La
Russie : le pouvoir d'inquiéter
En Aout 2019, Emmanuel Macron
rencontre Vladimir Poutine avant
le G7 de Biarritz. Sanctionnée à
l'issue de l'annexion de la Crimée en 2015,
la Russie n'est alors pas conviée à ce sommet qui réunit les sept premières
puissances de la planète. Cet entretien semble annoncer un rapprochement entre
les deux pays.
Comment expliquer ce
réchauffement des relations entre le président Français et son homologue Russe
? Côté français, les raisons sont multiples mais cette invitation laisse
entendre que la Russie est un partenaire qui compte malgré tout. A l'heure où Vladimir Poutine semble plus
fréquentable, on peut s'interroger sur ses capacités à influencer les relations
internationales. Après la difficile transition postsoviétique est-elle
redevenue une superpuissance ? Peut-elle rivaliser avec les Etats-Unis et les
autres puissances majeures ?
I
Cette puissance aux atouts indéniables....
C'est le plus vaste pays du
monde avec une superficie de plus de
17 millions de km². Son territoire abrite de nombreuses ressources. On y trouve en effet un potentiel hydrographique
largement exploité, des minerais, des forêts et des hydrocarbures en quantité
dont l 'exploitation (archipel des
rentes) fait l'objet d'exportations. Gazprom est l'un des acteurs de cette
exploitation. La Russie est le premier fournisseur de gaz et de pétrole en
Europe. Si bien qu'elle peut menacer de réduire les approvisionnements si ses
intérêts sont menacés comme en 2009 au moment d'un premier rapprochement entre
l'Ue et l'Ukraine. C'est un aspect des capacités de
contrainte russes (hard power). Elle
possède des capacités d'innovation grâce à des complexes de recherche
disséminés sur l'ensemble du territoire. Ces centres développent de nouvelles
technologies dans le domaine de l'énergie et de l'armement ( archipel des savants). Sur le plan
militaire, la Russie dispose du troisième
budget mondial. Elle reste la deuxième
puissance nucléaire. Son armée compte plus de 700000 soldats. D'un point de
vue géopolitique, la Russie a hérité de sa victoire lors de la Seconde Guerre
mondiale, d'un siège de membre permanent
au Conseil de Sécurité de l'ONU. Elle possède donc un droit de véto sur les décisions prises.
Economie
de rente : en géographie, économie basée uniquement sur
l’exploitation de ressources naturelles offertes par le territoire.
II
...n'est plus ce qu'elle était.
Beaucoup de Russes sont dans
la nostalgie de la puissance passée.
Celle où, dans les années 70, l'URSS était
la deuxième économie mondiale, la première armée en budget et représentait
22 millions de km². Mais ç 'était avant sa dislocation
en 1991. La fragmentation de l'Union
des Républiques Socialistes Soviétiques donna alors naissance à quinze Etats.
Même réduit, ce territoire reste contraignant
en termes de milieux et d'immensité.
A cela s'ajoutent les difficultés financières liées à la transition économique et à la crise de 1998 . Dans ces conditions également, l'équipement du territoire est longtemps resté
difficile. Aujourd'hui, la Russie se situe au 10ème rang mondial en
termes de PIB la Russie, ce qui en
fait une puissance économique
intermédiaire. Le dynamisme
démographique du pays a aussi
longtemps été affecté par ce marasme économique. Entre 1991 et 2016, la population du pays a baissé passant
de 148 millions d'habitants à 146. Cette population est très inégalement répartie. Ce que révèle
encore aujourd'hui encore une carte des densités. La densité moyenne est
de 8.5 habitants au km² mais dans le
détail la "Russie Européenne"
et le chapelet de métropoles (archipel métropolitain) qui longent
l'axe transsibérien se distinguent encore des périphérie marginalisées.
Les difficultés économiques
ont aussi empêché d'entretenir une armée
de premier plan. Jusqu'en 2008, cette dernière a donné des signes de
délabrement. C'est l'une des explications possibles du naufrage du Koursk en août 2000. Depuis, sous
l'impulsion de Vladimir Poutine, l'armée Russe a été réformée mais aujourd'hui
encore quand on rapporte le budget de la
Russie au nombre d'habitants, on
constate que celui-ci est inférieur à celui de la France, du Royaume Uni et de
l'Allemagne. Son budget militaire ne représente que 3.8 % des dépenses
mondiales contre 35 % pour les Etats-Unis. La
Russie ne peut plus être qualifiée de superpuissance.
