La Russie : le pouvoir d'inquiéter

Le 16 novembre 2021 la Russie a détruit dans l’espace l’un de ses vieux satellites au moyen d’un missile. Cette opération a provoqué la mise à l’abri dans des capsules de transfert des astronautes de la station spatiale internationale. A l’évidence par cet acte la Russie cherche à manifester ses capacités.

La Russie actuelle peut-elle être considérée comme une puissance majeure ? A-t-elle les capacités d’influencer les relations internationales. Après la difficile transition postsoviétique est-elle redevenue une superpuissance ? Peut-elle rivaliser avec les Etats-Unis et les autres puissances ?

I Cette puissance aux atouts indéniables....

C'est le plus vaste pays du monde avec une superficie de plus de 17 millions de km². Son territoire abrite de nombreuses ressources. On y trouve en effet un potentiel hydrographique largement exploité, des minerais, des forêts et des hydrocarbures en quantité dont l 'exploitation (archipel des rentes) fait l'objet d'exportations. Gazprom est l'un des acteurs de cette exploitation. La Russie est le premier fournisseur de gaz et de pétrole en Europe. Si bien qu'elle peut menacer de réduire les approvisionnements si ses intérêts sont menacés comme en 2009 au moment d'un premier rapprochement entre l'Ue et l'Ukraine. C'est un aspect des capacités de contrainte russes (hard power). Elle possède des capacités d'innovation grâce à des complexes de recherche disséminés sur l'ensemble du territoire. Ces centres développent de nouvelles technologies dans le domaine de l'énergie et de l'armement ( archipel des savants). Sur le plan militaire, la Russie dispose du troisième budget mondial. Elle reste la deuxième puissance nucléaire. Son armée compte plus de 700000 soldats. D'un point de vue géopolitique, la Russie a hérité de sa victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, d'un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. Elle possède donc un droit de véto sur les décisions prises.

Economie de rente : en géographie, économie basée uniquement sur l’exploitation de ressources naturelles offertes par le territoire.

II ...n'est plus ce qu'elle était.

Beaucoup de Russes sont dans la nostalgie de la puissance passée. Celle où, dans les années 70, l'URSS était la deuxième économie mondiale, la première armée en budget et représentait 22 millions de km². Mais ç 'était avant sa dislocation en 1991. La  fragmentation de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques donna alors naissance à quinze Etats. Même réduit, ce territoire reste contraignant en termes de milieux et d'immensité. A cela s'ajoutent les difficultés financières liées à la transition économique et à la crise de  1998 . Dans ces conditions également, l'équipement du territoire est longtemps resté  difficile. Aujourd'hui, la Russie se situe au 10ème rang mondial en termes de PIB la Russie, ce qui en fait une puissance économique intermédiaire. Le dynamisme démographique du pays a  aussi longtemps été affecté par ce marasme économique. Entre 1991 et  2016, la population du pays a baissé passant de 148 millions d'habitants à 146. Cette population est très inégalement répartie. Ce que révèle encore aujourd'hui encore une carte des densités. La densité moyenne est de  8.5 habitants au km² mais dans le détail la "Russie Européenne" et le chapelet de métropoles (archipel métropolitain) qui longent l'axe transsibérien se distinguent encore des périphérie marginalisées.

Voir carte

Les difficultés économiques ont aussi empêché d'entretenir une armée de premier plan. Jusqu'en 2008, cette dernière a donné des signes de délabrement. C'est l'une des explications possibles du naufrage du Koursk en août 2000. Depuis, sous l'impulsion de Vladimir Poutine, l'armée Russe a été réformée mais aujourd'hui encore quand on rapporte le budget de la Russie au nombre d'habitants,  on constate que celui-ci est inférieur à celui de la France, du Royaume Uni et de l'Allemagne. Son budget militaire ne représente que 3.8 % des dépenses mondiales contre 35 % pour les Etats-Unis. La Russie ne peut plus être qualifiée de superpuissance.

III Elle entend bien cependant se manifester et défendre ses intérêts. 

