Numérisation_20190101

Marie Lacave devant la ferme des

          Valentées en 1963

 

 
Marie Lacave : une femme résistante ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Leçon :

 

Dans la ferme des Lacave aux Valentèes, Odile vivait dans le bonheur et l’innocence d'une enfant. Chaque matin Marie Lacave lui préparait des tartines de graisse d'oie avec un peu de lait qui provenait de la vache placée là par Albert Suganas. Etonnamment, Odile garde un excellent souvenir de cette période. Pourtant, face à la menace d'une arrestation, Madame Lagarde prenait un risque en la cachant.

 

 

Dans ce contexte, Marie Lacave peut-elle être considérée comme une résistante ?

I Oui , ... 

a) ...si on donne de la résistance une définition large, ...

La résistance c'est d'abord, un refus. Le premier à utiliser le terme de résistance, c'est De Gaulle  à l'occasion de l'appel du 18 juin 1940. Il déclare, en effet à cette date " Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. [...]". Il prononce ces mots à la suite de la Bataille de France. Il n'accepte pas la défaite et considère, contrairement à Pétain, qu'il est possible de poursuivre les combats avec le soutien des alliés. C'est le début de la résistance extérieure.

La résistance est aussi une volonté.  A titre d'exemple, il est possible d'évoquer la figure de Jeanine Morisse. Peu de jours après l'appel du 18 juin, c'est le refus de l'invasion allemande qui anime cette jeune étudiante quand elle fait, dans une salle de la bibliothèque d'Auch, le serment de tout faire pour chasser l'envahisseur  (ANACR32 2017). Elle tient parole en se portant volontaire pour  transporter des armes et des messages entre Auch et Toulouse. Elle cache également des agents du Special Operations Executive (SOE), le service secret britannique. Elle paie  son engagement au prix fort. Arrêtée en avril 1943, elle est déportée à Ravensbrück en 1943. Elle est libérée fin avril 1945 par les troupes russes.

On retrouve ces deux dimensions de la résistance, l'opposition et l'engagement chez l'industriel Fernand Mauroux. (LABEDAN 2018) En novembre 1940, il refuse de s'associer à une adresse envoyée à Pétain par la Chambre de Commerce du Gers. Il s'engage ensuite dans le mouvement démocrate chrétien "Liberté"  créé par ses amis François de Menthon et Pierre-Henri Teitgen. Il structure le mouvement dans le département avec l'instituteur Ernest Vila, le vétérinaire Georges Daubeze, le professeur, Jean Bourrec et le militaire Louis Villanova. A la fin de 1941, les mouvements "Liberté" et "Vérité" fusionnent pour devenir " Combat". A Mirande, ce groupe se constitue autour de Henri Larcade, Eugène Hoffalt et Marcel Lacoste. Ces derniers bénéficient de complicités dans le Centre de Démobilisation créé dans la ville au lendemain de l'armistice.  De 1941à 1942, l'action de cette résistance consiste surtout à distribuer des tracts et des journaux clandestins, à marquer  les lieux publics du "V" de la victoire (LABEDAN 2018). C'est au sujet de cette forme de résistance, que l'historien  François Bédarida, parle de résistance civile. Il s'agit d'une résistance idéologique et politique utilisant la presse clandestine, la grève et d'autres moyens de protestation pour s'opposer  (BEDARIDA 1986).

b) ...l'engagement de Marie Lacave est un acte de résistance.

Au début de l'été 1942, quand les époux Lacave font le choix d'héberger Odile et sa maman, ils savent qu'ils vont à l'encontre de la politique du régime de Vichy. Mirande, comme le reste du Gers et de la France, n'échappe pas à la propagande antisémite du Commissariat Général Aux Questions Juives (CGQJ). Quand ils accueillent les Suganas, les Lacave savent pertinemment que la famille est juive comme en témoigne la lettre de Liuba Suganas destinée au mémorial  Yad Vashem (SUGANAS 1994). Le régime de Vichy se charge d'ailleurs de rappeler que toute aide aux personnes persécutées est contraire à la légalité. En zone non occupée, le 10 aout 1942, au lendemain de la déportation des juifs étrangers détenus dans les camps d'internement, une loi est adoptée "réprimant l'évasion des internés administratifs et la complicité en matière d'évasion".  Le préfet de région Cheneau de Leyritz s'empresse d'appliquer cette mesure répressive à l'échelle locale. Il envoie donc au préfet du Gers le 20 août dans la soirée, le message suivant : " vous prie me signaler immédiatement toutes personnes dont attitude ou actes entraveraient exécution instructions sur regroupement israélites."  (Leyritz 1942-AD 1W 708). Même si cette vague d'arrestation concerne les juifs étrangers, les Lacave sont conscients du danger. C'est la raison pour laquelle ils aménagent une cachette dans leur ferme pour mettre Odile et sa maman à l'abri des visites importunes.

