La mer : un espace sans frontières ?

La Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer dite Convention de Montego Bay définit la mer comme une étendue d’eau salée en communication libre et naturelle.

Peut-on dire que sur les mers et les océans, les hommes et les biens circulent sans entraves, sans contrôles ? Peut-on dire que ce sont des espace sans droit, sans réglementation ?

I La mer est un espace espace de liberté ...

Homme libre, toujours tu chériras la mer !” Charles Baudelaire

Pendant longtemps, les espaces maritimes ont été considérés comme des espaces sans droits ou des espaces communs.Le droit de la mer se définit progressivement à partir du 17ème siècle. S’impose alors l’idée que la haute mer (blue water pour les anglo-saxons) est un espace de libre circulation. Dans l’histoire, ce principe a été réaffirmé à plusieurs reprises. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le président Wilson réaffirme ce principe dans le deuxième point de sa déclaration qui en comporte 14 (les 14 points de Wilson). A l’occasion de la Seconde Guerre mondiale, en août 1941 le président Roosevelt et Winston Churchill se réunissent au large de Terre-Neuve pour le défendre dans le septième point de la Charte de l’Atlantique.

Aujourd’hui encore, la convention de Montego Bay signée en 1982 après des années de négociation, considère que le les eaux internationales sont des espaces de libre circulation. Elle désigne les sols et sous sols de la mer comme patrimoine commun de l'humanité. Leur gestion est confiée à l'autorité internationale des fonds marins qui réglemente l'exploitation minière et la recherche scientifique La CNUDM consacre le droit de pêche, recherche, de pose de câbles de communication et de conduites dans les eaux internationales.

Pour limiter les abus, une convention internationale du droit de la mer est en négociation depuis 2018 à l'ONU pour réguler la gestion de l'exploitation de la haute mer et sa protection environnementale

II ...de plus en plus réglementé.

La mer est un espace de rigueur et de liberté.” Victor Hugo

Depuis le 20ème siècle, paradoxalement la tendance est à la territorialisation des mers et des océans. Les États cherchent à prolonger au large leurs espaces continentaux.Certains parlent également de nationalisation de la mer. Les règles définies sont les suivantes :

Sur les 12 milles nautiques de la mer territoriale s’exerce la pleine souveraineté des États. C’est ce qu’on appelle communément les eaux territoriales. Elles peuvent éventuellement être prolongées de 12 milles nautiques. On parle alors de zone contigüe. Au-delà, s’étend la zone économique exclusive sur 200 milles nautiques. Là, l’État réglemente l'exploration et l'exploitation mais la navigation reste libre. Ce contrôle peut aller au-delà si la preuve est faite que le plateau continental se prolonge au delà des limites de la ZEE. On parle alors de plateau continental étendu.

Les détroits et les canaux font l’objet d’une attention particulière. Dans le contexte de la mondialisation, le nombre de passages de navires est très élevé. En 2013, le détroit de Malacca a vu passer 77000 navires, le Pas de Calais 72 000 et Gibraltar 71000. Ce sont des passages quasi obligés que les Etats riverains ou traversés souhaiteraient contrôler. Par exemple, en 1956, la nationalisation du canal de Suez par Nasser a provoqué un conflit. Désormais, la CNUDM reconnaît un droit de passage en transit, sans entrave du moment qu’il reste pacifique, à tous les navires.

Voir schéma Montego Bay

Attention, la Convention de Montego Bay est ratifiée par 166 pays, mais 17 ne l’ont pas signée dont Israël et la Turquie et 20 ne l’ont pas ratifiée dont les États-Unis. Pour la circulation, comme un cadre est nécessaire, depuis 1948, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) qui dépend de l’ONU définit pour 170 pays (2011) les règles de circulation et de sécurité.

Concernant les flux de personnes, on observe un renforcement des contrôles aux frontières extérieures maritimes. Ainsi, dans le cadre de l’espace Schengen, des moyens importants sont dévolus au volet maritime du programme FRONTEX.

Mille nautique : 1852 m.

Détroit : bras de mer resserre entre deux terres

III Mais cette réglementation est parfois remise en cause.

On peut donner de nombreux, exemples de conflits liées à la définition des zones économiques exclusives et à la souveraineté sur des espaces côtiers et insulaires. Au niveau mondial, la moitié seulement des délimitations maritimes seulement a fait l'objet d'un accord. Plus de 70 dossiers de contestation sont en cours devant l'ONU. Par exemple, Madagascar estime que les îles Eparses lui reviennent. A des milliers de kilomètres du territoire métropolitain, des forces navales françaises cherchent à faire respecter la ZEE qui entoure les Kerguelen. L’ensemble de ces conflits concerne les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). En Asie orientale, la Chine et le Japon se disputent es îles Senkaku/Diaoyutai. Dans l’Arctique, ceci explique la mise en œuvre d’opérations sous-marines largement médiatisées consistant pour les Russes à planter un drapeau au fond de l’océan au niveau du pôle nord, pour démontrer le prolongement de leur plateau continental sous l’océan arctique.

En ce qui concerne les détroits, certains États contestent la remise en cause de leur souveraineté ainsi, compte tenu des risques pour la ville d’Istanbul, l’État turc souhaiterait renforcer son contrôle de la navigation marchande sur le détroit du Bosphore.

Cependant, par endroit on voit le contrôle des océans échapper aux puissances. On a relevé en 2011, 439 actes de piraterie. Les principaux foyers se trouvent en Asie aux abords du détroit de Malacca et à l’est de l’Océan indien au large de la Somalie et de l’Océan indien. Le sous-développement, l’affaiblissement des Etats ou encore la pollution et la surpêche peuvent expliquer la recrudescence des abordages. La taille des navires attaqués a de quoi impressionner. Le phénomène remet en cause la sécurité de certaines routes et de certains approvisionnements, si bien que les armateurs ont de plus en plus recours à des forces armées privées embarquées. Ils organisent avec les Etats des convois que des task forces cherchent à sécuriser. Certains armateurs font appel à des mercenaires pour protéger leurs navires. Désormais, le nombre d'actes de piraterie est de 375 (chiffres 2020). Cela est surprenant dans le contexte de la crise sanitaire.

Conclusion : En ce qui concerne la mer, la mondialisation souvent présentée comme un vaste mouvement de libéralisation des activités et de privatisation des biens, aboutit au contraire à un processus de nationalisation des espaces quitte à satisfaire des intérêts privés. Par exemple, la Convention des Nations Unies pour le Droit de la Mer répond à des objectifs contradictoires. Elle cherche à satisfaire les prétentions des Etats qui veulent prolonger leur territoire pour le protéger et en exploiter les ressources. Mais dans le même temps, elle vise à garantir la liberté des mers et la préservation des milieux marins. La réglementation sur les mers et les océans se renforce donc et seule la haute mer reste un espace où les entraves sont encore limitées. Ailleurs, les convoitises sont telles que les tensions et les conflits ne sont pas rares.