Titre : La laïcité : un socle républicain à l'épreuve
d'un nouveau contexte.
La laïcité
n'est pas une notion facile à définir. Elle ne l'est d'ailleurs pas dans
les constitutions de la IVe et de la IVe République où, pourtant elle figure (article1
de la constitution de 1958). Pour faire simple, selon les définitions, la
laïcité repose sur différentes composantes. Pour certains, la laïcité, c'est
avant tout la garantie de la liberté de
conscience et de culte. Pour les tenants de cette définition, un Etat qui remplit cette condition est
un Etat laïque. Il existe une autre définition selon laquelle une autre
condition doit être remplie pour faire d'un Etat un Etat laïque. Selon cette
conception, il faut une séparation de l'église et de l'Etat. Aucune
croyance, qu'elle soit religieuse ou pas, ne doit influencer le système
politique et interférer dans la vie publique. Dans ces conditions, les
croyances relèvent uniquement de convictions personnelles. Il
existe une troisième définition qui,
considérant que les religions n'ont pas de valeur, n'accepte qu'une conception
: l'athéisme. C'est la conception
qui prédominait dans les démocraties populaires du bloc de l'est.
Athéisme : fait de ne croire en
aucun dieu et en aucun au-delà.
Pb :
La question est de savoir comment on est passé d'une situation où la religion
catholique était religion d'Etat à la laïcité actuelle. Quels sont les
principes de la laïcité ? Quelles réponses celle-ci peut-elle donner à la
l'évolution de la société française ?
I En France,
historiquement, la laïcité repose sur ...
a)
...la fin du principe de religion d'Etat,
Sous
l'ancien régime,
l'Etat contrôle l'Eglise catholique (gallicanisme)
mais l'Eglise a de nombreux privilèges. Le clergé constitue le premier ordre et il prélève la dîme.
Il contrôle la société. Il tient les registres paroissiaux, à le quasi
monopole de l' enseignement. La Révolution
française met fin une première fois à cette situation. Elle cherche à
soumettre l'Eglise catholique à son autorité. Pour des raisons financières,
en 1789, les biens de l'Eglise sont nationalisés. En 1790, l'Assemblée établit
une "Constitution civile"
du clergé. Les membres du clergés sont élus par les habitants de la paroisse
quelle que soit leur confession. Ils sont rétribués par l'Etat et doivent
prêter serment à l'Etat et à la nation.
En 1792, est établit l'Etat civil
qui recueille "les actes destinés à constater les naissances, les mariages
et les décès". Cependant, sous
l'Empire, Napoléon établit en 1801-1802, un concordat . La religion catholique n'est plus religion d'Etat mais
"religion de la grande majorité des français". Les autres cultes sont
tolérés. L'Etat nomme les évêques qui doivent prêter serment de fidélité au
gouvernement. Les ministres du culte catholiques et protestants sont rémunérés
par l'Etat. Elle redevient religion
d'Etat à la Restauration en 1814 mais elle reperd ce statut sous la Monarchie de Juillet en 1830 en n'étant
plus que la religion "professée par la majorité des français". Le concordat régit les relations entre
l'Etat et les cultes jusqu'à la loi de 1905.
Gallicanisme : contrôle de
l'Eglise catholique de France par le roi qui souhaite la soustraire à
l'autorité exclusive du pape.
Dîme : impôt de 10% des
revenus des paysans perçu par le clergé jusqu' à la Révolution.
Concordat : contrat passé entre
un Etat et une église. Il existe, par exemple, un concordat au Portugal.
b)…la
garantie de la liberté de conscience,
La liberté
de conscience est garantie une première fois par la Révolution française. Le 26 août 1789, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen affirme dans son
article 10 que " Nul de doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi
par la loi". La Révolution fait donc des protestants et des juifs des citoyens égaux aux autres. Sous
l'Empire, même si la religion catholique est favorisée par le régime du
Concordat, la diversité des cultes est
reconnue. Plus tard, sous la IIIe
République, la loi de 1905 affirme
dans son article 1er : " La
République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des
cultes..."
c)
....la fin du monopole de l'Eglise dans l'enseignement,
Dès la Révolution
française, Condorcet prône la fin de l'enseignement religieux dans
l'instruction publique. Sous l'Empire et
à la Restauration, l'Eglise regagne du terrain dans ce domaine notamment
grâce aux ordres religieux : les congrégations.