Arrivé au pouvoir en 1999, Vladimir Poutine entend bien restaurer le lustre de la puissance Russe. Il le fait de façon dirigiste dans un pays où les structures sont, en apparence, démocratiques (constitution fédérale, douma) mais où le pouvoir central se débrouille pour exclure l'opposition réelle du processus électoral au bénéfice du parti présidentiel "Russie unie". La volonté de contrôle s'exerce sur le territoire face aux tentations sécessionnistes comme en Tchétchénie ou  deux guerres se sont succédées en 1994-1996 et en 1999-2000. Mais la Russie entend rester influente dans son proche étranger. C'est à dire dans les anciennes républiques d'URSS désormais indépendantes. Elle y parvient parfois en jouant sur le passé commun. Par exemple, le Kazakhstan loue à la Russie sa base spatiale de Baïkonour. Mais elle soutient aussi certaines minorités dans les anciennes républiques voisines. Ce fut le cas en Abkhazie, en Géorgie (2008) et plus récemment en Ukraine (2015) où le soutien aux sécessionnistes du Donbass a abouti à l'annexion de la Crimée en 2014.  En Europe, la Russie voit d'un mauvais œil s'entendre l'influence de l'OTAN et de l'Union européenne. Plusieurs pays anciens membres du Pacte de Varsovie sont désormais les alliés des Etats-Unis. Malgré cela la Russie entend bien étendre son influence dans sa périphérie et dans l'ensemble du monde. Symboliquement, la politique d'influence de la Russie peut passer par l'organisation de grands événements sportifs comme les JO en 2014 ou la coupe du monde de football en 2018. Il s'agit alors de redorer l'image du pays. C'est un aspect de ce que Dimitri Medvedev, ex président et premier ministre de Vladimir Poutine appelle le sport power. Il y voit aussi un moyen d'améliorer la santé publique. Par ailleurs, Sputnik et RT sont des groupes de presse qui relaient l'influence russe dans le monde. Des instituts culturels sont ouverts un peu partout dans le cadre du "monde russe",  Russkiy Mir. En Europe, Vladimir Poutine soutient les partis et les pays dirigés par des souverainistes et des conservateurs. D'une manière générale, il s'agit de diffuser et d'entretenir la vision russe de choses. Voila pour la diplomatie publique. Plus secrètement, on soupçonne le pays d'avoir influencé les dernières élections présidentielles aux EU dont Donald Trump est sorti vainqueur. Sur cette question, il n' y a pas de certitudes mais le seul fait de croire la Russie capable de le faire est un atout dans la manche de Vladimir Poutine. On peut donc parler dans ce se domaine de capacité de diversion, c'est à dire de capacité à induire l'ennemi en erreur et à entretenir l'incertitude grâce à de la désinformation ou à de la cyberpropagande. Plus grave encore, on pense que la Russie est capable de mener des cyber-attaques . Elle serait responsable de 113 attaques depuis 2007.  A cette date, l'Estonie fut victime d'un virus informatique. Plus classiquement, la Russie fait son retour au Moyen-Orient après la guerre froide en intervenant directement, en Syrie pour soutenir Bachar al Assad. Cette combinaison de moyens conventionnels associés à des actes de piraterie informatique et des moyens de déstabilisation peut être qualifiée de guerre hybride. La Russie est capable de la mener. 

Conclusion : La Russie n'est plus une superpuissance. Elle reste cependant une puissance qui inquiète. Certes ses capacités économiques et militaires ne sont plus de premier plan mais Vladimir Poutine sait protéger ses intérêts. Dans sa stratégie, la Russie parvient à représenter une menace qui dépasse ses capacités réelles. Dans ces conditions, il semble aujourd'hui loin le temps où Emmanuel Macron fustigeait les interférences russes dans la campagne présidentielle de 2017. Les réalités géopolitiques semblent rendre nécessaire sinon un rapprochement du moins une reprise de dialogue avec Vladimir Poutine quitte à répondre à ses critiques.