Séries : 1L, 1ES, 1S
Le temps de
la colonisation : L’empire Français au temps de l’exposition coloniale de
1931
Etude de
cas : l’exposition coloniale de 1931
« Le but essentiel de l’exposition est de donner
aux français conscience de leur Empire, pour reprendre le mot des hommes de la
Convention. Il faut que chacun d’entre nous se sente citoyen de la Plus grande
France, celle des cinq parties du monde … » Paul Reynaud, Ministre des
Colonies, 1931.
Le 6 mai 1931 est inaugurée l’Exposition coloniale internationale de Paris. Elle s’étend alors
sur 110 ha à l’est de la capitale, aux abords du bois
de Vincennes, comme l’a voulu celui qui a la responsabilité de son
organisation : le maréchal Lyautey.
On promet alors aux visiteurs qui doivent venir de toute la France de «faire le tour du monde en un jour ».
Pb : Quel
est l’objectif d’une telle exposition ? Cet objectif est-il compatible
avec la réalité de la domination coloniale ?
I Il s’agit de valoriser l’ « Empire »….
a)
Détentrices du second empire colonial……
La
France possède alors le deuxième empire
colonial au monde derrière le Royaume-Uni. Cet empire s’entend sur
plusieurs continents. Il s’agit de l’Amérique, pour commencer, avec les
territoires qu’on a l’habitude de qualifier d’anciennes colonies : les Antilles et la Guyane. En Afrique,
les territoires concernés sont l’AOF (1895), l’AEF (1908), Madagascar, l’Algérie, une colonie de peuplement, la Tunisie et le Maroc, des protectorats. A cela s’ajoutent des
territoires en Asie. C’est le cas de l’Indochine et des Indes françaises avec
les comptoirs de Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Yanaon et Mahé. La
France a également des possessions dans les océans Indien (Réunion,…..) et
Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie). Cette liste n’est pas exhaustive
car, au total, l’empire colonial français s’étend sur près de douze millions de kilomètres carrés. Il
est peuplé de plus de 50 millions de
personnes. Il s’agit donc pour les organisateurs de l’Exposition coloniale,
de faire prendre conscience aux français métropolitains de l’extension de ces
territoires que l’on souhaite associer à la France dans le cadre de ce qui est
représenté comme un Empire. L’usage
de ce terme se développe d’ailleurs dans
les années 30. L’Exposition coloniale cherche à faire prendre conscience de
cette « France plus grande ».
Colonie de peuplement :
colonie destinée à faire l’objet d’une valorisation par un peuplement européen.
Protectorat :
territoire demeurant souverain, en principe, sur le plan intérieur avec le maintien
de ses autorités traditionnelles mais qui délègue un certain nombre de pouvoirs
à une puissance étrangère dans le domaine de la défense, de la diplomatie et du
commerce.
Comptoir :
territoire outre-mer contrôlé par une puissance pour faciliter son commerce.
b)
, les autorités françaises souhaitent
promouvoir leurs réalisations dans les colonies …
Dans ces colonies, un
certain nombre de ressources sont exploitées. Il s’agit des forêts et de différents
gisements de matières premières. On parle dans ce cas, d’économie de prédation. On cultive également le café, le cacao, le
thé dans le cadre d’une économie de
plantation destinée à satisfaire les
besoins de la métropole. Dans les années 30, différents comités industriels
et commerciaux se chargent alors de
promouvoir la consommation de ces productions (banane, café, thé, riz, etc …) en métropole avec différents moyens
publicitaires. Les industriels de la métropole souhaitent également développer l’exportation de leurs produits
manufacturés vers les colonies. Ils y cherchent des débouchés. Cette préoccupation n’est pas nouvelle. Jules Ferry évoquait déjà cet intérêt
des colonies dans son discours à la
chambre des députés en 1885. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle, on ne développe pas l’industrie dans les
territoires dominés. Pour favoriser l’acheminement de ces marchandises, on
crée des infrastructures, des
routes, des lignes ferroviaires comme le Congo-Océan inauguré en 1934 ou encore
le port de Casablanca au Maroc qui fait la fierté de Lyautey. A ce moment-là,
les autorités mettent également en avant les
progrès sanitaires réalisés dans la lutte contre les maladies tropicales
comme le paludisme ou la maladie du sommeil avec le développement des instituts Pasteur ou grâce à l’action du docteur
Schweitzer par exemple. Les autorités mettent en avant aussi les efforts
réalisés en matière d’instruction. Des
écoles sont créées et destinées aux enfants des territoires colonisés. Mais dans
une France laïque et républicaine, une bonne part de l’éducation est confiée
aux missions religieuses catholiques ou protestantes.