La IIIe République cherche donc à limiter
cette influence. En1880, l'influence des
congrégations religieuses sur
l'université est supprimée. Les lois
du ministre de l'Instruction
publique de l'époque, Jules Ferry, établissent l'école gratuite (1881), obligatoire
et laïque (1882).La formation des maîtres d'école est rendue systématique
et Jules Ferry adresse aux instituteurs une
lettre où il définit cet enseignement laïque.
Congrégations : groupe de clercs
vivant en communauté en respectant un certain nombre de règles avec parfois des
vocations spécifiques comme l'enseignement ( Jésuites, Frères des école
chrétiennes)
c)
...la séparation de l'Eglise et de l'Etat
Plusieurs tentatives précèdent la loi de
1905. La première tentative est celle du Directoire
en 1793 (Constitution de l'An III). Elle est suivie par celle de la brève
expérience de la Commune en 1871.
Mais il faut attendre la IIIe République
et l'œuvre de laïques tels que Emile Combes, Aristide Briand et Jean Jaurès,
pour que soit adoptée la loi de 1905 de
séparation de l'Eglise et de l'Etat. Celle-ci stipule dans son l'article 2
que " la République, ne salarie, ni
ne subventionne aucun culte".
Pour pouvoir utiliser les lieux de culte les croyants doivent constituer
des associations cultuelles. La laïcité s'affirme donc d'abord sur le plan
légal. C'est bien plus tard en 1946 et en 1958, sous la IVe puis la Ve République, que la
laïcité est inscrite dans la Constitution.
d)...
et sur un certain nombre de compromis.
Les protestants et les juifs acceptent le
principe des associations cultuelles mais de nombreux catholiques s'opposent aux inventaires des biens de l'Eglise
qui succèdent à la loi de 1905. Quelques
accommodements permettent de réduire les tensions. En 1924, les associations cultuelles catholiques sont
remplacées par des associations diocésaines
placées sous l'autorité des évêques. Après la Première Guerre mondiale, l' Alsace-Moselle est restituée à la
France, mais le régime du Concordat y
est maintenu. La loi de 1905, ne s'applique pas sur ce territoire qui
n'était pas français au moment de son vote. Elle ne s'applique pas non plus en Guyane. D'une manière générale,
dans les colonies la IIIe République
confie largement l'enseignement à des
congrégations religieuses. En métropole, l'enseignement catholique ne
disparait pas totalement. Il s'inscrit notamment dans le cadre de l'enseignement privé. En 1959, la loi Debré autorise des contrats avec
les établissements privés (établissements sous contrats). L'Etat prend alors en
charge la rémunération des enseignants tandis que ces établissements respectent
le programme officiel. L'enseignement catholique représente 96% de
l'enseignement privé sous contrat. En 1984, face aux manifestations des
partisans de l'école privé, le
gouvernement renonce à son projet de nationalisation de l'enseignement privé et
donc de création d'un vaste service public d'enseignement, unifié et laïque.
C'était pourtant une promesse électorale de François Mitterrand.
II…. Aujourd'hui,
cette définition de la laïcité s'applique dans un nouveau contexte caractérisé
par ....
a)...les transformations de la société
Tout au long du 20ème
siècle on assiste à un long processus de déchristianisation.
Au sortir de la guerre, l'église catholique est très présente. Dans les années
50, elle baptise 9 enfants sur 10. Mais à partir des années 60, le sentiment religieux baisse quelque
peu. Aujourd'hui, seulement 32% des
enfants d'une classe d'âge sont baptisés (2013) et 30 à 40 % des français se
disent non croyants. Sur le long terme, l'Eglise semble perdre de l'influence
sur la société.
Sécularisation :
désigne la perte d’influence des religions dans les sociétés (Max Weber)
On observe dans le même
temps une diversification du paysage
religieux. Avec l'immigration, largement suscitée par l'économie française
des trente glorieuses, l'islam devient deuxième religion de France (6% de la
population), devant le protestantisme (2% de la population). Mais comme pour la religion catholique la
pratique reste minoritaire. Les
statistiques révèlent que les comportements des musulmans de France ne diffèrent
pas beaucoup de ceux des français baptisés. Ainsi 25 % des personnes
d’origine musulmane déclarent aller généralement à la mosquée le vendredi.
Selon une autre enquête du même institut en 2006, 25% des catholiques se
disaient pratiquant.
b).... l'émergence de nouveaux débats
portant sur la distinction entre sphère publique et sphère privée
En 1989 et en 2004, plusieurs situations
posent la question du port du voile
islamique à l'école. Au nom de la liberté de conscience et de l'intégration, certains affirment qu'il
est nécessaire d'accepter dans les établissements publics des élèves coiffées
du foulard islamique. Au nom de la laïcité, de la neutralité de l'enseignement
et de l'émancipation des femmes,
d'autres considèrent que le port du voile doit être interdit à l'école.
