Les enjeux de Schengen et du contrôle
aux frontières : venir en Europe, passer la frontière
Le 16 décembre 2021, dans le contexte de
regain de l’épidémie, la France a annoncé que les voyageurs en provenance et à
destination du Royaume-Uni seraient dans l’obligation de justifier de
« motifs impérieux » pour pouvoir se déplacer de part et
d’autre de la Manche. Certains ont pu y voir une entrave à la liberté de
circulation en Europe.
On peut s’interroger d’une manière générale
sur les règles qui s’appliquent sur le sous-continent européen en matière de
droit de circulation. Très vite il sera nécessaire de comprendre le fonction d’un accord qui unit de nombreux pays
européens : l’accord de Schengen.
I Les principes de
fonctionnement des frontières dans le contexte européen.
a)
Des Etats unis par des principes communs.
Les frontières de l’Ue
résultent d’élargissements successifs.
L’Ue est passée de 6 membres en 1957 à 28 en 2013
puis 27 en 2016 à la suite du Brexit. Dès
l’origine, l’article 26 du traité de
Rome en 1957 précise que « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures
dans lequel la libre circulation des
marchandises, des personnes, des
services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités ».
Les traités suivants ont confirmé ce principe. En 1995, a donc été créé un espace Schengen, du nom de la ville où
fut signée la convention en 1985. Il rassemble 26 Etats du sous continent européen, mais seulement 22 d’entre eux
sont également membres de l’Union
européenne.
b)
Les principes concernant les frontières intérieures.
L’accord de Schengen affirme le principe de libre circulation des ressortissants des
Etats membres à l’intérieur de l’espace défini. Remarque : ce droit
bénéficie aussi à toute personne en provenance d’un pays tiers (pays extérieur
de l’espace Schengen) munie d’un titre de séjour valable dans l’un des pays
membres. Autre remarque : certains territoires ultramarins dépendants des
Etats signataires ne relèvent pas des accords de Schengen. Pour la France seuls
les territoires européens appartiennent à la zone Schengen.
c)
Les principes concernant les frontières extérieures.
L’accord de Schengen crée une frontière extérieure commune. Tous les
Etats membres de l’espace Schengen limitrophes de cette frontière extérieure
commune ont la charge de son contrôle
mais pour coopérer dans cette tâche les Etats de l’Union européenne ont
regroupé leurs moyens de surveillance dans le cadre de l’agence Frontex. En 2020, cette
agence comptait 10 000 agents. Depuis 2013, le réseau Eurosur permet aux pays de
l’espace Schengen de partager des
données en temps réel issues de la surveillance desfrontières
extérieurs. Les Etats partagent aussi leurs informations concernant les
personnes.
Frontex : agence de l’Union européenne chargée
de la surveillance de ses frontières extérieures.
Libre
circulation :
principe autorisant les individus à traverser librement une frontière.
Espace
Schengen :
zone de libre circulation des personnes entre 26 pays européens signataires de
l’accord de Schengen (1985), dont quatre ne font pas partie de l’Ue (Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse). Cinq Etats de
l’Ue n’en sont pas signataires (Bulgarie, Chypre,
Croatie, Irlande, et Roumanie).
Externalisation : transfert vers un
partenaire externe d’une fonction exercée par un acteur donné.
II Des principes remis
en cause
a)
…dès les origines,
Dès le départ, certains Etats de l’Union
européenne ont fait le choix de ne pas signer l’accord de Schengen. Ce fut le
cas du Royaume-Uni. Cela faisait de
l’Union européenne un espace à géométrie
variable où les règles n’étaient pas
les mêmes pour tous selon qu’on appartienne à la zone de libre échange ou à l’espace
Schengen. C’est dans ce contexte légal, que le Royaume-Uni a confié à la
France une partie de la gestion des migrants dans le cadre des accords du Touquet. Ces accords restent
aujourd’hui en vigueur malgré le Brexit. Le
Royaume-Uni considère malgré tout que la France ne limite pas suffisamment
l’entrée illégale de migrants sur le territoire britannique. Aujourd’hui, l’Irlande membre de l’Union européenne a
un statut comparable à celui du Royaume-Uni avant le Brexit :
elle est membre de l’Union européenne mais ne fait pas partie de l’espace
Schengen. Elle conserve le droit de contrôler les personnes à ses frontières mais
elle bénéficie quand même du système d’information Schengen.
Accords
du Touquet :
Accords unissant depuis 2003, le Royaume-Uni à France permettant la coopération
dans la surveillance de la frontière entre les deux pays et le contrôle des
réfugiés. Mais concrètement, la France se retrouve désormais dans la situation
d’assurer sur son sol le contrôle du passage des migrants à destination du
Royaume-Uni. Face à cette charge, les accords
de Sandshurst ont été négociés. Ces accords
prévoient un financement britannique pour le contrôle des migrants à
Calais.
b)
…au sujet des frontières extérieures.
