Le Tiers-Monde, un concept pertinent ?


Le Tiers-Monde désigne l'ensemble des pays issus le plus souvent de la décolonisation n'appartenant ni au bloc de l'est, ni au bloc de l'ouest. En référence au Tiers-état d'ancien régime, Alfred Sauvy désigne aussi ainsi les pays à la recherche du développement.   

Ce concept est-il donc pertinent pour décrire la situation politique et économique des pays issus de la décolonisation, de leur indépendance à aujourd'hui ?         S'il s'agit d'un ensemble de pays distincts des pays occidentaux et des pays communistes, parviennent-ils à s'affirmer sur la scène internationale, tout en restant non alignés ? Si il s'agit d'un ensemble de pays ayant en commun la recherche de développement, quelles sont les origines de ce retard ? Cet ensemble est-il homogène ? Peut-on alors parler d'un tiers monde ?

I L'émergence politique des pays du tiers-monde.
Les pays décolonisés sont-ils parvenus à s'affirmer sur la scène internationale en dehors de chacun des deux blocs ?


a) une volonté réelle de constituer une force politique non-alignée.               
Ce mouvement se développe d'abord en Asie où les indépendances sont plus précoces. Les représentants des gouvernements asiatiques se réunissent à deux reprises à New Delhi en 1947 et en 1949. A l'ONU est formé un groupe Afro-asiatique qui tente de promouvoir une politique indépendante des deux blocs.
Du 18 au 25 avril 1955, a lieu la Conférence de Bandung en Indonésie. Elle est présidée par Sukarno. Sont représentés 29 pays, soit la moitié de l'humanité et 8 % des richesses : Afghanistan, Arabie Saoudite, Birmanie, Cambodge, Ceylan, Chine populaire, Côte de l'or ( Ghana), Egypte, Ethiopie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Libéria, Libye, Népal, Nord- Vietnam, Pakistan, Philippine Soudan, Sud- Vietnam, Syrie, Thaïlande, Turquie, Yémen.
Les résolutions adoptées sont les suivantes : droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, souveraineté et égalité des nations, refus de toute pression des grandes puissances, règlement pacifique des conflits, désarmement, interdiction de l'arme atomique, condamnation du colonialisme et proposition de la création d'un fonds des nations unies pour le développement. Remarque : Au sujet de Bandoung, dans un contexte où les indépendances africaines n'étaient pas acquises, le sénégalais Léopold Sedar Senghor a déclaré que ce fut " un coup de tonnerre dans un ciel serein" .

Dans ce contexte, la nationalisation du canal de suez par Gamal Abdel Nasser, apparaît comme une affirmation politique face aux deux puissances coloniales la France et le Royaume-Uni qui avaient là des intérêts économique.

A l'occasion de cette conférence émerge l'idée du non-alignement. Cette notion fut ensuite définie à l’occasion de la conférence de Belgrade par Tito, Nehru et Nasser en 1961.

La crise de Suez en 1956 est aussi le reflet de l’émergence politique du tiers-monde. En effet, cette année là, Nasser nationalise le canal de Suez. Il remet ainsi en cause les intérêts financiers britanniques et français de la compagnie qui gérait le canal. Les deux Etats européens interviennent avec l’aide de l’armée israélienne mais sous la contrainte diplomatique des Etats-Unis et de l’URSS, ils sont obligés de se retirer. Leur puissance est donc remise en cause.