Economie
de prédation : économie consistant à prélever dans
le milieu des éléments qui y sont présents sans transformation.
Economie
de plantation : économie agricole basée sur le
développement de cultures de rentes destinées à produire un revenu par la vente
et éventuellement par
l’exportation.
c)
…aux yeux des métropolitains, on crée à
cette occasion, une image voire un mythe de l’empire colonial.
De façon paradoxale, la
France républicaine, patrie des
droits de l’Homme, a assujetti les populations des territoires qu’elle domine.
Mais elle prétend assurer à cette occasion une mission civilisatrice.
Dans un premier temps, dans une logique que l’on peut qualifier de raciste, elle prétend apporter le
progrès à des populations considérées comme inférieures, primitives. La
presse, le cinéma, la musique, la littérature contribuent à entretenir une image exotique des sujets de l’empire
colonial français. Cela participe à ce que Pascal
Blanchard et Sandrine Lemaître qualifient
de culture impériale.
Dans un second temps
la France entend faire, à terme, des sujets,
des citoyens à part entière. Par exemple, Blaise Diagne, premier député, contribue en 1917 à recruter plus de
65000 combattants en promettant la citoyenneté pleine et totale à l’issue de la
guerre. C’est la contrepartie attendue par la métropole, car s’ils ne paient
pas « l’impôt du sang», les
« indigênes » comme on les appelle alors, doivent
de toute façon contribuer à la valorisation des colonies par le travail forcé ou encore des impôts
comme l’impôt de capitation. En
attendant, ce moment où tous les habitants de l’Empire seront des citoyens
souverains, les autorités coloniales entendent assurer directement
l’administration des territoires colonisés en s’appuyant sur ses relais sur
place que sont les gouverneurs et les chefs de cercles (administration directe). Elles ne s’appuient que de façon
symbolique sur les autorités traditionnelles.
Cette théorie d’administration coloniale porte un nom : l’assimilation. Les britanniques
prétendent, eux, pratiquer l’association
en respectant les hiérarchies et les coutumes traditionnelles. En réalité, les
deux métropoles ont pratiqué les deux modes d’administration.
Attention, les
français ont aussi pratiqué l’association comme les britanniques sur certains
territoires mais de façon moins systématique.
Assimilation :. Dans le domaine politique, c'est la volonté de donner à
terme aux peuples colonisés le même statut que les citoyens français. En
réalité, cela ne concerne qu'une minorité et ce système accorde tous les
pouvoirs à la métropole qui administre directement (Algérie, divisée en trois
départements, Antilles (destinée du Guyanais Félix Eboué), Réunion,
Cochinchine, quatre communes au Sénégal (Saint-Louis, Dakar, Rufisque, Gorée)).
Association :
Il s’agit de maintenir les institutions locales et traditionnelles et de
s'appuyer sur elles pour administrer les territoires colonisés. L’administration est indirecte
(Indirect Rule- Dual Mandate) comme dans une partie
de l’Inde.
Travail
forcée : prestation obligatoire en travail que les
sujets de la colonie doivent à l’administration coloniale. Elle peut durer
entre 12 et 50 jours par an selon les colonies françaises.
Capitation :
impôt par tête d’habitant.
II mais cette volonté de promotion est
confrontée à de sérieuses limites
a)
L’exposition coloniale est d’abord l’occasion
de pratiques douteuses.
Dans un roman, connu Didier Daenincks
raconte le périple malheureux de plusieurs kanaks recrutés en Nouvelle-Calédonie
par des entrepreneurs peu scrupuleux pour assurer un spectacle de danses
traditionnelles à l’occasion de l’évènement. C’est une histoire vraie même s’il
convient de préciser que le spectacle a lieu dans le zoo voisin, hors de l’enceinte de l’Exposition coloniale. Les
personnes recrutées sont toutes éduquées. Elles savent lire et écrire. Elles ont
un emploi et, parmi elles, figure un ancien combattant de la première guerre
mondiale. Or, les costumes qu’on leur demande d’endosser et les danses qu’on leur
demande d’exécuter sont destinés à les représenter comme des sauvages. Ce n’est pas une nouveauté. Ce genre de
spectacles faisait, dans la deuxième moitié 19ème siècle, le succès
de zoos humains ou de spectacles d’exhibition. Cependant, on
constate qu’en 1931, un discours basé sur la prétendue supériorité d’une race
sur les autres continue à être entretenu. En
métropole, les colonisés passent encore pour des sauvages ou de grands enfants,
tandis que certains colonisés notamment ceux qui appartiennent à l’élite la
plus assimilée, imaginent pouvoir devenir des français à part entière dans le
cadre de l’Empire.
b)
Tandis que les opposants à la colonisation se manifestent…
A l’occasion de
l’Exposition coloniale quelques voix
s’élèvent pour dénoncer les abus de la colonisation. Le Parti Communiste par exemple, dénonce
au moyen de tracts la colonisation
perçue comme la domination et l’exploitation d’hommes par d’autres hommes.
