Crises et fin de la démocratie : le Chili de 1970 à 1973
Le Chili de 1970 est une démocratie qui mène une expérience socialiste très avancée. L’échec
de cette tentative originale était-il une fatalité ?
Socialisme : idéologie
attachée à l’égalité et à l’amélioration du sort des plus humbles. Elle
préconise notamment pour y parvenir, la mutualisation des moyens de production.
Certains socialismes comme le marxisme ou l’anarchisme sont révolutionnaires.
D’autres sont réformistes.
I Une expérience
originale dans la continuité politique.
a) Un gouvernement de
gauche inscrite dans la continuité démocratique.
Depuis les années 60, le Chili est une
démocratie relativement stable. En 1970,
à la suite d’élections régulières,
le socialiste Salvador Allende succède au démocrate chrétien Eduardo Frei.
En effet, l’Unité populaire, coalition
qui réunit alors les principaux partis de la gauche chilienne emporte les
élections législatives avec 36% des voix. Allende forme alors un gouvernement
de coalition.
Unité populaire : coalition de partis de gauche soutenant Salvador Allende
b) … mène une expérience
économique et sociale avancée.
Ce gouvernement engage un important programme de réformes économiques et
sociales. Des entreprises de secteurs clés sont nationalisées dans le domaine des mines et de l’énergie. 300 entreprises
en situation de monopole dans les secteurs du charbonnage, de la sidérurgie, des transports et des banques sont expropriées. La politique de réforme
agraire est renforcée. 3000 grands
domaines sont redistribués à des paysans groupés en coopératives. Les petits
salaires sont largement augmentés. Un ambitieux
programme de santé publique, de logement et d’éducation en faveur des
classes populaires est lancé.
Réforme
agraire :
politique de redistribution des terres.
II De l’étranger ou à l’intérieur
du pays de nombreux facteurs et acteurs entretiennent un climat de tensions à
l’issue fatale.
a) Dans un contexte de
crise économique,
Le soutien à la
consommation relance la croissance. Mais dès 1971 cette politique favorise une forte inflation. Le pouvoir d’achat des Chiliens s’en
trouve affecté. Un certain nombre de produits
de consommation courante comme l’huile, la viande ou le sucre font défaut. Dans le même temps, la chute du prix du cuivre réduit les
revenus extérieurs du pays.
b) …on observe la
radicalisation des milieux les plus conservateurs
Voyant leurs intérêts menacés, certains
milieux chiliens s’opposent aux mesures prises par le gouvernement d’Union
populaire. Ce mécontentement réunit une bonne partie de la bourgeoisie, des commerçants, des propriétaires terriens, mais aussi la
hiérarchie de l’Eglise et une bonne partie des forces armées. Dans
conditions, l’extrême droite nationaliste
du Parti national se renforce.
c) …et de certaines forces de gauche
Tout en soutenant Salvador Allende, certains
mouvements de gauche comme le MIR réclament des mesures plus radicales
dans une logique révolutionnaire. Pour eux, la démocratie reste un régime
bourgeois. Le gouvernement d’Unité populaire est perçu comme un mal nécessaire
pour consolider les réformes en attendant la vraie révolution. Ce discours ne
manque pas d’effrayer les milieux les plus conservateurs.
MIR : Mouvement de la
Gauche Révolutionnaire, étudiants marxistes et anarchistes.
d) Alors que les rapports
entretenus avec Cuba sont perçus comme une menace
Salvador
Allende entretient des relations
diplomatiques avec les pays du bloc socialiste. Ses rapports avec Cuba sont
même amicaux. Le 10 novembre 1971 Fidel Castro débute sa visite officielle de
au Chili. Il décide d’ailleurs ensuite de son propre chef de la prolonger. Certains
perçoivent cette décision comme une provocation.
e) Les Etats-Unis font
tout pour déstabiliser le pays.
Le risque de contagion communiste en Amérique
latine et la nationalisation d’activités économiques américaines inquiètent Washington. A partir de
1971, les Etats-Unis décident de créer un véritable chaos économique dans le
pays. La CIA finance la grève des
camionneurs qui débute en octobre 1972. Elle soutient la classe
entrepreneuriale du Chili qui cherche à saboter l’économie pour provoquer le
mécontentement de la population. Dans le même temps, les Etats-Unis mettent en
place une forme de blocus invisible qui
coupe le pays de nombreux financements extérieurs. Le Chili n’a plus accès à
certains crédits et le pays subit le boycott de certaines de ses exportations.