Non-alignement: Mouvement réunissant de nombreux pays du tiers-monde et la Yougoslavie refusant la domination des deux grandes puissances.
En 1966 à la Havane, les pays non alignés appellent à la lutte anti-impérialiste. On sent déjà à cette occasion qu'il est difficile pour les pays du tiers-monde de ne pas tomber dans l'un ou l'autre des deux camps.
En 1973 à Alger, les pays non-alignés revendiquent un nouvel ordre économique mondial.


b) un non-alignement difficile à tenir.
Mais en réalité ces pays sont souvent divisés. Rares sont ceux qui échappent totalement à l'influence d'un des deux grands. Nehru se présente comme un véritable neutraliste tandis que Nasser se rapproche des soviétiques. Enfin, le Pakistan est pro-occidental.


c) La création d'organisations régionales dont le rôle est finalement limité.     
Des organisations régionales se mettent en place. Elles cherchent à remédier aux crises politiques que traversent les nouveaux états et à les unir.               La Ligue Arabe est créée en 1945. Elle parvient peu à peu à regrouper la totalité des pays arabes. Son hostilité à Israël lui sert de ciment. Le panarabisme est promu en particulier par Nasser. Seulement, les conflits existent dans la Ligue Arabe. En 2003, il lui fut impossible d'adopter une résolution commune au sujet de l'Irak.   À Accra, en 1958, le Ghanéen Nkrumah inaugure une série de conférences panafricaines qui aboutissent en 1963, à Addis-Abeba, à la création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA).                Parmi les principes affirmés par l'OUA devenue entre-temps Union Africaine, il y a la solidarité entre les États africains, le respect des frontières issues de la colonisation, non-ingérence et respect de la souveraineté des états. Cependant, elle peine à maintenir la paix sur le continent et elle tolère dans ses rangs les pires dictateurs.


Panarabisme :Doctrine politique visant à unir tous les peuples de langue arabe et à développer entre eux des liens de solidarité.     

Panafricanisme : Doctrine politique, mouvement tendant à regrouper, à rendre solidaires les nations du continent africain.          
Conclusion : la volonté d'exister sur la scène internationale en dehors des deux blocs est donc réelle. On peut donc parler de tiers-monde. cependant, on constate qu'il est difficile pour de nombreux états de rester hors de l'orbite d'un des deux grands. En outre, l'efficacité des organisations régionales est limitée.

II La constitution d'un ensemble en retard de développement.


a) les causes du sous-développement.
Elles sont multiples et font l'objet de polémiques. Il serait réducteur de ne donner qu'une explication aux écarts de développement dans le monde.
Il existe parfois des liens de causalité entre certaines de ces explications.
L'héritage colonial. Dans de nombreuses colonies les puissances coloniales n'ont pas cherché à développer le secteur industriel et ont essentiellement exploité les produits primaires. Il est possible d'évoquer à ce sujet l'attitude des britanniques face à un développement industriel en Inde ou celle des français en Indochine.
Le poids excessif des produits primaires dans le PIB des pays pauvres. Héritiers de l'économie coloniale, beaucoup de pays exportent des produits miniers ou agricoles à faible valeur ajoutée. Ils dépendent d'ailleurs souvent de cours fixés dans des Bourses de commerce situées dans les pays développés ( Ex : Chicago Board of Trade). Ces prix varient beaucoup et rendent les revenus incertains.
Le poids de la dette . Pour se développer, ces pays se sont souvent endettés. Le remboursement de la dette handicape les pays pauvres car elle monopolise une grande partie de leurs ressources.
La corruption. Le détournement de l'argent public au seul profit de dirigeants ou de fonctionnaires rend difficile le développement des infrastructures nécessaires à certains pays. Ce phénomène est perceptible en Algérie, pays riche en hydrocarbures où les cadres, militaires pour la plupart, drainent l'essentiel de la manne pétrolière.
Les guerres : En Afrique , en Asie et en Amérique latine de nombreuses guerres aux causes multiples empêchent le développement. Le Zaïre de Mobutu devenu République démocratique du Congo sous Laurent-Désiré Kabila en offrait un triste exemple. La Côte d'Ivoire est un autre triste exemple de cette situation.
Cette liste des causes du sous-développement n'est malheureusement pas exhaustive. Pour expliquer le sous - développement en Afrique, il faut donc tenir compte de la combinaison de différents facteurs. Au sujet de la crise que traverse aujourd'hui l'Afrique, Sylvie Brunel distingue les causes imputables à la colonisation ( mise en place d'économies de traite, sous industrialisation), les causes imputables à la mondialisation ( concurrence internationale, dérégulation, exode des cerveaux, incohérences des plans d'ajustements structurels imposés par les institutions financières internationales ), les causes imputables aux africains eux-mêmes ( corruption, clientélisme). Sylvie Brunel : L'Afrique.


