel) espace économique autonome dominé par un ou plusieurs pôles majeurs, organisé de façon concentrique du centre vers la périphérie puis les marges, animés par de nombreux flux, caractérisé par une intégration décroissante du centre vers la périphérie.  

 

Problématique : Est-on passé des économies-monde à un espace économique mondialisé multipolaire ? Si oui, comment ? Quelles sont les phases du processus de mondialisation ?

 

Pour la période qui nous intéresse on peut éventuellement distinguer trois phases.

 

I Du 19ème siècle au début 20ème siècle,  la première mondialisation s’inscrit …..

 

a)             …dans un processus….

Dans le courant du 19ème siècle et au début du 20ème, dans le contexte de l’industrialisation, de la colonisation et de l’expansion d’un certain nombre de puissances extra européennes,  les flux se développent. Cette phase est alors dominée par les échanges entre états-nations et entre métropoles et colonies. Les flux migratoires se développent. Au total plus de 60 millions d’européens ont émigré vers le nouveau monde entre 1820 et 1914.Dans le domaine économique, la stratégie de la plupart des puissances consiste alors à contrôler les ressources et à accéder à des marchés au bénéfice de leurs industries. Les puissances européennes écoulent une bonne partie de leurs productions dans leurs colonies. Pour Patrick Verley, l’économie occidentale prend alors un essor planétaire et les producteurs artisanaux de la majorité des pays du monde sont alors concernés par les progrès des pays industrialisés. On observe également un essor des flux de capitaux. La France, par exemple, consacre 9% de ses capitaux à son empire. Des historiens comme Suzanne Berger, n’hésitent pas à parler de « première mondialisation » pour la période qui s’étend de 1870 à 1914. Les Etats jouent alors un rôle important dans ce processus.  On peut donner comme exemple le traité commercial de libre échange signé par Napoléon III  avec le Royaume-Uni en 1860. Les firmes transnationales participent aussi à ce processus, même si elles ne réalisent encore que 3 à 6 % de la production manufacturière en 1911. Vers 1890 Thomas Lipton développe la culture du thé sur l'île de Ceylan.

 

b)             ….dominé alors par  l’économie-monde britannique.

Les échanges sont  alors largement dominés par le Royaume-Uni. Il faut dire que son empire colonial représente 33 millions de km2 et 450 millions d’habitants au début du siècle, soit un ¼ de l’humanité et  presque ¼ de la superficie des terres émergées. Par exemple, le Royaume-Uni développe la culture du thé en Inde à partir des années 1830. Il importe ensuite cette production pour satisfaire une demande toujours croissante en Grande-Bretagne, en Europe et dans le monde. Il exporte également dans son empire le produit de son industrie. Le taux d’exportation de l’économie britannique est déjà de 15 % au 19ème siècle. Par ailleurs, le RU a déjà développé ses capacités financières. Le London Stock Exchange, autrement dit la bourse de Londres, est inauguré en 1801. L’Indice Dow Jones est créé en 1884. Le RU détient alors 44% du stock mondial de capital étranger devant la France 20% et  l’Allemagne 13 %. Contrairement à la France, le Royaume-Uni consacre une bonne part de ses investissements à ses colonies. 47 % de ses capitaux se dirigent vers son empire.

 

Taux d’exportation : part des exportations dans le produit intérieur brut.

 

c)             Tandis qu’émergent d’autres puissances ou d’autres économies-monde en devenir

Ainsi sous l’ère meiji, la modernisation et l’ouverture de l’économie du Japon correspond à une phase d’expansion impérialiste au dépend de la Chine, de Taiwan et de la Corée. Cette évolution amène le pays du soleil levant à entrer en conflit et à vaincre une puissance européenne en 1905 : la Russie. Les Etats-Unis après leur victoire sur les espagnols étendent leur influence sur les Caraïbes (Cuba-Puerto-Rico) et sur le Pacifique (Philippines). Les firmes américaines se développent également à l’étranger comme la Standard Oil au Moyen-Orient ou la Standard Fruit et la United Fruit au Honduras.

 

 

Transition : Au début de la première guerre mondiale, plusieurs économies-monde sont en présence. La plus importante d’entre elle est britannique. Mais le modèle d’aucune d’entre elle ne s’étend à l’ensemble de la planète. Cependant, contrairement à la période précédente, elles ne s’ignorent pas les unes les autres. Certes elles échangent mais elles n’en demeurent pas moins concurrentes au risque de provoquer des conflits. Avec la première guerre mondiale, la crise et les modèles autarciques développés par les Etats totalitaires dans les années 30, le processus de mondialisation est moins rapide. Mais les échanges qui étaient déjà l’une des préoccupations de la charte de l’Atlantique (1941) connaissent une nouvelle impulsion au sortir de la seconde guerre mondiale.