Clandestinité, engagement, opposition, voilà autant de conditions réunies pour qualifier le geste de Marie Lacave et de son époux d'acte de résistance. François Bédérida (BEDARIDA 1986) parle de résistance humanitaire quand il évoque ce type d'aide aux juifs et aux personnes victimes de répression. Il est intéressant de noter qu'à partir de 1942 le nombre d'individus portant assistance à ces personnes en grande détresse augmente de façon significative. L'historien Jacques Semelin (SEMELIN 2013) soutient d'ailleurs " que la France a connu entre 1942 et 1944 un important mouvement de réactivité sociale". A ses yeux, le mot réaction représente bien ces formes de réponses spontanées face au désarroi de personnes menacées. Mais il note que ces réponses plus nombreuses à partir de 1942, ne sont pas isolées même si elles ne sont pas concertées, organisées. Il parle donc de phénomène social, en ce sens qu'une partie de la société française adopte consciemment une attitude non conforme aux attentes du régime de Vichy.

II Non, ...

a) .. si on pense que la résistance désigne avant tout un mouvement collectif...

Jacques Semelin note que la résistance désigne dans son sens convenu[JA1]  pour beaucoup d'historiens une volonté "concertée de lutter, avec ou sans armes contre l'occupant et Vichy". Dans ces conditions, la Résistance est souvent perçue comme un engagement collectif[JA2] . A ce stade de nos recherches, rien ne nous permet d'affirmer que le sauvetage des Suganas par les Lacave a été permis par un réseau. Certes, on imagine bien qu'une complicité discrète des voisins a été nécessaire pour préserver la tranquillité de la ferme des Valentées. On constate également que les deux familles n'étaient pas strictement isolées. Madame Suganas est accueillie à son arrivé à Mirande par Monsieur Brux, propriétaire d'un magasin de semences sur la place d'Astarac. Les Suganas fréquentent les Pik et les Pollack, deux autres familles juives réfugiées à Mirande. Cependant, pour l'instant, rien ne nous permet d'affirmer qu'il existait autour d'eux, un réseau comparable à celui de Chambon-sur-Lignon ou, plus près de nous celui de Moissac. Rien ne nous permet d'affirmer que les Suganas auraient, par exemple, bénéficié de faux-papiers grâce à l'aide d'e Pâquerette Tournan ou d'  Emma Saucède, deux femmes engagées à Mirande dans la fabrication et la fourniture de fausses pièces d'identité. En 1943, elles manquent toutes les deux de se faire arrêter par les Allemands.

b)... destiné à lutter  contre le régime de Vichy et/ou l'occupant...

Il faut dire que les années1942-1943 sont un tournant dans l'histoire de la Résistance. Au cours de l'année 42 on observe plus de défiance vis à vis du régime Vichy dans la population. Le retour de Laval au pouvoir en avril 1942 confirme que le gouvernement de Vichy se soumet aux volontés de l'Allemagne nazie. D'ailleurs, l' Etat français collabore clairement au génocide avec les rafles de juillet et août 1942. Pour finir, contrairement à ce qu'affirmait Pétain, il ne parvient pas à protéger la souveraineté française puisque les Allemands envahissent la zone non-occupée le 11 novembre 1942. Dans ces conditions, l'opinion publique française devient un peu plus réfractaire. Progressivement la résistance civile qui existait se dote de moyens armés. En aout 1942, le siège de la milice, au 16 de l'actuelle place de la libération [JA3] est plastiqué par la Résistance. Fernand  Mauroux qui a fourni les explosifs est arrêté dans la nuit du 28 au 29 août 1942.Le mouvement  "Combat" s'associe ensuite à  "Libération" et Francs-tireurs" pour participer aux Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) avec une composante militaire, l'"Armée secrète"(AS).

