Entre multilatéralisme et unilatéralisme : l'expression de la puissance américaine depuis la Guerre froide.

Pendant, plus de quarante ans, la guerre froide a opposé dans un conflit idéologique deux puissances majeures et leurs modèles respectifs. En décembre 1989, à l’occasion du sommet de Malte, M. Gorbatchev et G. Bush père, déclaraient la fin de ce conflit. Jusqu’alors, l’étude des relations internationales s’inscrivait dans la logique de cet affrontement bipolaire mais l’implosion de l’URSS laissait les Etats-Unis endosser seuls le rôle de superpuissance.  

Comment ont évolué les enjeux de puissance de 1989 à nos jours ? Quelles visions du monde en sont le reflet ou le moteur ?

Géopolitique : étude des relations internationales et de tout ce qui concerne les rivalités de pouvoir ou d’influence sur des territoires et les populations qui y vivent. Elle mobilise la géographie et l’histoire.

Superpuissance : puissance capable de mobiliser tous les aspects de la puissance pour imposer sa volonté aux autres.

I   Après le monde bipolaire de la Guerre Froide,  la tentation d'un monde unipolaire...

La puissance d’un Etat est déterminée par sa capacité à tirer parti de la combinaison de différents facteurs (poids démographique, superficie, ressources naturelles, richesse économique, capacités militaires, poids dans les institutions internationales, rayonnement culturel, capacité d'innovation) pour imposer  sa volonté aux autres Etats. [Joseph Nye, Raymond Aron au sujet de la puissance offensive, Max Weber]. Pendant, la guerre froide  on pouvait distinguer deux superpuissances capables d’affirmer leur influence partout dans le monde. Au sortir de la guerre froide, les EU pouvaient être tentés de s’affirmer comme une hyperpuissance, pour reprendre l’expression de l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, c’est à dire une puissance sans rivale, capable d’imposer son hégémonie, sa domination sans partage. Le 11 septembre 1990, Georges Bush père annonce l'instauration d'un nouvel ordre mondial (" New World Order "). Il désigne ainsi la mise en place d’un monde de paix et d'harmonie à l'issue de la guerre froide. Implicitement, les EU apparaissent dans ce discours comme les garants reconnus par tous les gouvernements et toutes les institutions de cette nouvelle ère. Il faut dire que le contexte semble alors lui donner raison. Pendant l’automne 1990, se forme une vaste coalition autour des EU. Elle est mandatée par l’ONU pour rétablir les droits du Koweït envahi par l’Irak en aout. C’est la guerre du golfe. La tentation d’une hégémonie est alors grande. Certains politologues développent alors la « théorie de l’empire global » selon laquelle l’ordre mondial pourrait être administré de façon unilatérale par une seule puissance : les Etats-Unis.

Hyperpuissance : puissance sans rivale.

Hégémonie : puissance sans partage.

II ... est contestée depuis 2003 

Mais cette théorie est depuis lors largement contestée. D’abord par certains responsables américains qui, à différents moments, ont vu dans une attitude hégémonique des EU une menace pour le pays sachant qu’elle ne manquerait pas de susciter des haines et des rancœurs de par le monde. C’est l’analyse faite par Henry Kissinger ou par Bill Clinton dans son deuxième mandat à l’occasion duquel il prônait une politique étrangère plus « modeste » pour les EU. Georges Bush au début de son premier mandat n’était pas très éloigné de cette attitude, on l’oublie parfois.

L’hégémonie américaine a été également contestée par les faits puisque les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol des EU ont montré que le pays était vulnérable face aux attaques d’une nébuleuse terroriste internationale : Al Qaida.

Enfin, cette domination ne satisfait pas les autres puissances désireuses de faire entendre leurs voix. Certains comme H. Védrine promeuvent le principe d’un monde multipolaire. Dans ce cas de figure, le monde serait géré de façon multilatérale. C'est la vision du monde qui s’est manifestée au début de la crise irakienne en 2003,  lorsque la France, comme l’Allemagne et la Russie, a dénoncé le projet d’intervention sans mandat de l’ONU. Elle a alors menacé de recourir au droit de veto.  Au Venezuela, Hugo Chavez conteste ce qu'il considère comme de l'impérialisme américain en Amérique latine.