 

 

II ….de 1945 aux années 80, la deuxième mondialisation s’appuie sur…

 

 

a)             …le  développement du commerce …

A partir de la fin de la seconde guerre mondiale les échanges se développent. Les conditions favorables sont créées par la mise en place d’accords sur le commerce (GATT puis OMC), par la création de zones de libre-échange et d’Unions douanières (création de la CEE en 1957). Le développement des transports (conteneurs) et des moyens de communication accompagne ce processus. Dans le contexte de la fin de la colonisation, ce sont les firmes transnationales qui prennent le relai de ce processus de développement des échanges. En 1973, l’ONU les définit comme firme ou société mère, dont le chiffre d’affaire est d’au moins 500 millions de dollars, réalisant plus de 25 % de ses productions et de ses échanges avec des filiales implantées dans au moins 6 pays différents. Elles réalisent des investissements et contribuent ainsi à la division internationale du travail. Dans ce contexte, le commerce augmente de 6.5 % en moyenne par an. Les échanges sont multipliés par 12 et la production par 6.

En résumé la seconde mondialisation correspond à une économie multinationale qui privilégie les échanges de marchandises et les IDE.

 

IDE : création ou achat de firmes commerciales, industrielles ou financières à l'étranger.

GATT : accords généraux sur les taxes et le commerce.

Division internationale du travail : résultat du processus par lequel les pays spécialisent leurs activités en fonction de leurs avantages dans l’espace économique mondialisé.

OMC : organisation mondiale du commerce, règle les contentieux commerciaux internationaux et vise à une réduction généralisée des tarifs douaniers.

 

b)             … dans un contexte de prédominance de l’économie-monde américaine…

 

L’historien Maurice Vaïsse considère que la fin de la seconde guerre mondiale correspond à la fin de la prédominance européenne. Il faut dire qu’avec 2/3 des stocks d’or mondiaux, la mise en place du système de Bretton-Woods et du plan Marshall, les EU ont la possibilité de réamorcer à leur profit les échanges internationaux. Ils représentent alors 40% de la production mondiale. Les firmes transnationales américaines contribuent largement à la mise en place de cette économie-monde. Dans le classement des plus importantes, elles sont parmi les  premières (ITT, IBM, Exxon, General Motors). C’est l’époque ou Coca-Cola devient la marque la plus connue au monde. Le père Noël s’impose en rouge et le mode de consommation américain se diffuse (American way of life).

 

a)             … et de  mondialisation incomplète.

 

D’abord, la fin de la colonisation correspond également à l’apparition du tiers-monde souvent marginalisé et dominé dans les échanges. Ensuite, nous sommes encore alors dans le contexte de la guerre froide. Certes l’URSS pour satisfaire ses besoins et pour valoriser certaines de ses ressources participe aux échanges mondiaux, mais elle anime à son profit d’autres échanges à l’intérieur du bloc qu’elle domine. Donc la mondialisation que Laurent Carroué définit aussi comme la diffusion de l’influence et de l’emprise du capitalisme à la surface du globe n’est pas encore complète.

 

Tiers-monde : ensemble des pays issus le plus souvent de la décolonisation n'appartenant ni au bloc de l'est, ni au bloc de l'ouest. En référence au Tiers-état d'ancien régime, Alfred Sauvy désigne aussi ainsi les pays à la recherche du développement.

 

 

III …A partir des années 80, la troisième mondialisation marquée par la globalisation financière  aboutit-elle à la formation d’un espace économique  multipolaire ?

 

a)             Le tournant des années 80

La décennie 80 représente un tournant dans le processus de la mondialisation pour de multiples raisons. Dès 1979 le contrôle des changes est aboli en Grande-Bretagne, la dérèglementation financière est décidée aux Etats-Unis. En 1986, c’est également en le cas France. L’année suivante est crée « Globex Alliance », le première système de négociation électronique international fonctionnant 24h sur 24. On peut désormais parler de globalisation financière. C’est aussi le moment où la Chine fait le choix de l’ouverture avec la création de zones économiques spéciales. C’est enfin le moment où le bloc de l’est commence à s’effriter avec la chute du mur de Berlin. Le penseur américain Francis Fukuyama envisage alors la diffusion de modèle des démocraties libérales dans un contexte de généralisation du libre-échange (théorie de la fin de l’Histoire-1996). 

 

Globalisation financière : création d’un réseau interconnecté de places financières accompagnant l’augmentation et la dématérialisation des flux de capitaux.

Zones économiques spéciales (ZES) : Zones économiques côtières ouvertes par la Chine communiste aux investissements étrangers. Les entreprises étrangères y bénéficient du faible coût de la main d’œuvre et d’une fiscalité avantageuse.

 

b)             … vers  mondialisation multipolaire….

