Les
nouvelles technologies : puissance des géants du numérique (GAFAM, BATX…),
impuissance des États et des organisations internationales ?
Activité 1 :
A l'heure où l'Education nationale encourage l'usage des réseaux
sociaux pour communiquer, vous devez convaincre un ou une camarade de se
désabonner à facebook.
ou
Activité 2 :
Mark Zuckerberg est convoqué
par le congrès pour exposer son projet de crypto-monnaie le libra.
Très vite les sénateurs et représentants l'interrogent sur les dérives de son
entreprise facebook. Le fondateur du réseau
social se tourne de temps à autre pour
obtenir l'aide de ses avocats. Vous êtes membre du congrès. Préparez vos
questions. Vous êtes Mark Zuckerberg préparez vos
réponses avec vos défenseurs.
Leçon :
En 2017, le Danemark a nommé
Casper Klynge, ambassadeur numérique auprès
des géants de la Silicon Valley.
Cette décision en dit long sur l'importance économique et peut être politique
prise par les GAFAM, Google, Amazon, Facebook, Apple
et Microsoft que l'on appelle aussi big techs.
Peut-on comparer la
puissance des GAFAM à celle des Etats ? Cette puissance connait-elle des
limites ?
I
La puissance des GAFAM repose sur ....
a)... leur capacité
d'innovation ou d'agrégation des innovations...
Ce sont les capacités
d'innovation qui on fait la richesse et
la puissance des GAFAM. Pour Google
c'est l'invention de l'algorithme Pagerank qui lui a
permis de dominer rapidement le marché des moteurs
de recherche. Le retour en grâce d'Apple
s'explique sur une stratégie misant sur l'innovation, le design, le marketing
et l'obsolescence programmée pour
créer un lien exclusif entre les clients et l'entreprise. Le seul mérite de Mark
Zuckerberg est d'avoir utilisé les ressources
informatiques de son temps (2004) pour dynamiser le trombinoscope des élèves
d'Harvard, son université. Il est a l'origine du
succès d'un modèle économique où le réseau social recueille des données pour en
tirer profit. Créée en 1994, Amazon qui
ne vendait que des livres à l'origine tarde à prospérer. Mais à partir de 2008,
l'entreprise s'impose progressivement pour devenir leader des plateformes commerciales. Microsoft est une firme plus classique
puisqu'à l'origine elle produisait des PC et des systèmes d'exploitation.
Depuis, elle a diversifié ses activités. Aujourd'hui, les GAFAM investissent
dans les câbles transocéaniques par
lesquels transitent 99% des flux d'information à l'échelle mondiale. En effet,
après avoir maîtrisé les outils (google search et google chrome), puis
les contenus (rachats de youtube par google - création d'amazon
prime), les GAFAM cherchent à contrôler les canaux de transmission.
Aujourd'hui, elles occupent 50% du marché et pourraient détenir 90% des parts
d'ici 2025. Le câble Marea,
financé par Microsoft et Facebook, entre les
États-Unis et le Portugal a un débit de 160 térabits par seconde. Dunant entre la côte est américaine à la
France en 2020, financé par Google et
Orange devrait atteindre les 300
térabits/s. Pour demain, les GAFAM accordent la priorité de leurs
investissements à l'intelligence
artificielle, aux véhicules
autonomes et aux biotechnologies inspirées
souvent par les thèses du transhumanisme.
Transhumanisme : théories imaginant possible
l'amélioration de l'homme par l'homme.
b) ...leur poids économique
"Si c'est gratuit
c'est toi le produit".
"Deux vaches dans
un champs sont-elles les clientes du fermier ? " Tristan Nitot.
La richesse des GAFAM est désormais comparable à celles des Etats. En
2018, Apple puis Amazon sont devenues les premières entreprises dont la capitalisation boursière a dépassé les
1000 milliards de $. Même si cela n'était pas tout à fait pertinent, le journal
Le Monde a alors comparé cette capitalisation boursière au PIB de la France en 2017 qui s'élevait
à peu près au même montant. Aujourd'hui, la capitalisation boursière cumulée de
Google, Apple, Facebook,
Amazon et Microsoft est supérieure à 4000 milliards de $. Pour beaucoup, la
prospérité de ces entreprises repose sur les recettes publicitaires et sur la vente de données sur le marché du big data.
Capitalisation
boursière : valeur cumulée des actions d'une entreprise cotées en
bourse.
PIB
:
produit intérieur brut. Valeur ajoutée totale des biens et des services produit
sur un territoire national. Pour faire simple, c'est un indicateur des
richesses produites sur le territoire d'un pays.
c) ....leur capacité
d'influence sur les individus.