Mais la Résistance a également une origine militaire. En effet, l'année 42 correspond à la démobilisation de certains régiments installés en zone non-occupée. C'est le cas du 2ème Dragon. Encouragés par le lieutenant-colonel Schlesser, les hommes du 2ème Dragon démobilisés à Auch forment des maquis camouflés en chantiers forestiers à Berdoues, Ponsampère, Manciet, Miélan et Ordan-Larroque. Ils sont rejoints par des civils, notamment des réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO).  Ces groupes intègrent "l'armée régulière" (AR) puis l'"Organisation de Résistance de l'Armée" (ORA) dans le cadre du Corps Franc Pommiès (CFP). L'année 1943 est aussi celle de l'unification de la Résistance au niveau national et régional.  L'AS et l'ORA sont associées dans le Gers dès mars 1943. Ces organisations constituent la base de la résistance armée qui travaille en association avec le SOE britannique. Les résistants et les résistantes fournissent du renseignement, les Anglais parachutent des armes et du matériel d'émission-réception radio. Mais, en octobre 1943, la rupture entre l'AS et l'ORA prouve que tous les résistants ne combattent pas forcément pour les mêmes  raisons (CUBERO 2005). Certains chefs militaires comme le commandant André Pommiès, chef de l'ORA dans la région, souhaitent combattre l'envahisseur allemand mais ne veulent surtout pas faire de politique. C'est dans ce contexte de division que le 14 décembre 1943, la police allemande rafle tous les membres du chantier forestier de Ponsampère près de Mirande.

c) ...et engagé dans le combat de la libération.

A partir de 1944, il s’agit pour la Résistance de préparer le débarquement puis de le soutenir. Au printemps 1944, la question qui se pose est de savoir s’il faut engager les combats contre l’occupant immédiatement ou attendre l’intervention alliée. Dans ce contexte, la répression allemande et vichyste se durcit. Dans la nuit du 9 au 10 mars 1944, la feldgendarmerie[JA4] , la police militaire allemande installée dans les locaux de l'hôtel de France à Auch, arrête huit résistants gersois des M.U.R. La Résistance s’organise malgré tout en bataillons pour préparer le débarquement. Au nord, se trouve le bataillon FTP Prosper, au sud-est le Corps Franc la Libération (CFL) du docteur Raynaud, au sud le Corps Franc de la Libération Soulès, à  l'ouest le Bataillon de l'Armagnac. De son côté, le Corps Franc Pommiès rattaché à l'ORA déploie quatre bataillons au nord-ouest, à l'ouest au centre et à l'est. A la veille du 6 juin, ces unités reçoivent l'ordre d'agir. Leur mission consiste à isoler et à ralentir le repli des troupes allemandes vers les lieux de débarquements alliés. Cela passe par des embuscades et des sabotages. Mais la réaction de la Wehrmacht ne tarde pas et les résistants subissent de lourdes pertes comme à Castelnau-sur-l’Auvignon en juin 1944 où de nombreux résistants français et espagnols tombent sous les balles allemandes. Le 7 juillet 1944, le maquis de Meilhan  est décimé par une attaque allemande. Finalement,  Le Gers est libéré le 19 août 1944, avec le départ  vers Toulouse de la garnison allemande de 250 hommes qui occupait Auch. Elle est bloquée à l'Isle-Jourdain par le Bataillon d'Armagnac et le Corps Franc Pommiès. Certains des combattants de ces deux groupes, réunis dans le cadre des Forces Françaises de l'intérieur (FFI), participent ensuite aux combats des poches de l'Atlantique et à la  poursuite de l'armée allemande vers l'est avec les troupes alliées.

Conclusion :

                Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, c'est cette image de la Résistance que la mémoire collective retient et valorise. A la fin de la guerre, les premières stèles et les premiers monuments honorent alors, le plus souvent, les faits marquants de la Résistance des derniers mois du conflit. Dans les esprits et au cinéma, elle est alors incarnée par la figure d'un homme jeune, armé, engagé dans des opérations de guérilla. On est là bien loin de ce que peut représenter Marie Lacave, fermière mirandaise cachant des juifs dans sa maison.  Pourtant, pour plusieurs raisons, ce qu'elle a fait pendant la Seconde Guerre mondiale peut être considéré comme un acte de Résistance. Avec elle, les femmes ont représenté 10 à 15% des effectifs de la résistance en France. Cela confirme toute la diversité de cet engagement. Les résistants et les résistantes viennent de milieux extrêmement différents. Ils ne sont pas forcément motivés par les mêmes intentions. Pour finir, ils n'utilisent pas forcement les mêmes moyens.                               

                Ce constat fait, pour essayer de définir la Résistance, on peut alors dire que, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, elle désigne toute opposition à l'ordre établi impliquant un engagement volontaire dans l'action illégale ou clandestine. Elle peut donc être civile, armée ou humanitaire. Dans un sens plus restrictif, la Résistance est un mouvement organisé, concerté, destiné à lutter contre la domination de l'occupant et/ou du régime de Vichy au nom de la liberté nationale et de la dignité humaine.

 

 

 


 [JA1]Par qui ?...

 [JA2]Résistance avec une majuscule

 [JA3]Où ?

 [JA4]expliquer