 

Dans ce contexte, Kenichi Ohmae observe en 1985, l’émergence de trois centres d’impulsion dominant l’espace économique mondialisé comme un oligopole. C’est la triade (Asie pacifique, Amérique du Nord, Europe Occidentale). Chacun des pôles tend à renforcer l’intégration économique dans son proche environnement. (Création de l’ALENA en 1994, poursuite de la construction européenne avec l’Union européenne en 1992 et ses élargissements successifs, intégration croissante dans le cadre de l’ASEAN).  Avec l’ouverture des économies des NPI et des Etats-continents émergents,  on voit apparaître d’autres pôles économiques majeurs participant aux échanges de marchandises ,de capitaux et de services  (on peut citer la Chine qui rejoint l’OMC en 2001 mais aussi l’Inde, le Brésil, les NPIA, la Russie et l’Afrique du Sud). Dans ce contexte, les firmes transnationales comme Unilever, dont le siège social est partagé entre Londres et à Amsterdam, propriétaire de la marque Lipton, continuent à jouer un rôle majeur dans la mondialisation. A elles seules, elles représentent les 2/3 du commerce international. On en trouve de plus en plus dans les pays en développement. La firme Tata d'origine indienne devient un acteur majeur de la production de Thé et diversifie ainsi ses activités après avoir racheté des exploitations à Tetley.

 

NPI : nouveaux pays industrialisés.

FTN : firmes ou sociétés mères dont le chiffre d’affaire est d’au moins 500 millions de dollars. Elles réalisent par ailleurs plus de 25 % de leurs  productions et de leurs échanges avec des filiales implantées dans au moins 6 pays différents (ONU, 1973). Elles ont donc des filiales dispersées dans le monde entier mais elles conservent cependant de solides bases nationales.

 

c)             …qui connait cependant des limites

 

D’abord, certains espaces restent marginalisés ou largement dominés dans la mondialisation. Le continent africain ne représente que 2% des échanges mondiaux de marchandises. Il est dominé dans les échanges. L'exemple du thé en offre une illustration de pays comme le Kenya, la Tanzanie ou le Mozambique produisent du thé mais leurs revenus dépendent du cour du produit fixé à Londres ou Chicago. Ensuite, si des pays comme la Chine, l’Inde ou encore le Brésil unissent leurs voix (BRICS) c’est qu’ils estiment que leur influence dans le concert des nations n’est pas à la hauteur de leur poids économique.  Pour finir, dans ce contexte, les économies sont mises en concurrence au détriment souvent des salariés. Les salaires sont tirés vers le bas. La protection sociale est faible. On parle de dumping social. On peut parler également de dumping environnemental quand les Etats laissent polluer leurs milieux ou prélever exagérément leurs ressources. Les emplois sont menacés (délocalisations, plans sociaux affectant des unités de production pourtant rentables). C'est ce dont furent victimes les salariés de Fralib. Les protections sociales sont remises en causes.

 

BRICS : ensemble de nations émergentes qui souhaitent désormais faire entendre leurs voix dans les sommets de la gouvernance international (G8, G20). Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

Dumping social : pratique des Etats qui conservent des niveaux de salaires et de protection sociale faibles pour attirer des investissements étrangers.

 

 

Conclusion :

 

Du 19è siècle à nos jours la croissance s’accompagne donc effectivement d’un développement des échanges et d’une mise en relation progressive des différentes parties du monde. La première mondialisation est dominée par l’économie monde britannique dans un contexte d’industrialisation et de fièvre coloniale. La seconde après une accalmie liée aux deux conflits mondiaux et au contexte de l’entre deux guerres, correspond au développement de l’économie-monde américaine. Elle repose sur l’augmentation des échanges de marchandises et d’investissements directs à l’étranger. La troisième est liée à un phénomène de globalisation financière. Certes,  elle est dominée par plusieurs pôles mais ceux-ci n’ont pas forcément le même poids et leur hiérarchie est susceptible d’être bousculée. Elle est également marquée par le poids des FTN Pour finir, la mise en relation des économies du monde, connait des limites lorsqu’on s’intéresse à ses répercussions sociales et aux territoires qui en restent exclus.

 

Auteur : Nérée Manuel

 

Bibliographie :

BERGER Suzanne, Notre première mondialisation. Leçon d’un échec oublié, Le Seuil, 2003.

FOUCHER M., L’obsession des frontières, Perrin, 2007.

FOUCHER M., Les nouveaux déséquilibres mondiaux, documentation photographique, la documentation française, n°8072, nov-dec 2009

DAGORN René-Eric, L’unification progressive des économies-mondes, Hors Série, n° 67, Alternatives économiques,  1er tr. 2006

CARROUE L., Géographie de la mondialisation, Armand Colin, 2004, 2ème ed.

SENARCLENS Pierre, La mondialisation, théories, enjeux et débats, Armand Colin, 2002

BARBERIS P. et LAURENT E.,  La Face Cachée du Pétrole, ARTE, 2010.

LIDOLF J., A cup of tea my dear ?, L'éléphant 1, juillet 2015

VASLIN JM.,  La longue histoire du thé, une boisson universelle, Le Monde, 01/11/2013.

 

                                                                                        

 

 

 

Dernière mise à jour : 10-17

 

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