Plusieurs tentatives de putschs soutenues par la CIA déstabilisent le
gouvernement d’Union populaire. Salvador Allende s’assure alors le soutien de
cadres de l’armée fidèles à la démocratie comme le général Carlos Prats qu’il nomme commandant en chef des armées en
novembre 1972.
Blocus invisible : Les crédits
internationaux sont coupés
III Le coup d’Etat du
11 septembre se conclut par la mise en place d’une dictature libérale
a) Au coup d’Etat du 11
septembre 1973 et à la mort d’Allende,
Le 4
mars 1973, l’UP obtient 43.9% des voix au cour
d’élections législatives pluripartites. Mais les tensions continuent à monter.
Les parlementaires de la droite conservatrice font de l’obstruction en
s’opposant à la nomination des membres du gouvernement. En Août, Allende pense
conforter sa position en nommant Pinochet commandant en chef des forces armées.
Mais le 11 septembre au moment où il s’apprête à proposer un plébiscite
pour mettre fin à la crise, des conjurés enclenchent le coup d’Etat. Ils ont
rallié Pinochet à leur cause et tôt le matin ils prennent le contrôle des
moyens de communication. Le palais de la Moneda est rapidement
cerné par les militaires. Allende en appelle au peuple au moyen de multiples déclarations
radiophoniques. A 11h l’aviation
bombarde le Palais. Salvador Allende refuse toujours de se rendre. A 14h, au
moment où ses derniers partisans s’apprêtent à se rendre Allende se donne la
mort pour ne pas tomber entre les mains des putschistes.
b) …succède un régime
autoritaire et sanglant
Les putschistes engagent alors la répression de toutes les forces
d’opposition. 45 000 personnes sont arrêtées et enfermées pour la plupart dans
le stade de Santiago. 3200 civils sont tués ou disparu. Prétextant l’état de
guerre, la Junte militaire s’arroge rapidement les pouvoirs exécutifs,
législatifs et judicaires. Elle établit une
dictature militaire et nationaliste dont Pinochet est le chef impitoyable. Les partis d’opposition désormais
interdits. La police politique (Dina) impose un véritable terrorisme d’Etat. Cela se traduit par une pratique massive de la
torture, des viols, exécutions sommaires et des disparitions. Certains de ces
crimes d’Etat sont commis hors du territoire national avec la complicité des
autres dictatures latino-américaines dans le cadre de l’opération Condor. En 1975,
le pays compte 8000 prisonniers politiques.
Junte : gouvernement
militaire dictatorial ayant pris le pouvoir par un coup d’Etat.
c) …reposant sur un
libéralisme économique extrême.
Sur le plan économique, Pinochet s’appuie sur
les conseils des Chicago Boys, des
économistes proches du très libéral Milton Friedman. Le Chili devient le
laboratoire des mutations néolibérales que les EU et certaines institutions
financières chercheront à imposer ailleurs dans le monde. De grandes
entreprises comme Endesa (Entreprise nationale d’électricité) sont privatisées et le Chili est largement ouvert aux capitaux étrangers si bien que certains ont pu parler de
« national-mondialisme » pour désigner ce modèle reposant sur une
idéologie nationaliste, une politique dictatoriale et un ultra-libéralisme
économique. Dans ce contexte, en l’absence de politique sociale, la situation
des plus pauvres s’aggrave.
Néolibéralisme : école de
pensée libérale attachée entre autres à la limitation de l’intervention de l’Etat
dans l’économie, à l’ouverture de nombreux secteurs d’activités au marché
mondial et aux investissements internationaux.
Conclusion : L’échec de
l’expérience d’Unité populaire n’était donc certainement pas une fatalité.
Certes, le gouvernement de Salvador Allende fut confronté à de graves
difficultés économiques et au mécontentement d’une partie de l’opposition. On
ne saurait affirmer aujourd’hui qu’il aurait pu les surmonter. Une chose est
sure cependant,les forces
intérieures les plus conservatrices et les Etats-Unis se sont entendus pour
faire échouer un projet rare dans ce contexte, de réformes socialistes profondes
inscrites dans la continuité démocratique. On peut voir dans la façon dont les
EU ont géré la question chilienne les prémices de ce qu’ils firent plus tard
dans de nombreux pays latino-américains.