Corrigé : la situation
dans les colonies après l'abolition de l'esclavage
Le document proposé à l'étude est un article
rédigé par Nelly Schmidt, historienne spécialiste des Caraïbes. Il a été publié
en mai 2010 dans la revue L'Histoire. Plus
que l'année, c'est le mois de publication qui importe ici car depuis 2006, le
10 mai est la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage en
métropole. Nelly Schmidt évoque justement le décret du 27 avril 1848 adopté par la toute jeune Deuxième République.
A l'époque un vent de liberté souffle sur la France, l'Europe et, comme on peut
le voir ici, sur le monde. Nelly Schmidt
décrit également les conséquences de cette abolition dans les colonies.
C'est justement sur l'impact réel de cette
loi dans les colonies que le document et la consigne nous amènent à nous
interroger. En quoi fut-elle un progrès pour les populations concernées ? Son
application a-t-elle connu des limites ? Voilà les deux axes autour desquels il
est possible de construire notre développement.
La loi du 27 avril 1848 met fin à l'esclavage
dans l'ensemble des colonies françaises concernées par le phénomène. Comme le
rappelle Nelly Schmidt, ce jour là "la majorité des membres du
gouvernement provisoire de la nouvelle République signait le décret d’abolition
de l’esclavage". Elle ne mentionne pas ici Victor Schœlcher mais elle
connait l'importance du combat en faveur de l'abolition de l'esclavage mené par
ce journaliste devenu sous-secrétaire d'Etat à la Marine et aux colonies. Quand
Louis-Napoléon Bonaparte réalise son coup d'Etat en 1851, il est proscrit pour
s'y être opposé. C'est donc un grand républicain.
Avec cette loi les hommes de couleur désormais
libres accèdent à l'égalité des droits. l'auteur de l'article prend pour exemple
" l'accès à l'éducation pour tous". Il faut rappeler que dans le
texte du décret d'abolition, c'est bien au nom de l'égalité républicaine qu'il
est mis fin à l'esclavage. Concrètement, cette décision se traduit par le fait
que désormais tous les habitants des colonies sont désormais des citoyens à
part entière. Les anciens esclaves qui précédemment étaient désignés par de
petits noms ou par le nom de la propriété de leurs maîtres, obtiennent un patronyme
et le droit d'être inscrits à l'état civil comme l'ensemble des Français.
Les anciens esclaves obtiennent également des
droits fondamentaux comme "les libertés de réunion et d'expression et les
droits civiques" comme le précise Nelly Schmidt. Effectivement, la vie
politique et la presse se développent aux Antilles à ce moment là. Des
élections législatives se tiennent en 1848 et en 1849 comme le rappelle
l'historienne dans le troisième paragraphe. C'est à cette occasion que Victor Schœlcher
est élu député en Martinique en 1848 et en Guadeloupe en 1849.
L'abolition de l'esclavage le 27 avril 1848
s'inscrit donc bien dans la première phase de la IIème République caractérisée
par l'affirmation de la démocratie avec l'adoption du suffrage universel, le
rétablissement de la liberté de la presse et de réunion. C'est aussi l'époque
où semblent désormais réalistes les espoirs de voir advenir une démocratie
sociale. Les ateliers nationaux sont ouverts pour occuper et salarier les
chômeurs.
Mais pour certains, ces espoirs vont vite
être déçus. Pour commencer, les libertés accordées dans les colonies sont
rapidement bridées, limitées. Nelly Schmidt précise que "les décrets de
1848 contenaient en fait tous les recours légaux pour surveiller, réglementer,
voire réduire la liberté tout juste acquise". Elle précise que cela concerne la
"liberté de réunion" et d'expression en signalant que la presse était
muselée par "des droits de cautionnement exorbitants". C'est vrai que
rapidement seuls purent publier les riches planteurs capables de s'acquitter de
ce droit de publication. On peut donner comme exemple le journal conservateur Les Antilles imprimé à Saint-Pierre.
La liberté de circulation est également
entravée. Comme le souligne Nelly Schmidt, le vagabondage est
"sanctionné". Des "livrets de travail et des passeports
intérieurs obligatoires pour tout déplacement des "nouveaux libres"
d'une commune à une autre " ont été instaurés. Il est vrai que leurs
déplacements ne sont pas souhaités. Dès le mois de juin 1848, des décrets
locaux sont adoptés pour limiter les libertés des anciens esclaves. La
définition du vagabondage est beaucoup plus étendue qu'à la métropole au même
moment.
L'égalité n'est pas acquise dans la réalité
des faits. Dans l'article, l'exemple donné est celui de l'éducation."
Quiconque souhaitait scolariser son enfant au-delà de 12 ans devait payer une
taxe particulièrement dissuasive" souligne l'auteure de l'article. Le
niveau de scolarisation des anciens esclaves reste donc faible pendant
longtemps.
Les progrès sociaux sont très limités. Le
géreur (directeur d'exploitation) du Lamentin en Guadeloupe cité par
l'historienne témoigne du " dénuement des nouveaux libres". Il faut
dire que les moyens de subsistance de ces derniers sont limités. Sur le marché
du travail, ils sont en effet en concurrence avec des travailleurs
"engagés" recrutés en Afrique, en Chine et en Inde. Dans ces
conditions, il y a peu d'emplois et les salaires sont tirés vers le bas. La
misère les accable alors qu' une loi votée le 30 avril 1849 indemnise les
planteurs et les colons. Ceux-ci reçoivent environ six millions de francs pour
dédommagement de la libération des esclaves.
Pour terminer les activités des anciens
esclaves sont très encadrées. Nelly Schmidt signale que "toute culture autre
que celle de la canne à sucre et du caféier était surtaxée". Il s'agissait
à l'époque de mobiliser toute la main d'œuvre et l'essentiel des terres pour la
production de denrées qui rapportaient à l'exportation. Une économie de rente
est privilégiée. Les cultures vivrières ne sont pas favorisées. Cela contribue
à la faible diversification de l'économie de ces territoires.
On constate donc que les bienfaits de
l'abolition sont rapidement atténués par la mise en application limitée de ses
grands principes. Tout comme en métropole, à partir de juin 1848, on voit les
conservateurs revenir sur certains acquis comme les ateliers nationaux qui sont
fermés le 21 juin 1848.
Parce que le mensuel L'Histoire ne s'y prêtait
pas, Nelly Schmidt ne peut développer dans le détail sa description de la
société coloniale issue de l'abolition de l'esclavage. Dans son texte, les
références sont peu nombreuses. Il présente cependant l'intérêt de faire apparaitre
en quoi les principes de l'abolition de l'esclave étaient en rupture avec la
situation précédente. Il montre également combien les progrès espérés furent limités
dans la réalité des faits, à l'image de l'évolution de la IIème République.
Pour en entendre plus sur le sujet : https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/le-travail-contre-la-liberte-44-quand-les-esclaves-reprennent-le-travail