  Mais la question du cadre de ce multilatéralisme n’est pas réglée. La crise irakienne en 2003 a montré les faiblesses de l’ONU qui n’a pu empêcher une intervention prétendument préventive et illégale des Etats-Unis. Dans les institutions onusiennes, des puissances économiques comme l’Allemagne et le Japon aimeraient avoir autant de poids que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité.

Il existe par ailleurs d’autres instances de concertation internationale. Le G20, par exemple, succède en 2008 au G6 (France, EU, RFA, RU, Italie, Japon en 1975), et au G8 (Canada 1976 et Russie 1998). Il associe aux pays précédemment cités l’Afrique du Sud, l’Inde, le Brésil, la Chine, le Mexique, l’Australie, la Corée du Sud, l’Indonésie, l’ONU et l’UE. Mais la légitimité de cet espace de discussion est contestée par les pays qui n’y participent (G77 des pays du Sud) et les décisions prises n’ont pas valeur d’obligations mais d’engagements. L’Union européenne, elle, a un autre problème. Première puissance économique et commerciale, elle ne parvient pas, malgré la création récente d’un poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a parler d’une seule et même voix sur la scène internationale.

    III La question est de savoir si aujourd’hui les Etats-Unis sont  dans la rupture ou dans la continuité.

La logique de la politique étrangère de Donald Trump est parfois difficile à cerner. On peut lire le slogan "America first" comme le retour à une forme d'isolationnisme. En cela, l'annonce récente du retrait de Syrie, quitte à abandonner les Kurdes n'est pas en rupture avec la politique étrangère de Barack Obama qui à partir de 2013 souhaitait moins s'investir dans la région du Moyen-Orient. Il parle alors de "leading from behind". Il laisse ainsi la France et le RU intervenir en Libye face à Mouammar Khadafi.

Plusieurs de ses mesures peuvent donner le sentiment d'un refus du multilatéralisme. Le retrait des accords sur le climat de la COP 21, la sortie des Etats-Unis de l'UNESCO et la remise en cause des accords de Genève sur le nucléaire iranien, la négociations d'accords commerciaux bilatéraux en dehors du cadre de l'OMC donnent ainsi l'impression d'une remise en cause des formes de coopération internationale.

Dans le même temps, il demande plus d'implication des autres puissances dans le financement de l'OTAN, de l'ONU. Il relance même des formes de guerres commerciales.

Pour l'instant l'Union européenne peine à répondre de façon concertée. Là où les Etats-Unis se font plus discrets, la Russie et la Chine jouent de leur capacité d'influence ou interviennent directement comme en Syrie ou sur le continent africain, imposant ainsi à Donald Trump une forme de multilatéralisme de fait.

Ce dernier doit en tenir compte ce qui explique les hésitations de sa politique étrangère marquée par les démonstrations de force face à la Corée du Nord suivies de poignées de mains  avec Kim Jong-Un à la frontière entre les deux Corées. La diplomatie américaine est aussi ponctuée également par de décisions unilatérales rapidement démenties par les faits. Comme lorsqu'il a annoncé le retrait des troupes américaines de Syrie avant d'annoncer la mort de Al-Baghadi à la suite d'un raid américain en Syrie. Entre unilatéralisme et multilatéralisme, D. Trump était avant tout imprévisible.

Joe Biden il semble plus favorable au multilatéralisme comme le prouve sa promesse de réintégrer l'accord de Paris sur le climat.  Mais la vente aux Australiens de sous-marins américains à la barbe des français, sans les consulter sur la question qui espéraient un énorme contrat laisse entendre que quelque-soit le président les Etats-Unis défendent avant tout leurs intérêts. Les conditions du retrait en Afghanistan font penser que les Etats-Unis se sont peu inquiétés des conséquences de cette décision pour leurs partenaires.

Isolationnisme : politique consistant à limiter son influence et son ingérence à l'étranger. A l'origine, à la fin du 19ème siècle, cela consistait pour les Etats-Unis à limiter leur implication en Europe tout en contrôlant leur proche étranger : le continent américain.

Conclusion : Il serait réducteur et naïf de réduire la politique étrangère des Etats-Unis à de l'unilatéralisme ou du multilatéralisme. Il apparaît qu'en fonction des événements et de la pression de l'opinion publique américaine, les Etats-Unis, première puissance mondiale, font cavalier seul ou en appellent à la coopération internationale. D'une façon plus générale, si un monde unipolaire n’est certainement pas souhaitable, il apparaît qu'un monde véritablement multipolaire est difficile à mettre en œuvre.