Les
frontières : typologie et dynamiques
Une fois définie la notion
de frontière semble relativement simple. Elle sépare le territoire de deux
Etats et leurs souverainetés respectives. Pourtant, toutes les frontières ne se
ressemblent pas. Elles ne prennent pas toutes les mêmes formes. Elles n'ont pas
toutes les mêmes fonctions. Dans le contexte de la mondialisation on a même pu
se demander si elles n'étaient pas amenée à s'effacer.
On peut donc s'interroger
plus finement sur la nature des frontières, sur leur nombre, leurs fonctions, sur
leur évolution et sur leur éventuelle disparition.
I
Les frontières sont de plus en plus nombreuses...
a) En effet, le processus de
morcellement se poursuit dans le monde.
Depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, le nombre d'Etats a tendance a augmenter. Pour commencer, cela
s'explique par la décolonisation
entre 1945 et 1990. A la fin de la
guerre froide un certain nombre d'Etats se sont divisés pour ne pas dire
fragmentés. On peut citer l'URSS
pour commencer dont la dislocation a provoqué la création de 15 Etats. Mais ce n'est pas le seul
Etat issu du monde communiste à s'être ainsi morcelé. On peut évoquer pour
commencer la Yougoslavie dont
l'éclatement a commencé en 1991 avec les premiers conflits yougoslaves. Sept Etats sont nés de cette
fragmentation conflictuelle : la Slovénie, la Croatie, La Bosnie-Herzégovine,
la Macédoine, le Monténégro, la Serbie, le Kosovo. En 1993, la Tchécoslovaquie connaît une scission. Désormais, il existe une
République Tchèque et une République Slovaque. En Europe on peut donc
véritablement parler de processus de balkanisation.
Seule l'Allemagne fait figure
d'exception en se réunifiant en
octobre 1990 à la suite de la chute du mur de Berlin en novembre 1989.
Ailleurs, de nouveaux Etats apparaissent encore. Le Timor Oriental a obtenu sa pleine indépendance en 2002. En 2011, le
Soudan du Sud est né de la division
du Soudan. Pour finir, il y a quelques semaines (décembre 2019), l'archipel de Bougainville en Papouasie
Nouvelle Guinée a voté, faveur de son indépendance à l'occasion d'un référendum.
Cette indépendance n'est pour pas reconnue pour l'instant. Depuis 1991, se sont
28000 kilomètres de frontières qui
sont apparus.
Balkanisation :
morcellement du territoire d'un Etat.
b) Il en résulte un grand
nombre d'Etats.
On compte désormais 197Etats reconnus dans le monde. On
compte désormais 252000 kilomètres de
frontières internationales terrestres et 319 dyades terrestres. On peut penser que le processus de création
d'Etats n'est pas achevé: L'indépendance est envisagée en Flandres, en Ecosse,
en Catalogne, au Pays-Basque, en Lombardie, en Vénétie mais aussi en Corse et
en Nouvelle Calédonie.
Dyade :
frontière commune à deux Etats contiguës (Michel Foucher)
Frontière
:
limite séparant les territoires de deux Etats et leurs souverainetés
respectives.
II
...et de plus en plus variées.
a) Les frontières ne
disparaissent pas ...
Aujourd’hui, la question qui
se pose est celle de l’éventuelle disparition des frontières. Certes, la mise en place d’organisations
telles que l’OMC ou l’Union
européenne contribuent à la défonctionnalisation des frontières. En effet,
l’organisation internationale basée à Genève cherche, en promouvant le libre
échange, à réduire les barrières douanières. Tandis que les accords de Schengen et la création d’un
marché commun puis d’une Union douanière ont favorisé la libre-circulation des
marchandises et des ressortissants de l’UE. Cependant, Michel Foucher
considère que, malgré tout, dans un contexte de mondialisation et d’ouverture
croissante des économies, on assiste, en réalité, à un processus généralisé de reterritorialisation à l’intérieur de frontières qui restent marquées. C’est
dans ce cadre que peut se comprendre le processus de « barrièrisation » de certaines
frontières. Michel Foucher note que dans un contexte de multiplication
des flux, au delà de la volonté de contrôler les flux non désirés, l’affirmation
de la frontière peut correspondre à une volonté de mise en scène de la souveraineté des Etats. La frontière est donc
loin d’avoir disparue.
