La maîtrise des voies de communication : les « nouvelles routes de la soie ».

Le 30 décembre 2021, Ursula Von der Leyden a annoncé la mise en place du programme « Global Gateaway », un vaste programme de financement d’infrastructures de transport destiné à concurrencer les « nouvelles routes de la soie » chinoises.

En quoi consiste le projet des « nouvelles routes de la soie » ? De quelle façon ce programme doit-il contribuer à renforcer la puissance chinoise? Quelles sont les éventuelles limites d’un tel projet ?

I Présentation.

En 2013, le président chinois Xi Jinping, secrétaire général du parti communiste chinois (PPC) a lancé un programme intitulé les "nouvelles routes de la soie". Ce projet colossal doit aboutir en 2049, à l’occasion du 100ème anniversaire de la proclamation de la République Populaire de Chine. Appelé aussi ORBO (One Belt, One Road) ou BRI (Belt and Road Initiative), ce projet vise à la création de longs corridors de développement Il comprend donc des voies terrestres et maritimes. L’ensemble du réseau s’entendrait sur plus de 10 000 km et concernerait entre 60 et 64 pays. Concrètement, la Chine s’associe à des États pour compléter le réseau ferroviaire et routier. Pour l’instant, l’accord établi avec la France ne définit pas encore de priorités. Le projet rend nécessaire la réalisation d’infrastructures de rupture de charge. Il s’agit pour commencer de ports. La Chine a établi de nombreux partenariats avec des pays riverains de l’océan indien, de la mer rouge ou de la mer de Chine pour réaliser des infrastructures portuaires ou agrandir celles qui préexistaient. Dans certains cas, les accords sont complétés par des clauses militaires. C’est ainsi par exemple, que la Chine a ouvert une base militaire à Djibouti, sa première base militaire extraterritoriale. L’ensemble de ces réalisations s’inscrit dans le cadre de la stratégie du «collier de perles».  Des ports secs sont aussi nécessaires à la jonction des voies ferrées pour le passage d’un pays à l’autre quand l’écartement des rails n’est pas le même. Pour finir, le projet de nouvelles routes de la soie prévoit la réalisation d’oléoducs et de gazoducs pour le transit des hydrocarbures.

Corridor de développement : espace combinant infrastructures de transport et activités productives permettant le développement économique d'un territoire.

Port sec : terminal multimodal (ferroviaire, routier) connecté à un port maritime pour la redistribution des marchandises.

II Un accord gagnant …

Pour la République Populaire de Chine les objectifs sont multiples. Il s’agit pour commencer de sécuriser ses exportations et ses approvisionnements. La Chine souhaite ainsi garantir son accès à toutes les ressources nécessaires à sa population et à son économie. Cela va des sols agricoles aux sources d’énergie en passant par les terres rares indispensables aux productions high-tech. Elle trouve ces ressources en Afrique, en Europe, en Asie et en Amérique latine. A l’instar de l’ensemble du monde, l’Europe est un débouché pour les productions chinoises. La Chine cherche donc à améliorer et à assurer les capacités d’exportation vers le vieux monde. Les marchandises doivent pouvoir faire Yiwu-Londres en 18 jours par le rail par exemple.

La RPC cherche également à créer des couloirs économiques dynamiques. Elle a tout intérêt à voir ses partenaires économiques se développer pour délocaliser une partie de ses activités ou pour tout simplement s’assurer des marchés solvables. L’actuel développement rapide de l’Éthiopie est, de ce point de vue là, très intéressant. Dans ce pays, des zones franches accueillent les activités d’investisseurs chinois profitant de facilités fiscales et d’une main d’œuvre bon marché.

Enfin, la Chine en profite pour nouer des alliances diplomatiques durables avec les États concernés. On peut citer le Sri Lanka ou encore le Pakistan où le port de Gwadar s’avère stratégique pour un accès à l’océan indien. Le Pakistan par exemple est membre de l’organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui réunit 6 Etats membres et une dizaine d’observateurs autour de la Chine et de la Russie.