En 2015 dans un contexte de conflits et de
crises dans les pays du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient, l’Union
européenne a fait face à une forte
demande migratoire. Conformément à la convention
de Genève, elle se doit d’accueillir les réfugiés demandeurs d’asile. Cette
année là, l'Ue a enregistré 1,2 million de demandes
d'asile et dans le même temps l'agence Frontex a
estimé le nombre de passages clandestins
à 1,8 million. Dans ce contexte, on a assisté à une volonté de durcissement du contrôle des frontières externes de
l’Union européenne. Cela s’est traduit par endroit par une barriérisation de
la frontière (Ceuta et Melilla ; frontière entre la Grèce et la
Turquie ; frontière entre la
Bulgarie et la Turquie, frontière entre la Roumanie et la Serbie). Sur le
territoire européen, des lieux de contrôle (hotspot) ou d’enfermement (zones d’attentes ou centre de rétention)
des migrants ont été établis. Le contrôle et la gestion des migrants a également été confiées à des pays de transit ou de départ comme la Turquie, le Maroc ou la
Libye. On parle dans ce contexte d’externalisation
de la gestion migratoire. Cette stratégie est critiquée par des ONG qui constatent
que dans ces conditions les migrants empruntent des routes bien plus
dangereuses. Entre 2014 et 2018, l'Organisation internationale pour les
migrations a recensé près de 17 000 morts en Méditerranée. S’estimant dépassés
par les flux migratoires, certains États
du sud de l’Europe (Italie, Grèce) demandent
la révision des règles de l’accueil des migrants, notamment le règlement Dublin III qui stipule que le premier
pays d’accueil d’un migrant a la responsabilité de l’examen de sa demande
d’asile. Dans de nombreux pays européens se développe un discours nationaliste exigeant un renforcement croissant des frontières externes.
Hotspot : dispositif de
filtrage et d’identification des migrants à leur arrivée dans l’espace
Schengen.
Barriérisation : processus de renforcement des frontières au moyen de
dispositifs matériels et techniques visant à limiter leur franchissement.
Convention de Genève : en réalité
ensemble de conventions relatives au situation de
conflits. En ce qui concerne les réfugiés ces textes prévoient qu’un réfugié ne devrait pas être renvoyé
dans un pays où sa vie ou sa liberté sont gravement
menacées. Ce qui établit un droit
d’asile.
Dublin III : règlement
européen définissant le principe selon lequel l’Etat responsable du traitement
de la demande d’asile d’un réfugié est le pays où la première demande a été
formulée.
c)
… et des frontières intérieures.
Les déplacements de personnes ressortissant
de l’espace Schengen peuvent susciter des tensions. Dans certains pays comme la
France le recourt à des travailleurs
détachés est contestée par certains.
En Suisse, la présence de travailleurs
transfrontaliers est parfois critiquée. Aujourd’hui la tentation est grande
de rétablir le contrôle aux frontières. Par exemple, le groupe de Visegrad désigne un ensemble de
pays prônant un retour des frontières. Les dirigeants populistes de ces Etats
présentent l’immigration comme une menace culturelle ou sécuritaire. On observe
cette tendance à la re-fonctionnalisation des
frontières dans des démocraties comme la France, la Suède ou l’Autriche au nom
de la lutte contre le terrorisme ou le trafic de drogue. Dans le contexte de crise sanitaire, des restrictions ont
été adoptées par plusieurs Etats dont la France limitant l’accès à leur
territoire depuis des pays européens. Des contrôles aux frontières ont été
temporairement rétablis sur plusieurs frontières intérieures de l’espace
Schengen.
Groupe de Visegrad : groupe de pays (Hongrie, Pologne, République
Tchèque, Slovaquie) défendant des positions communes face à l’Ue (restriction de l’immigration, renforcement de la
souveraineté nationale)
Travailleur
détaché :
statut permettant à un employé issu d’un Etat de l’Ue
de travailler dans un autre Etat membre. Il bénéficie des salaires et
conditions de travail du pays d’accueil mais les cotisations sociales sont
celles du pays d’origine.
Conclusion : On a donc
souhaité créer en Europe un espace de libre circulation. En contrepartie, on a
décidé un contrôle accru aux frontières extérieures. Mais ces principes se
trouvent aujourd’hui confrontés à un contexte plus complexe où l’Europe devient
toujours plus attractive pour des migrants dont la vie est difficile dans leurs
pays d’origine. De plus l’épidémie de Covid et les variants successifs du virus rendent nécessaires des
mesures limitant les déplacements d’un territoire à un autre.