Certains le considèrent
comme un bien d'autres comme un mal, mais une chose est sûre c'est que
désormais les outils proposés par les GAFAM modifient notre façon de pensée. La rapidité des réponses données
aux questions posées limitent le recours à la mémoire. La sollicitation permanente par différents stimuli modifie
nos réflexes et nos capacités de concentration. Par
ailleurs, la dictature du "like" et du
nombre de vues modifie les rapports sociaux et la définition du mot ami. Pour
finir, les réseaux sociaux ont beau mettre en avant la liberté d'expression,
ils enferment les usagers dans leur sphère de pensée au moyen d'algorithmes qui
évaluent les liens susceptibles de les intéresser. On parle à ce sujet de
phénomène de bulle de filtrage. Pour
finir, les mêmes réseaux sont capables de censurer
des œuvres d'art considérées comme moralement choquantes tout en laissant
diffuser des propos racistes, antisémites et homophobes au nom de la liberté d'expression.
d) le rôle politique et
géopolitique.
Plusieurs affaires récentes
ont révélé que les outils développés par les GAFAM pouvaient avoir un impact
sur la vie politique de certains Etats.
Ainsi, au moment du
soulèvement en Iran en 2009, puis du printemps arabe en 2011 et de la
contestation algérienne en 2019, les manifestants qui aspiraient à la liberté
ont utilisé les réseaux sociaux pour
relayer leurs actions.
Mais, ces outils peuvent
aussi apparaître comme une menace pour la démocratie. Ainsi l'entreprise de
communication politique Cambrigde Analytica a
aspiré les données de 50 millions d'utilisateurs de facebook
pour prédire et influencer leur vote. Elle a ainsi renforcé l'efficacité de la
campagne électorale de Donald Trump et la
communication des pro-Brexit au Royaume Uni.
Ce scandale intervient à
l'heure où la Russie est soupçonnée d'ingérence dans le cours des élections
américaines en aidant wikileaks à divulguer des
courriels échangés par les Démocrates et en relayant des informations
susceptibles de gêner la candidature d'Hillary Clinton. Si facebook est devenu, semble-t-il contre
la volonté de ses dirigeants, un enjeu de la cyberguerre
souterraine que se livrent certaines puissances, il apparaît par contre que les
GAFAM transmettent de façon tout à fait consentante
des données à la NSA, agence de surveillance américaine, concernant près de
50 000 comptes. Cela concerne, Google, facebook et Microsoft. Apple s'est montré bien moins coopératif lorsque les services de
renseignement américains ont demandé à obtenir la clé de cryptage qui donnait l'accès à des messages échangés par des
personnes suspectées de terrorisme.
e) Les GAFAM pourraient
bientôt concurrencer la souveraineté des Etats.
[Les Etats] " Ces
vieilles institutions qui aiment la loi" Larry Page, cofondateur de Google
Pour finir, la souveraineté des Etats semble remise en
cause par les GAFAM. Certains responsables de ces entreprises contestent à
l'Etat sa capacité à réguler et à collecter l'impôt au nom d'un
libéralisme libertarien qui réclame toujours moins
d'Etat. A leur yeux,
la liberté individuelle est la seule valeur cardinale à l'origine des richesses
et de l'épanouissement humain. C'est le point de vue de certains responsables
de google
et de facebook.
C'est donc sans complexe que certains d'entre eux s'attaquent à la souveraineté des Etats. Par exemple, Marc Zuckerberg a annoncé récemment la volonté des son
groupe associé à un certain nombre de partenaires de créer une monnaie virtuelle, le libra. Cela ne va pas sans susciter quelques réactions. ...
Libertarianisme :
idéologie libérale radicale qui prône la liberté absolue des individus face à
l'état dont le rôle doit se limiter au minimum.
II
Les limites de la puissance des GAFAM.
a) Les Etats n'entendent pas
se laisser faire...
Récemment Mark Zuckerberg a été auditionné par le congrès américain.
Il devait y exposer son projet libra mais il a
surtout été interrogé sur les manquements de son entreprise au moment de
l'affaire Cambridge Analytica et des ingérences
supposées de la Russie dans les élections présidentielles américaines. C'est
très timidement qu'il a déclaré que le libra ne
saurait être mis en circulation sans l'autorisation du congrès américain (sic).
Pour en apprendre plus vous pouvez visionner ceci : Comment
Trump a manipulé l'Amérique ?
Dans le même temps, les
autorités américaines envisagent sérieusement de mettre en œuvre la loi antitrust pour casser l'oligopole constitué par les GAFAM au
nom de la libre concurrence.
Pour faire participer les
géants du numérique au même titre que les entreprises traditionnelles, la
France a annoncé en juillet 2019, la mise en œuvre d'une taxe de 3% sur le
chiffre d'affaire des entreprises offrant des services numériques si elles
dégagent des chiffres d'affaire supérieurs à 750 millions de dollars dans le
monde et à 25 millions en France. L'OCDE
envisage de s'engager dans la même direction.
C'est pour protéger les
intérêts de ces entreprises américaines que Donald Trump,
a décidé récemment de surtaxer les importations de produits français comme le
vin ou les whiskies britanniques et les liqueurs italiennes.