Autant d’éléments qui permettent de penser que les « nouvelles routes de la soie » doivent contribuer au renforcement du soft et du hard power de la puissance chinoise.

Zones franches : zones équipées, garantissant un faible niveau de fiscalité et une main d’œuvre bon marché pour accueillir des investisseurs étrangers.

Terres rares : ensemble de 17 minerais nécessaires à la production d'objet de haute technologie.

III ...-gagnants ?

A chaque accord signé, Xi Jingping souligne qu’il s’agit d’un accord gagnant-gagnant. Pourtant des voix s’élèvent pour critiquer certains aspects de ce projet.

Du point de vue des finalités, les pays dont la Chine convoite les ressources ont parfois le sentiment qu’un véritable pillage s’organise. On peut comprendre ainsi les crispations que l’on observe désormais concernant l’accaparement des ressources foncières dans les régions agricoles du monde, comme en France ou à Madagascar. Ailleurs, ce sont les conditions d’exploitation de ces richesses qui posent problème comme en Centrafrique avec le diamant ou en République Démocratique du Congo avec le tantale. Désormais en Afrique, les protestations se multiplient contre les problèmes sociaux et environnementaux liés aux activités minières menées par des entreprises chinoises. En 2014, le Vietnam pourtant communiste a connu également des flambées de violence contre les intérêts chinois.

Certains Etats ayant donné leur accord à des projets d’investissement chinois font désormais machine arrière. C’est par exemple le cas de la Malaisie qui renonce au financement d’équipements ferroviaires et gaziers pour protéger sa souveraineté.

D’autres puissances manifestent leur inquiétude. La Russie pour commencer, qui craint de voir son rôle limité à la fourniture de ressources ou au transit des marchandises. Elle voit aussi d’un mauvais œil, la Chine empiéter sur son proche étranger. Mais Vladimir Poutine trouve malgré tout un intérêt économique à ce projet. Un fonds d'investissement commun russo-chinois de 10 milliards de $ a donc été créé. La création d'une route de la soie des glaces et d’une zone de libre échange sont envisagées.

L’Inde se sent menacée et encerclée par le contournement des « nouvelles routes de la soie » et par la stratégie du « collier de perles ». L’Inde s’est donc associée au Japon pour créer le corridor de croissance Asie-Afrique surnommé « route de la liberté » Elle s’est également équipée pour devenir la quatrième flotte de guerre du monde.

Enfin, les États-Unis ne sont pas indifférents à ce qu’ils perçoivent comme les manifestations d’un impérialisme chinois. En 2018, le congrès a fait de la lutte contre l’extension de l’influence chinoise une priorité de la défense nationale. Pour l’instant, les pays membres de l’OTAN en Europe ne sont pas alignés sur cette politique mais on n’est pas à l’abri de les voir en faire autant.

Pour finir, on peut se demander, dans un contexte de ralentissement de sa croissance et de guerre commerciale, si la Chine aura les reins assez solides pour financer ce projet. En effet, le financement de ce projet est estimé entre 4000 et 26 000 milliards de dollars. La Chine s’est donc associée à de nombreux pays pour créer la Banque Asiatique d'investissement pour les Infrastructures (BAII).

Conclusion : Avec le projet de nouvelles routes de la soie, la Chine ne se contente plus de l’adage selon lequel « qui tient la mer tient le monde ». Elle développe également sa maîtrise des voies de communication sur les continents. Grâce à une telle influence, elle peut prétendre ainsi à devenir une puissance mondiale majeure. Elle présente les accords qu’elle signe comme représentatifs du multilatéralisme dans lequel elle s’inscrit. Cependant, sa politique menace des intérêts. Elle n’est donc pas à l’abri de rencontrer quelques obstacles face au développement de sa stratégie.