Finalement en 2004, la loi interdit
" les signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance
religieuse des élèves". C'est la réponse donnée dans l'enseignement public
jusqu'au secondaire. La question est de savoir si ce principe peut s'appliquer
à l'université qui jouit
traditionnellement en France d'une grande liberté. Peut-il également
s'appliquer dans une structure privée
d'accueil des jeunes enfants comme la révélée à partir de 2008, l'affaire
de la crèche baby-loup. En 2010, une loi
interdit le voile intégral dans les lieux publics. Mais qu'est-ce qu'un
lieu public ? Un véhicule personnel qui circule sur la voie publique est-il un
espace privé ? Plus récemment encore, la question de la distinction entre
sphère publique et sphère privée a rebondi avec le débat sur les menus de substitution. Depuis
longtemps, beaucoup de mairies et d'écoles soucieuses de satisfaire l'ensemble
des élèves qu'elles ont, de toute façon, l'obligation d'accueillir
proposent au moment des repas des
alternatives, notamment pour les élèves qui ne mangent pas de porc. Certains y
voient une atteinte au principe de laïcité.
c) ... la compatibilité des contenus
des enseignements avec les valeurs républicaines
Ceux qui ne souhaitent pas se conformer aux
principes laïques de l'Education nationale peuvent fréquenter un établissement
scolaire privé. Les accusations récentes contre le lycée musulman Averroès de
Lille et l'ecole catholique Gerson de Paris pose la question de la compatibilité entre les enseignements
dispensés et les valeurs de la République dans des établissements privés sous contrat. Le contrôle est plus
difficile dans les établissements privés
qui ne sont pas sous contrat. C'est le cas notamment de l'école privée hors
contrat Saint-Projet proche, semble-t-il, du groupuscule d'extrême-droite Dies
Irae. Cette école est soupçonnée d'apprendre des chants racistes et antisémites
à ses quatre-vingt-cinq élèves du primaire au collège. Une enquête est en cours....
b) …et
le financement des lieux de cultes,
Le patrimoine cultuel, architectural et
culturel de la France témoigne de la réalité
chrétienne de son héritage. De ce point de vue, la loi de 1905 bénéficie à
l'Eglise catholique en donnant aux associations diocésaines la jouissance des lieux de culte préexistants.
Mais l'histoire de la nation
française témoigne également de sa diversité.
La question est aujourd'hui posée du financement
des lieux de culte musulmans. Si la loi est respectée stricto sensu, les
pouvoirs publics ne doivent pas subventionner la construction de mosquées. Cependant, s'ils ne le font pas
d'autres financements peuvent intervenir. La crainte porte alors sur la
possible influence de pays étrangers sur l'islam de France.
d)
... et la question du blasphème.
L'attentat du 7 janvier contre Charlie Hebdo et certaines réactions qui
ont suivi cet événement ont soulevé la question du blasphème. Certains estiment que les caricatures du journal
satirique étaient blasphématoires. Or il convient de rappeler que dans la République, le délit de blasphème
n'existe pas. Il faut souligner également que le journal en question, s'en
est toujours pris à toutes les religions sans discrimination, faisant usage de
son droit à la libre expression.
Blasphème : parole ou discours
considéré comme outrageant pour une divinité ou une religion.
Conclusion : La laïcité en
France a donc une histoire. Elle est le reflet de l'affirmation de la liberté
de conscience. Dès les premières lois l'établissant, elle apparaît aussi comme
un compromis entre des réalités cultuelles et le principe d'égalité des
citoyens quelles que soient leurs convictions. Il n'y a donc pas de raisons
pour que la République ne trouve pas dans un
nouveau contexte, des réponses à de nouvelles problématiques tout en
restant fidèle à ses principes.
Auteur : Nérée Manuel
Dernière mise à jour : 02/17
Bibliographie :
VIELLARD
M., LATOUR P., Vive la laïcité !, Edimaf,
Le temps des Cerises, 2005. [CDI]
HAARSHER
G. La Laïcité, QSJ, PUF, 1996. [CDI]
LIGUE
DE L'ENSEIGNEMENT, Histoire de la
laïcité, 2005 [CDI]
VALLET
O., La France n'est plus un pays laïque, Le
Monde de l'Education, décembre 2005. [CDI]