b ) Les traits communs des états en retard de développement.
Traditionnellement, en observant les PIB par habitant et les IDH, on oppose Nord et Sud , pays riches et pays pauvres. L'IDH des pays industrialisés s'élève en moyenne à 0,916 et celui des pays du tiers monde à 0,570.
Les manifestations du sous-développement sont souvent les mêmes :
Faiblesse du revenu individuel. Ainsi, 85 % de la population qui vit au sud ne se partage que 20% des richesses.
La malnutrition.
L'analphabétisme.
Une démographie non contrôlée.
Un secteur primaire encore hypertrophié.
L'expression Tiers-Monde peut donc désigner l' ensemble des pays en voie de développement ayant ces caractéristiques.


c) la diversification des tiers-monde.

Cette diversification des tiers-monde s'accélère à partir de 1970. Elle est pour beaucoup liée à la variété des modèles de développement choisis et à leurs fortunes diverses.
(Voir leçon sur la diversité des Sud)

Dans les années 60, la Corée du Sud, Taiwan, Singapour et Hong Kong furent les premiers pays d'Asie orientale à choisir sur le modèle japonais, un développement par étapes successives allant dans le sens d'une ouverture croissante de leurs économies. Aujourd'hui, ils ne font déjà plus partie du Sud ou du tiers-monde. Ce sont des NPIA, Nouveau Pays Industriels Avancés ( Remarque : certains désignent par NPIA, des Nouveaux Pays Industriels Asiatiques).

Dans les années 70, d'autres pays asiatiques firent le même choix de développement : la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, l'Indonésie. Ce sont des NPI ( Nouveaux Pays industrialisés) . Le Mexique et le Brésil sont aussi qualifiés de NPI, même si les modèles de développement furent différents. Voir la leçon de géographie sur le Brésil.

Seulement, un certains nombre de pays, pour beaucoup en Afrique, sont restés à l'écart de ce développement.

En 1968, les Nations Unies créèrent donc la notion de PMA (pays les moins avancés). Ce sont les pays les plus pauvres. Leurs PIB/hab, leurs taux de scolarisation et leurs niveaux d' équipement industriel sont faibles Leurs économies sont peu diversifiées. On en compte aujourd'hui 48 , situés pour la plupart sur le continent africain. Parmi ces PMA, on peut citer , l'Ouganda, Haïti, le Rwanda.
Les Pays à revenus intermédiaires sont des pays qui n'ont pas les handicaps des PMA mais qui tardent cependant à se développer durablement. Le cas de l'Algérie qui a tenté de se développer sur un modèle socialiste d'industrie industrialisante est à ce titre intéressant. La question qui se pose à son sujet est de savoir qui du modèle ou des dirigeants corrompus est responsable des difficultés persistantes de l'Algérie.

Les pays exportateurs de pétrole, pays "riches mais non-développés" selon Paul Bairoch, ont largement profité de l'augmentation du prix du baril qu'ils ont largement organisée dans les années 70. Seulement aujourd'hui encore, l' industrialisation et les progrès sociaux sont insuffisants .


Conclusion : Il est donc difficile de parler d'un Sud. Certains remettent donc en cause la notion de tiers- monde qu'ils trouvent réductrice.

Conclusion générale : L'expression tiers-monde désigne donc bien un ensemble de pays en développement au sortir de la période coloniale. Elle désigne aussi des états désireux d'avoir un rôle sur la scène internationale en dehors des deux grands blocs. Cependant, on constate que rares furent les pays strictement non-alignés. Enfin, l'expression sous développement sert à évoquer des réalités très contrastées. Il est donc peut-être plus pertinent d'utiliser l'expression tiers-monde au pluriel pour rendre compte d'une réalité plus complexe.