Pour l'instant, l'Union
européenne peine à harmoniser sa politique fiscale dans ce domaine. Par
contre, elle a adopté deux
réglementations concernant pour l'une les données personnelles pour l'autre le
droit d'auteur. Dans le premier cas, la réglementation
générale sur la protection des données (RGPD) entrée en vigueur en 2018,
protège les données personnelles des usagers. Par exemple, les entreprises du
numériques doivent obtenir le consentement des usagers pour collecter des
données les concernant. Les réseaux sociaux doivent s'assurer du consentement
des parents pour que des mineurs au dessous d'un certain âge puissent les
utiliser.
Dans le deuxième cas, la directive européenne sur le droit d'auteur
entrée en vigueur en 2019 fait bénéficier les personnes physiques ou morales
qui participent plus ou moins directement (droit voisin) à la création d'une
œuvre intellectuelle et artistique d'une protection des droits patrimoniaux et moraux. Elle vise en
particulier des sociétés comme google qui
parvenaient à faire des recettes publicitaires en ne faisant que relayer des
productions externes.
En juin 2021, le sommet du G7 a signé un accord
historique prévoyant
un taux minimum de taxation sur les
sociétés dans tous les pays qui vise en particulier les géants du numérique.
On constate donc que face
aux capacités techniques et économiques des GAFAM, les Etats et les
organisations internationales entendent bien jouer un rôle de régulateur pour
protéger les usagers et les auteurs. De l'autre côté de l'Atlantique, certains
y voient une forme de protectionnisme
réglementaire.
Oligopole :
situation où le marché est dominé par un faible nombre de vendeurs.
Loi
antitrust : loi visant à lutter contre la concentration économique
au nom de la libre concurrence
OCDE :
Organisation de Coopération et de Développement Economique. Organisation
d'étude économique réunissant les pays développés. Elle succède à l'OECE qui
était chargée de l'aide du plan Marshall.
b).. tandis que la
concurrence se manifeste.
Désormais, les GAFAM ne sont
plus seuls à dominer le marché du numérique. Aux Etats-Unis pour commencer,
d'autres acteurs jouent désormais un rôle majeur. On peut citer Tesla, Uber, Netflix et Airbnb. On les
appelle aussi TUNA. Ces géants du
numérique modifient actuellement les conditions du marché du travail, du
logement et des biens culturels.
Il faut tenir compte
également de nouveaux acteurs du numérique. L'acronyme BATX désigne aujourd'hui l'ensemble constitué par le moteur de
recherche chinois Baidu,
la plateforme d'achat Alibaba,
le fournisseur d'application Tencent et le
producteur informatique Xiaomi.
Il ne faudrait pas oublier le groupe Huaiwei dont la maîtrise de la 5G inquiète les autorités américaines.
c) Face aux faiblesses des
GAFAM...
L'histoire récente des
géants du numérique permet de constater
que les capacités d'innovation ne les mettent pas toujours à l'abri face aux
attaques de hackers ou d'individus mal intentionnés. Mark Zuckerberg reste incapable de dire depuis quand son
entreprise est au courant des manœuvres de Cambridge Analytica.
En 2013, 3 milliards de compte de Yahoo ! ont été
affectés par une cyberattaque. En 2017, Uber a avoué s'être fait volé les
informations de 57 millions d'utilisateurs et conducteurs. En 2018, Amazon.com soupçonnait certains salariés
de vendre des données confidentielles à des entreprises.
d)... les individus ont
aussi leur rôle à jouer.
De l'intérieur de ces
entreprises des voix se font entendre. Chris Hughes co-fondateur de facebook appelle désormais au démantèlement de l'entreprise
pour en limiter la puissance. Certains salariés choqués par les dérives des
sociétés qui les emploient osent informer les autorités et l'opinion publique.
C'est un employé de Gambridge analytica
qui a dénoncé les tests réalisés par cette société sur des échantillons
stratégiques de l'opinion publique sélectionnés grâce à facebook.
Des salariés de Microsoft refusent
que les services de l'immigration américains utilisent le cloud
Azure.
En tant qu'usager, tout
individu peut aussi se protéger face au GAFAM. Pour commencer; en se désabonnant. Ensuite, en lisant et en
validant ou non les clauses
d'utilisation des services numériques. Pour finir, en utilisant des alternatives comme les moteurs de
recherche sans traces et historiques de recherche comme Duckduckgo ou Qwant, les systèmes d'exploitation
Linux, ou les logiciels alternatifs vraiment offerts de l'association framasoft.
Conclusion :
Si les GAFAM n'ont pas tous les attributs de la
puissance, elles n'en demeurent par moins des entreprises extrêmement influentes sur la scène
internationale. Les citoyens, les Etats et les organisations internationales
sont en droit de s'inquiéter de leur
capacité à collecter des données, à les diffuser sans forcément en partager le
revenu. Au jour d'aujourd'hui, leur puissance peut encore être limitée.
Encore faut-il s'en donner les moyens à titre individuel, au niveau des Etats
ou des instances de gouvernance internationales.
Auteur : Manuel Nérée