Les Surréalistes se manifestent
(blague) également en distribuant un tract intitulé Ne visitez pas l’Exposition coloniale. Il s’agit de soutenir un
militant indochinois menacé d’expulsion car il a
protesté contre l’exécution d’opposants indochinois. En 1930, Ho Chi Minh fonde le Parti Communiste
Indochinois. On constate donc qu’en métropole et dans les colonies
des voix s’élèvent pour dénoncer la colonisation.
c)
…car la réalité de la colonisation est
bien plus sombre que ne le laisse croire l’exposition coloniale.
En
effet, en Indochine par exemple, la
résistance à la colonisation est ancienne. Les autorités coloniales se
plaignent régulièrement de l’insoumission des habitants de la région d’Annam
(« région du centre » de l’Indochine). La répression des mouvements de
protestation est extrêmement brutale.
Le 13 septembre 1930, l‘aviation française bombarde à Vinh des civils
venus dénoncer la lourdeur des impôts. L’opération fait 150 victimes le
premiers jour et 15, le second. Ces protestations s’expliquent par le fait que
pour une bonne part l’effort de mise en
valeur repose lourdement sur les populations locales.
Les
abus du travail forcé sont
perceptibles sur le chantier du Congo-Océan
que l’on construit entre Brazzaville et
l'Océan (795 km) pendant que se tient l’exposition. Ce chantier se
révèle être un enfer : sur les 127 000 hommes recrutés de force (1921-1932), 25 000 meurent d'épuisement, de maladie
ou victimes de mauvais traitements.
L’effort
pour l’instruction connaît des limites. Les agrégés Aimé Césaire de Martinique et Léopold
Cedar Senghor du Sénégal offrent des exemples brillants d’une assimilation
complète de la culture classique européenne grâce à l’école et à la possibilité
de faire des études en France. Mais dans les territoires colonisés les efforts destinés à généraliser
l’instruction sont inégaux. Si à Madagascar les taux de scolarisation sont
comparables à ceux de certaines régions françaises, en Algérie seul 6% des
enfants musulmans d’une classe d’âge ont accès à l’éducation.
Conclusion :
Au
total, l’Exposition coloniale fut visitée par 33 940 000 visiteurs. L’objectif
de l’évènement était donc bien de promouvoir
l’Empire colonial auprès de ces métropolitains
pas toujours conscients de son extension et de ses potentialités. Dans ce
contexte se développe toute une culture
impériale dont les vecteurs sont les différents médias de l’époque. A
l’occasion de cet évènement, on glorifie les apports de la prétendue mission civilisatrice. Mais les abus et les limites de la
colonisation ne sont pas exposés. Pourtant des voix commencent à se faire
entendre pour les dénoncer. Comme si les signes du déclin s’annonçaient au
moment où l’empire était présenté à son
apogée. C’est ainsi que l’on peut interpréter cette question que se posait
en octobre 1931, le Maréchal Lyautey,
commissaire de l’Exposition coloniale : «Cette exposition est-elle un
testament ou un point de départ ? »
Auteur : Nérée Manuel
Bibliographie :
Comité scientifique international pour la rédaction
d’une Histoire générale de l’Afrique (Unesco), Histoire générale de
l’Afrique, VI L’Afrique au 19ème siècle jusque vers les années
1860, 1989
Comité scientifique international pour la rédaction
d’une Histoire générale de l’Afrique (Unesco), Histoire générale de
l’Afrique, VII L’Afrique sous la domination coloniale, 1989
ZEITOUN C., TESTARD-VAILLANT Ph., CAILLOCE L., Aux
origines du racisme, CNRS Le journal, décembre 2011
Catalogue de l’Exposition, L’invention du sauvage,
Exhibitions, Commissaire de l’exposition: Lilian Thuram,
Beaux-Arts éditions, Musée du quai Branly, 2011.
DAENNINCKX D., Cannibale, Folio, 1998.
COURTES, G. (sd.), Le Gers,
Dictionnaire Bibliographique de l’Antiquité à nos jours, SAHG, 1999.
DONNADIEU J-L., Jean Laborde (1805-1878),
exposition : Etre citoyen, quelle aventure !, ANONM, 2012.
BLANCHARD P. ; LEMAIRE S., Culture impériale, 1931-1961, Les colonies au
cœur de la République ; coll. Mémoires, Autrement, 2004.
GRANDSART D., PARIS 1931, Revoir l’exposition coloniale,
FVW Editions, 2010.
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à jour : 05/15