b) ...Mais elle peut prendre
différentes formes
" Le mur interdit le
passage; la frontière le régule. Dire d'une frontière qu'elle est une passoire,
c'est lui rendre son dû : elle est là
pour filtrer. " Regis Debray,
Eloge des frontières, Gallimard,
2010.
Parmi toutes les frontières,
il est possible de distinguer celles qui sont ouvertes (frontières
ouvertes). Ce sont des zones de contact animées par de
nombreux échanges, de nombreux flux de natures diverses. Elles jouent un rôle d'interface. Le long de ces frontières, des
points de passage permettent la
connexion des axes de communication de part et d'autre du tracé officiel. C'est
ce qui se passe à la frontière entre la France et l'Espagne. Dans certains cas on parle de frontières-passages. De part et d'autre de ces frontières se forment
des espaces transfrontaliers animés
par les activités liées aux passages des frontières.
Mais il existe également des
frontières fermées. Le long de
celles-ci, l'objectif est de limiter, de contrôler les flux. Les points de
passages plutôt rares servent à les filtrer. Dans les cas les plus extrêmes,
des murs plus ou moins sécurisés
sont érigés. On parle alors de frontières-barrières,
de frontières-murs ou de frontières-clôtures. .Rares sont
cependant, les frontières qui parviennent à être totalement étanches. On compte
dans le monde 65 murs internationaux
contre 16 seulement en 1989 au moment de la chute du mur de Berlin. La plus
longue barrière frontalière sépare l'Inde et le Bangladesh. Elle mesure 3200 km
de long. Au total, on compte près de 20
000 km de frontières murs soit 8% du total de frontières terrestres.
La volonté de contrôle
pousse certains Etats à externaliser
leur frontière. C'est ainsi les accords du Touquet font de la France,
jusqu'au Brexit la garante du contrôle de l'accès au
territoire britannique. L'Union européenne a également fait le choix
d'externaliser la gestion des flux migratoires en signant des accord avec la
Turquie, le Maroc ou encore la Libye. Le fait que les Etats-Unis contrôlent les
marchandises qui leurs sont destinées par voie maritime dès le port d'origine
est moins connu. Il faut savoir également que pour leur sécurité, les
Etats-Unis et Israël ont la possibilité de contrôler les passagers dans
certains aéroports de départ. A ce
propos, on constate que la frontière ne se réduit plus seulement à une ligne
marquant la séparation entre deux souverainetés. Les aéroports sont des nœuds frontaliers ou frontières nodales qui contrôlent le
passage d’un espace à un autre en fonction de la provenance des passagers. Dans
l'espace Schengen, la distinction
est faite, notamment, entre les ressortissants Schengen et ceux qui relèvent de
territoires situés hors Schengen. Dans le cas d’une simple escale, les contrôles
se limitent à l’accès aux avions. Le hub
s’apparente alors à un couloir de
transit ou à un « tube de
verre » permettant le raccordement
ou la jonction entre plusieurs lignes. Les frontières sont donc désormais polymorphes.
Interface
: zone
de contact animée par de nombreux échanges et qui marque également une
discontinuité entre des espaces différents.
Synapse
: unité spatiale de jonction où ont lieu des contacts ou des passages.
Conclusion : Les frontières sont loin de disparaitre dans le monde. Au contraire, elle se multiplient aujourd'hui encore avec la création de nouveaux Etats. Dans le contexte de la mondialisation, on pourrait penser qu'elles sont moins marquées. Ce n'est pourtant pas le cas. Certes dans certains espaces, les flux sont moins contrôlés mais ailleurs, les frontières voient leurs fonctions renforcées en particulier là où elles sont sécurisées.