La France des années 30 : une République face aux évolutions de la population en France

 

La troisième République, ce régime parlementaire longtemps menacé passe l'épreuve de la Première Guerre mondiale. Mais le conflit a des conséquences démographiques et sociales majeures. Par ailleurs, la carte de l'Europe est bouleversée et les tensions géopolitiques n'ont pas disparu.

 

Comment dans les années 30, la Troisième République réagit-elle  face aux évolutions de sa population et de sa société  ?

 

I Les transformations profondes ou fluctuantes de la société française et leurs causes

a) La féminisation de la population active reste limitée

En 1936, les femmes représentent 36.1 % de la population active soit moins qu'en 1911 ( 37%). Après la première Guerre mondiale, à la fin de laquelle elle représentaient 39% de la population active, on demande aux femmes de regagner leurs foyers malgré l'effort consenti pendant le conflit pour soutenir l'effort de guerre. Dès novembre 1918, le ministre de l’armement puis de la reconstruction industrielle, Louis Loucheur propose  un mois de salaire aux ouvrières de l'armement pour qu'elles retournent au foyer. Dans les campagnes, les femmes comme Marie Lacave continuent à être très  actives dans les fermes sans obtenir pour autant le statut d'exploitantes agricoles. Le modèle dominant reste alors celui de la mère au foyer. Madame Suganas est signalée comme sans profession sur sa carte d'identité.

 

Population active : ensemble des personnes ayant un emploi ou à la recherche d'un emploi.

 

b) Les progrès de l'urbanisation sont lents.

C'est dans les années 30 que la population française devient majoritairement urbaine. La France connaît sa transition urbaine après 1931. La population des villes est désormais supérieure à 50% de la population totale. Ce phénomène est alimenté par l'exode rural. Les villes ont besoins de main d'oeuvre dans l'industrie et les services. L'urbanisation est lente. Elle est également très inégale à l'échelle du territoire. C'est ainsi que le Gers reste un département très largement rural.

 

Transition urbaine : passage d'une situation où la population est majoritairement rurale à celle où elle est majoritairement urbaine.

Urbanisation : augmentation de la proportion de la population vivant dans des villes

Exode rural : flux migratoire interne des campagnes vers les villes.

 

c) La France a besoin de compléter son peuplement.

 

Dans l'entre-deux guerres, la France, marquée par les pertes démographiques de la Première Guerre mondiale, connaît un faible dynamisme démographique. De 1900 à 1939, la population française augmente de 3% tandis que celle de l'Allemagne progresse de 36% et celle de l'Italie de 33%. Cela est dû à une faible natalité. Certaines années les décès sont supérieurs au  nombre aux naissances. Cela provoque aussi un vieillissement de la population. Or, la reconstruction, puis le développement des activités agricoles, industrielles et tertiaires, suscitent un important besoin de main d'œuvre. Ce besoin est en partie satisfait par l'immigration. De 1911 à 1931, le nombre d'étrangers dans la population totale, soit 40 millions de Français passe de 1.1 millions à 2.7 millions. Leur proportion dans la population augmente donc de 2.8% à 7.1%. A la fin des années 20, la France est le deuxième pays d'immigration au monde. Dans un premier temps, les pays d'origine des migrants sont essentiellement des pays voisins de la France (Belgique, Italie, Espagne, Suisse). Dans les années 20-30, le champs migratoire s'élargit avec l'arrivée de ressortissants d'Europe de l'est et Orientale. Souvent, les hommes quittent d'abord seuls leur pays avant d'être rejoints ensuite par le reste de leur famille [Semelin]. C'est le cas des Suganas. On observe alors une plus grande  dispersion des étrangers sur le territoire français. On les retrouve certes dans les grands centre industriels mais aussi dans les régions agricoles dépeuplées.

 

Champ migratoire : provenance privilégiée des migrants dans un pays d'accueil. Pour le dire autrement, ensemble des pays d'où proviennent les migrants qui arrivent dans un pays donné.

 

d) Mais la crise des années 30 a des répercutions sur la population.

La grande dépression mondiale touche la France à partir de 1931. Les productions agricoles et industrielles chutent. La balance commerciale est déficitaire. Dans ce contexte, le chômage augmente. Le nombre de chômeurs passe de 273 000 en 1932 à 500 000 en 1936. Dans ce contexte plus difficile, la natalité reste faible.  

 

Chômage : situation d'une personne qui ne trouve pas d'emploi alors qu'elle souhaite et peut travailler.

 

e)La France accueille des réfugiés.  La montée des totalitarisme et les conflits à l'origine de flux de réfugiés.

 

Dans l'Europe des années 30, de nombreux réfugiés sont jetés sur les routes. La montée de l'antisémitisme dans les pays d'Europe de l'est, pousse des milliers de juifs à quitter la Lituanie ou la Pologne par exemple. La politique antisémite des nazis toujours plus menaçante, des lois de Nuremberg en 1935  à la Nuit de cristal en novembre 1938, pousse certains juifs d'Allemagne et d'Autriche à chercher asile en France. C'est le cas également des opposants au régime. A partir de 1936, la Guerre Civile espagnole provoque également le départ de nombreux civils. La défaite des Républicains espagnols est à l'origine de la Retirada. En janvier-février 1939, 465 000 personnes arrivent dans le Sud-Ouest.