III
Elle entend bien cependant se manifester et défendre ses intérêts.
Arrivé au pouvoir en 1999, Vladimir
Poutine entend bien restaurer le lustre de la puissance Russe. Il le fait
de façon dirigiste dans un pays où
les structures sont, en apparence,
démocratiques (constitution fédérale, douma) mais où le pouvoir central se
débrouille pour exclure l'opposition
réelle du processus électoral au bénéfice du parti présidentiel
"Russie unie". La volonté de
contrôle s'exerce sur le territoire face aux tentations sécessionnistes comme en Tchétchénie
ou deux guerres se sont succédées en
1994-1996 et en 1999-2000. Mais la Russie entend rester influente dans son proche
étranger. C'est à dire dans les anciennes républiques d'URSS désormais
indépendantes. Elle y parvient parfois en jouant sur le passé commun. Par exemple, le Kazakhstan loue à la Russie sa base
spatiale de Baïkonour. Mais elle soutient aussi certaines minorités dans les
anciennes républiques voisines. Ce fut le cas en Abkhazie, en Géorgie (2008) et
plus récemment en Ukraine (2015) où le soutien aux sécessionnistes du Donbass a abouti à l'annexion de la Crimée en 2014.
En Europe, la Russie voit d'un mauvais œil s'entendre l'influence de l'OTAN et de l'Union européenne. Plusieurs pays anciens membres du Pacte de Varsovie sont désormais les alliés des Etats-Unis. Malgré cela la
Russie entend bien étendre son influence dans sa périphérie et dans l'ensemble
du monde. Symboliquement, la politique d'influence de la Russie peut passer par
l'organisation de grands événements
sportifs comme les JO en 2014 ou la coupe du monde de football en 2018. Il
s'agit alors de redorer l'image du pays. C'est un aspect de ce que Dimitri
Medvedev, ex président et premier ministre de Vladimir Poutine
appelle le sport power. Il y voit
aussi un moyen d'améliorer la santé publique. Par ailleurs, Sputnik
et RT sont des groupes de presse qui
relaient l'influence russe dans le monde. Des instituts culturels sont ouverts un peu partout dans le cadre du "monde russe", Russkiy Mir. En Europe, Vladimir Poutine soutient les partis et les pays dirigés
par des souverainistes et des
conservateurs. D'une manière générale, il s'agit de diffuser et
d'entretenir la vision russe de choses. Voila pour la diplomatie publique. Plus secrètement, on soupçonne le pays d'avoir
influencé les dernières élections
présidentielles aux EU dont Donald Trump est
sorti vainqueur. Sur cette question, il n' y a pas de certitudes mais le seul
fait de croire la Russie capable de le faire est un atout dans la manche de
Vladimir Poutine. On peut donc parler dans ce se domaine de capacité de diversion, c'est à dire de
capacité à induire l'ennemi en erreur et à entretenir l'incertitude grâce à de
la désinformation
ou à de la cyberpropagande. Plus grave
encore, on pense que la Russie est capable de mener des cyber-attaques . Elle
serait responsable de 113 attaques depuis 2007. A cette date, l'Estonie fut victime d'un
virus informatique. Plus classiquement, la Russie fait son retour au
Moyen-Orient après la guerre froide en intervenant directement, en Syrie pour soutenir Bachar al Assad. Cette
combinaison de moyens conventionnels
associés à des actes de piraterie informatique et des moyens de déstabilisation peut être
qualifiée de guerre hybride. La
Russie est capable de la mener.
Conclusion : La
Russie n'est plus une superpuissance.
Elle reste cependant une puissance qui
inquiète. Certes ses capacités économiques et militaires ne sont plus de
premier plan mais Vladimir Poutine sait protéger ses intérêts. Dans sa
stratégie, la Russie parvient à représenter
une menace qui dépasse ses capacités réelles. Dans ces conditions, il
semble aujourd'hui loin le temps où Emmanuel Macron
fustigeait les interférences russes dans la campagne présidentielle de 2017.
Les réalités géopolitiques semblent rendre nécessaire sinon un rapprochement du
moins une reprise de dialogue avec Vladimir Poutine quitte à répondre à
ses critiques.