 

Retirada : passage des Pyrénées par les républicains Espagnols fuyant les exactions des nationalistes de Franco.

 

II La Troisième république face aux transformations de la société française.

 

a) Un encouragement tardif de la natalité

Les gouvernements successifs sont conscients des faiblesses démographiques du pays face à l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste qui  à la même époque ont des politiques natalistes. Il s'agit donc d'encourager les ménages à faire des enfants par des aides financières.  La loi du 11 mars 1932, crée les allocations familiales pour les salariés de l'industrie et du commerce qui ont au moins deux enfants. Les décrets-lois de 1938 et la loi du 29 juillet 1939 étendent progressivement leur bénéfice à d'autres catégories de travailleurs.

 

b) Jusqu'en 1931, un relatif consensus sur l'immigration.

 

Cette immigration souhaitée est régulée par l'Etat. Par exemple, la loi du 10 août 1927, facilite la naturalisation française en réduisant par exemple le nombre année de résidence nécessaire de 10à 3 ans.  L'Etat contrôle alors l'immigration au moyen du Service de la Main d'Oeuvre étrangère, dépendant du ministère du Travail. Mais il est concurrencé par les organisations patronales qui relaient les besoins de main d'oeuvre de l'économie. Elles recrutent au moyen de la Société générale de l'immigration.

 

 c) Mais la crise change la politique dans ce domaine.

Dans un contexte d'augmentation du chômage, une partie de l'opinion publique considère comme excessif le nombre d'étrangers. Le gouvernement de Chautemps procède à des expulsions. Les ligues d'extrême droite  profitent de ce climat; pour diffuser leur discours xénophobe et antisémite. Elles prennent le prétexte d'une escroquerie organisée par un juif ukrainien naturalisé français, Staviski, pour discréditer la République et son système parlementaire. Le 6 février 1934, elles organisent une importante manifestation qui ne provoque pas la chute de la IIIème République mais entraîne la démission du gouvernement Daladier. Les socialistes de la SFIO, les radicaux et les communistes interprètent cet événement comme une tentative de coup d'Etat fasciste même si la question est encore discutée. Ils forment donc une coalition, qui remporte les élections législatives de mai juin 1936. C'est la naissance du Front populaire. Ce gouvernement, qui pour la première fois comprend des femmes, met en place une politique d'avant-garde sur le plan social avec les 15 jours de congés payés, la semaine de 40 heures, les conventions collectives mais il n'atteint pas ses objectifs sur le plan économique.  La politique du Front populaire en matière d'immigration n'est pas évidente. Il cherche à protéger les travailleurs français de la concurrence mais tout en cherchant à satisfaire les besoins de la démographie et de certains secteurs de l'économie, l'agriculture en particulier. Si de 1931 à 1936, le nombre d'étranger passe de 2.7 millions à 2.1 millions, l'administration française fait venir 40 000 à 60000 étrangers supplémentaires pour travailler dans les campagnes.

 

d) le durcissement de la politique à partir de 1938.

C'est à partir de 1938, que la politique se durcit en matière d'immigration. Face à l'afflux de réfugiés de la Retirada, de juifs et autres ressortissants fuyant les territoires administrés par les nazis, le gouvernement de Daladier adopte des mesures d’enfermement des étrangers indésirables (décrets Daladier 1937-1938).Ces mesures sont renforcées jusqu'en juin-juillet 1940 au moment où le régime de Vichy fut établi par Pétain. Successivement ce sont les réfugiés apatrides, Espagnols, Allemands, Autrichiens, des français jugés suspects qui furent enfermés dans les camps de Rieucros d’Argelès, Rivesaltes, Agde, Bram, Gurs, le Récébédou etc...Quand le régime de Vichy mit en place sa politique répressive et de collaboration au génocide,  de nombreux réfugiés, juifs pour certains étaient déjà enfermés dans les camps.

 

Apatride : personne ayant perdu sa nationalité, reconnue par aucun Etat.

 

Conclusion :  

La Troisième République doit donc gérer les transformations démographiques et sociales de l'entre-deux guerres. Le dynamisme démographique, la place des femmes dans la société, l'immigration sont des questions auxquelles les gouvernements successifs de la troisième République donnent des réponses qui évoluent avec le contexte.  La crise et la montée des tensions géopolitiques ne facilitent pas l'action de gouvernements. Au final, le gouvernement Daladier adopte des mesures répressives vis à vis des étrangers. Certains d'entre eux se sont retrouvés piégés dans les camps mis en place malheureusement sous la IIIème République.

 

Bibliographie :

SEMELIN J. , Persécutions et entreaides dans la France occupée, 2013, Les arènes éditions.

Noiriel G. Le Creuset français : histore de l'immigration XIXe-XXème siècle, 2016 Points Histoire

NOIRIEL G, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècle), 2007 Fayard

05/2018